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« Le Convoi de la liberté »
Les camionneurs ne trouvent pas leur cohérence dans les intrigues fomentées par les cercles dirigeants
Deux semaines après le début du « Convoi de la liberté », de l’occupation du centre-ville d’Ottawa et du barrage routier de certains postes frontaliers canadiens par les manifestants, il y a beaucoup de zones grises que les camionneurs, et travailleurs en général, doivent élucider concernant ce qui se passe. Mais s’il y a une chose dont on peut être certain à 100 %, c’est que depuis des décennies les politiques des gouvernements fédéraux intégrant le Canada à la « forteresse Amérique » dirigée par les États-Unis, ont entraîné le Canada dans le tourbillon des scénarios de guerre civile américaine.
L’image projetée par les médias du « Convoi de la liberté » est parsemée de drapeaux canadiens avec le message de « liberté, unité, paix et amour ». Ce message est omniprésent dans chacune des interventions de ceux qui défendent le convoi. Est-ce une manière de camoufler qu’il n’y a rien de très canadien dans leur manière de faire et dans leur contenu politique ?
Avec ce « Convoi de la liberté », la population canadienne est en train de découvrir les méthodes d’organisations typiques de ce qui se passe régulièrement aux États-Unis. Nous apprenions récemment que d’anciens membres de la police, de l’armée et de la GRC sont derrière l’organisation du convoi et des barrages routiers. Nous sommes à peu près certains également que des intérêts privés supranationaux agissent en sous-main dans l’organisation du convoi, si l’on se fie aux lettres d’appui d’Elon Musk, de Trump et de son entourage, et d’autres provenant de l’étranger. L’utilisation massive des fausses nouvelles n’est pas s’en rappeler la campagne électorale aux États-Unis et l’assaut sur le Capitole le 6 janvier 2021, à Washington. L’utilisation des médias sociaux pour désinformer le public, exagérer le nombre de ceux qui appuient une cause particulière et créer un climat de « pouvoir de la rue », a été révélée au grand jour lors des audiences sur l’utilisation d’algorithmes par Facebook et d’autres pour manipuler et s’enrichir. D’autres groupes sont promus activement, comme le groupe qui s’appelle QAnon.
Le plus remarquable est de voir à quel point les agences de l’État, comme la police, sont réticentes à mettre en oeuvre des mesures de maintien de l’ordre, même après la déclaration de l’état d’urgence par la ville d’Ottawa, le 6 février, et par la province de l’Ontario, le 11 février. Il est de plus en plus évident que le gouvernement en est réduit à fulminer contre le convoi tout en essayant désespérément de trouver quelque chose qui « fonctionne » pour maîtriser la situation. Les chefs des partis du cartel qui siègent à la Chambre des communes sont impuissants lorsqu’il s’agit de faire quoi que ce soit, si ce n’est de se quereller et d’essayer d’entraîner les Canadiens dans un camp ou l’autre. Selon les partisans du gouvernement Trudeau, une gauche libérale est l’alternative à l’extrême droite. Tout cela vise à faire en sorte que le peuple ne réfléchisse pas par lui-même et ne parle pas de sa propre voix.
Le mépris effronté des lois par des manifestants qui réclament « la liberté » et l’incitation à la violence dans certains discours et par des images sont un phénomène relativement nouveau au Canada. Cela semble en grande partie venir du sud de la frontière et être repris par des adeptes au Canada. Les Canadiens sont appelés à rejoindre un camp ou l’autre – l’un appelé la gauche libérale et l’autre l’extrême droite, laquelle est identifiée comme étant suprémaciste blanche, misogyne, violente et belliciste. Faut-il oublier que les politiques mises en oeuvre par le gouvernement Trudeau sont aussi toutes ces choses, malgré le vernis libéral ? Certains vont jusqu’à dire que malgré la présence d’individus peu fréquentables, les drapeaux confédérés, les croix gammées, les comportements antiféministes virulents et le racisme, tout cela est pour une grande cause, celle de « la liberté » et c’est ce qui compte. Et le tout mêlé dans une foule festive de gens qui ont différents griefs contre le gouvernement, les mandats, les masques et les vaccins et qui réclament la liberté. Une question évidente est : la liberté de faire quoi ? La seule réponse possible est la liberté de renverser le gouvernement Trudeau, manifestement corrompu, faible, autoritaire et qui veille à ses propres intérêts. Les deux camps affirment que leur voie est celle de la liberté et de la démocratie.
Ainsi, ce que les camionneurs canadiens découvrent, c’est que les factions dominantes au Canada se livrent une bataille ouverte en dehors des institutions officielles dites démocratiques. Peu importe le nombre de drapeaux canadiens et d’appels à « la liberté, la paix et l’unité » par les deux camps, la réalité est que l’anarchie et la violence règnent en maître et que les camionneurs ne peuvent être d’accord avec ni l’un ni l’autre des deux camps.
Ces dernières années, les camionneurs en particulier ont vécu cette intégration de l’économie canadienne à celle des États-Unis. Les échanges commerciaux est-ouest à travers le Canada ont longtemps été remplacés par les échanges nord-sud entre le Canada et les États-Unis. Cela remonte au tout début du libre-échange signé sous le gouvernement de Brian Mulroney. À cette époque, les camionneurs s’étaient levés contre cette entente en menant plusieurs actions à travers le pays pour dénoncer le fait que non seulement leurs conditions de travail allaient empirer mais que le transport routier allait se transformer radicalement et allait mener à la situation de crise dans le transport que nous connaissons aujourd’hui.
En défendant leurs conditions de travail au début des années 1990, les camionneurs défendaient en même temps la souveraineté canadienne. Malheureusement les cercles dirigeants ont poursuivi les arrangements néolibéraux depuis ce temps et le Canada est maintenant soumis de toutes parts aux exigences d’intérêts supranationaux, privés et étroits, qui luttent pour le contrôle du bureau de la présidence des États-Unis. Le Canada donne une imitation de ce conflit, comme le montre le fait que le soi-disant convoi de la liberté a déjà atteint l’objectif de se débarrasser d’Erin O’Toole en tant que chef du Parti conservateur pour le remplacer par un pit-bull qu’il espère pouvoir faire élire. Les appels à se débarrasser de Justin Trudeau ne font que commencer avec ceux qui reprennent le discours du Quincy Institute on Statecraft et d’autres institutions américaines sur la « sédition », la « traîtrise » et la « trahison », espérant pouvoir faire opérer la « magie ».
L’ensemble des travailleurs canadiens, pas seulement les camionneurs, doivent apprendre de leur expérience de ne pas être l’instrument des intrigues des cercles dirigeants. Ils savent que leur sécurité est défendue en continuant de défendre les droits de tous et toutes et de réclamer des conditions de travail et des salaires qui leur sont acceptables et, ce faisant, prendre soin de tout le monde. Voilà la véritable tradition des camionneurs et de la classe ouvrière canadienne.
(Le Renouveau, affiché le 15 février 2022)