51e anniversaire du coup d’État des États-Unis au Chili
Tenons-nous avec le peuple chilien dans
sa lutte pour la justice
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Le 11 septembre de cette année est le 51e anniversaire du coup d’État perpétré par les États-Unis au Chili. En cette date de 1973, l’armée, sous le commandement du général Augusto Pinochet, prend le pouvoir. Le palais présidentiel de la Moneda est bombardé et le président constitutionnel du Chili, Salvador Allende, est assassiné. Une junte militaire est mise en place et, dans les premiers mois qui suivent, des milliers de personnes sont tuées ou portées disparues. Le stade national du Chili est transformé en lieu de détention de masse : 40 000 prisonniers politiques y sont détenus et torturés. Au cours des trois premières années qui ont suivi le coup d’État, plus de 130 000 personnes ont été arrêtées. On estime que 200 000 personnes ont fui le pays pendant la dictature, qui a duré jusqu’en 1990.
Le coup d’État de 1973 au Chili a été suivi de l’opération Condor, une campagne soutenue de terrorisme d’État des États-Unis contre le peuple chilien et les peuples d’Amérique du Sud. Il s’agit d’une campagne d’assassinats politiques et de répression officiellement créée en 1975 à Santiago du Chili par les cercles dirigeants du Chili, d’Argentine, d’Uruguay et du Brésil dans le but d’éradiquer l’influence et les idées socialistes et communistes, et d’éliminer les mouvements d’opposition aux gouvernements de ces pays. Les États-Unis ont proposé le plan de l’opération Condor pour la première fois en 1968, appelant à « l’utilisation coordonnée de forces de sécurité intérieure dans les pays d’Amérique latine ». L’opération Condor a fait au moins 60 000 morts, 30 000 « disparus » et 400 000 prisonniers. Elle est à l’origine de ce que l’on a appelé les « guerres sales » en Amérique centrale et dans les Caraïbes.
Salvador Allende s’est présenté à la présidence du Chili contre Eduardo Frei en 1964, puis à nouveau en novembre 1970 et a remporté cette élection. Les États-Unis se sont opposés à sa candidature, car Allende, un socialiste déclaré, cherchait à mettre les richesses naturelles et l’économie du Chili à la disposition du peuple et de ses besoins, et à les soustraire aux intérêts étrangers privés. Le 27 juin 1970, Henry Kissinger, alors conseiller à la Sécurité nationale du président Richard Nixon, a soumis la question du Chili au Comité 40, l’organe interagences qu’il dirigeait et qui était responsable d’approuver les opérations secrètes de la CIA. À cette réunion, Kissinger a déclaré : « Je ne vois pas pourquoi nous devrions rester sans rien faire pendant qu’un pays sombre dans le communisme à cause de l’irresponsabilité de son peuple. »
Le département d’État des États-Unis avait un plan, appelé Track I, pour empêcher Allende d’accéder au pouvoir après avoir remporté les élections. Kissinger et la CIA avaient également créé Track II, chargé de trouver des officiers de l’armée qui soutiendraient un coup d’État, que la CIA pourrait ensuite appuyer. Un câble d’octobre 1970 du groupe Track II aux agents de la CIA au Chili indiquait : « Notre politique est ferme et constante : [le gouvernement démocratiquement élu d’] Allende doit être renversé par un coup d’État. […] Nous devons continuer d’exercer une pression maximale à cette fin avec toutes les ressources appropriées. Il est impératif que ces actions soient mises en oeuvre clandestinement et en toute sécurité afin que le GEU [gouvernement des États-Unis] et les mains américaines soient bien dissimulées. »
Après l’élection d’Allende, les États-Unis et d’autres pays ont cherché à étrangler le Chili sur le plan économique. C’est ce qu’a expliqué l’ambassadeur des États-Unis au Chili, qui a rapporté à Henry Kissinger qu’il avait envoyé un câble au président sortant Eduardo Frei pour le persuader de participer à un coup d’État. « Pas un écrou ou un boulon n’atteindra le Chili sous Allende. Une fois Allende au pouvoir, nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour condamner le Chili et tous les Chiliens au dénuement et à la pauvreté les plus extrêmes », avait écrit l’ambassadeur des États-Unis, Edward Korry, à Eduardo Frei.
