16 novembre 1885
138e anniversaire de la pendaison de Louis Riel
Une journée d’infamie dans l’histoire du Canada
« Quand la Puissance [le gouvernement du Canada] se présenta à nos portes, elle nous trouva donc dans le calme. Elle trouva dans le Nord-Ouest non seulement le peuple métis en bonne condition de vivre sans elle […], mais le peuple métis avec un gouvernement à lui, libre, en paix, fonctionnant et faisant à son compte l’oeuvre de la civilisation que la Compagnie de l’Angleterre n’eût pu faire sans des milliers d’hommes de troupe : un gouvernement de constitution définie et dont la juridiction était d’autant plus légitime et à respecter qu’elle s’exerçait sur un sol qui lui appartenait. »
– Louis Riel, 1885
Le 16 novembre 1885, le pouvoir colonial britannique a pendu le grand leader métis Louis Riel. Ce dernier a été accusé et trouvé coupable de haute trahison après la défaite des Métis à la bataille de Batoche en mai de la même année. L’exécution de Louis Riel était une façon de frapper la conscience de la nation métisse, mais le pouvoir colonial ne parvint pas à mettre fin à sa lutte pour ses droits et sa dignité en tant que nation. La lutte des Métis pour affirmer leur droit d’être et assumer la direction de leurs affaires politiques continue à ce jour.
Les deux grands soulèvements de la Rivière Rouge (1869-1870) et du Nord-Ouest (1885) n’étaient pas des éléments isolés. Ils ont eu lieu à une époque où les Premières Nations et la nation du Québec cherchaient à s’affirmer, au moment où régnait une effervescence révolutionnaire en Europe. Les soulèvements des Métis traduisaient une réponse au projet colonial britannique qui cherchait à reproduire l’État britannique en Amérique du Nord et à tenir en échec les aspirations légitimes des nations qui composaient le Canada.
L’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1867 et l’achat des Terres de Rupert de la Compagnie de la Baie d’Hudson par le gouvernement canadien en 1869-1870, juxtaposés au déclin de leur économie traditionnelle basée sur la chasse du bison, ont contraint les Métis à se doter d’un rapport de force avec les autorités coloniales et à négocier l’entrée dans la Confédération du Manitoba grâce à la mise sur pied d’une assemblée législative. L’esprit qui animait Riel et les membres du gouvernement provisoire à cette époque est contenu dans la Déclaration des habitants de la Terre de Rupert et du Nord-Ouest qui affirme la souveraineté des Métis sur leurs terres. Ces derniers refusaient également de reconnaître l’autorité du Canada, « […] qui prétend avoir le droit de venir nous imposer une forme de gouvernement encore plus contraire à nos droits et à nos intérêts […] ».
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La Loi du Manitoba, qui établissait le Manitoba en tant que province, a été votée au parlement fédéral en mai 1870. Le gouvernement n’a pas tardé à exercer son contrôle sur son nouveau territoire comme en font foi l’expédition militaire de Wolseley plus tard dans l’année – qui a contraint Riel à la fuite par crainte pour sa sécurité –, la création de la Police montée du Nord-Ouest (1873) et de la Loi sur les Indiens (1876). Le premier ministre John A. Macdonald s’est fait le champion de la colonisation de l’Ouest et du développement de l’agriculture avec la politique nationale qu’il a promue à partir de 1878. Avec l’aide des Oblats (les membres laïcs de l’Église catholique affiliés à une communauté monastique), les autorités ont cherché à sédentariser et à forcer les Métis à adopter le mode de vie agricole. Face à une existence marquée par ce cadre contraignant et sous la pression des spéculateurs fonciers, certains Métis vendirent les terres qui leur avaient été octroyées pour aller s’établir en Saskatchewan.
C’était aussi une époque où les nationalismes s’exprimaient. L’épisode du Manitoba fit prendre conscience aux