Une année du Plan national de recherche pour les détenus disparus
Le peuple chilien lutte depuis 51 ans pour que les responsables du coup d’État rendent des comptes.
L’année dernière, le 30 août 2023, Journée internationale des victimes de disparation forcée, le gouvernement chilien a lancé un Plan national de recherche des détenus disparus, pour découvrir ce qui est arrivé aux personnes qu’on n’a jamais retrouvées après qu’ils eurent été détenues et disparues pendant la dictature de Pinochet. Selon des données officielles, 1 469 personnes au total ont été détenues et ont disparu de force ou ont été assassinées au cours des 17 années de la dictature de Pinochet appuyée par les États-Unis. 1 100 personnes disparues sont toujours introuvables.
Un an après le lancement du Plan national de recherche, Alicia Lira, présidente du Groupe des familles de personnes exécutées pour des raisons politiques, a discuté avec Prensa Latina au sujet du plan et de ce que cela veut dire pour le travail des familles luttant pour la justice pour les disparus. « Nous ne pouvons parler d’une démocratie intégrale alors que 51 ans après le coup d’État plusieurs sont toujours à la recherche de leurs êtres chers pour les inhumer et faire leur deuil », a-t-elle dit.
Lira a souligné l’importance du Plan national de recherche par lequel l’État chilien ainsi que des organisations sociales et des sites commémoratifs se sont engagés à trouver les restes des victimes. Ainsi, un organe directeur a été créé, composé des ministères de la Justice, du Travail, de la Défense et de la Culture, d’universités, d’intellectuels et de divers groupes afin de faire avancer le travail du Plan national de recherche. Elle a aussi souligné la réticence des Forces militaires, plus particulièrement l’armée, qui jusqu’ici n’ont pas divulgué l’information qu’elles détiennent.
Pour ce qui est des informations sur les endroits où pourraient se trouver les restes, Lira a fait une mise en garde de ne pas créer de fausses attentes aux familles qui ont déjà vécu les pires souffrances. Elle a aussi dit qu’il fallait renforcer les brigades des droits humains de la Police d’enquête, intégrer plus de responsables des familles aux équipes et augmenter le nombre d’experts.
« La cadence du travail doit être augmentée, les éléments du pouvoir judiciaire doivent être divulgués et l’information contenu dans les dossiers doit servir à indiquer les endroits où les victimes pourraient être », a dit Lira.
Lors de la commémoration au Chili de la Journée internationale des victimes de disparition forcée cette année, au monument des détenus disparus et des personnes exécutés pour des raisons politiques au cimetière général de Santiago, une autre activiste a fait valoir la nécessité que les familles des disparus soient toujours au coeur du travail du Plan national de recherche. Gaby Rivera, présidente du Groupe de familles des détenus disparus (GFDD), dans son allocution lors de la commémoration, a souligné que les familles organisées dans le GFDD n’avaient pris connaissance d’une décision importante du Plan national de recherche que par le biais de la presse, même si le groupe fait partie de l’organe directeur. Il s’agissait d’un contrat de 620 millions de dollars avec une compagnie privée pour développer une plateforme visant à faciliter la gestion de l’information sur chacun des 1 469 détenus disparus. « Il est inacceptable que le Plan de recherche soit transformé en occasion d’affaires », a dit Rivera lors de la cérémonie.
Ainsi, le peuple chilien poursuit sa lutte pour son droit d’avoir un mot à dire sur le Plan national de recherche afin que justice soit faite pour leurs êtres chers.
Le rôle du Canada dans le coup d’État
Le Canada a joué un rôle dans les pressions économiques exercées sur le gouvernement Allende et a ensuite soutenu la junte militaire après le coup d’État. Le gouvernement de Pierre Elliott Trudeau a soutenu le gouvernement d’Eduardo Frei avec diverses formes d’aide économique après sa victoire aux élections de 1964 contre Salvador Allende. Lorsque Frei a été battu par Allende à l’élection de 1970, cette aide a été coupée et les banques canadiennes se sont retirées du Chili. En 1972, le Canada a emboîté le pas aux États-Unis en votant l’arrêt du financement du Fonds monétaire international.
Après le coup d’État, l’ambassadeur du Canada au Chili a communiqué avec le gouvernement de Pierre Elliott Trudeau pour l’informer : « Les représailles et les perquisitions ont créé un climat de panique qui touche particulièrement les expatriés, notamment la racaille de la gauche latino-américaine à laquelle Allende a donné asile […] Le pays a connu une frénésie politique prolongée sous le gouvernement élu d’Allende et la junte a assumé la tâche probablement ingrate de dégriser le Chili. » Le gouvernement Trudeau a reconnu le gouvernement putschiste de Pinochet peu de temps après sa prise de pouvoir malgré les exhortations de diverses organisations canadiennes à ne pas le faire.
Les Canadiennes et les Canadiens ont exercé des pressions soutenues sur le gouvernement pour qu’il offre un refuge aux personnes qui fuyaient la junte militaire au Chili. L’historien Jan Raska souligne que les considérations anticommunistes étaient au premier plan pour le gouvernement canadien, et non l’humanisme :
« Au départ, les responsables canadiens avaient une approche prudente en ce qui concerne la réinstallation des réfugiés chiliens au Canada. Ils étaient préoccupés par l’éventuelle sympathie gauchiste des réfugiés chiliens et n’ont offert que peu de planification gouvernementale et d’aide pour les personnes qui fuyaient le régime militaire répressif de droite. Comme le gouvernement canadien était conscient que le nouveau gouvernement de Pinochet était appuyé par les Américains et qu’il était incertain de l’affiliation politique des réfugiés susmentionnés, il a agi lentement pendant près d’un an avant de mettre en place un filtrage de sécurité ferme afin d’empêcher les sympathisants communistes de venir au Canada.
« Peu de temps s’est écoulé avant que le gouvernement canadien ne soit critiqué pour son inaction vis-à-vis l’accueil de réfugiés chiliens au pays. Grâce aux efforts accrus de sensibilisation de la part du public et du lobbying de la part de l’Agence des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR), d’Amnistie internationale, des Églises canadiennes et des organismes de services bénévoles, le gouvernement fédéral a assoupli ses critères de sélection et ses mesures d’exclusion, permettant à près de 7 000 réfugiés du Chili de venir au Canada. »
Le fait que le Canada a empêché que les victimes de la dictature de Pinochet appuyée par les États-Unis puissent trouver asile au Canada est encore plus scandaleux compte-tenu de sa politique d’offrir asile aux criminels de guerre nazis et aux collaborateurs nazis qui devaient subir leur procès pour les crimes commis au cours de la Deuxième Guerre mondiale. Aujourd’hui, le gouvernement Trudeau a adopté le projet du gouvernement Harper avant lui, celui d’ériger un monument anti-communiste à Ottawa pour commémorer les Nazis et les collaborateurs nazis. Le « Monument aux victimes du communisme – Le Canada, une terre d’accueil » est encore plus honteux et méprisable lorsqu’on prend en compte le sort des Chiliens qui ont souffert sous le régime de Pinochet. La question se pose : où est le monument du Canada à tous ces Chiliens et tous les peuples qui ont souffert ou ont été tués ou disparus sous l’opération Condor menée par les États-Unis partout en Amérique du Sud, et dans leurs sales guerres en Amérique centrale et les Caraïbes qui ont suivi ?
Aujourd’hui, quelque 40 000 personnes d’origine chilienne vivent au Canada et, en cette occasion, le PCC(M-L) se joint à elles pour commémorer les victimes du régime de Pinochet et de l’opération Condor. Il se joint à toutes les personnes éprises de paix et de justice au Chili et dans le monde pour exiger un état de droit international et des institutions qui ne tolèrent pas l’impunité, comme c’est le cas aujourd’hui dans la bande de Gaza et la Cisjordanie. Il faut mettre fin à de tels crimes et c’est aux peuples du monde qu’il incombe de le faire.
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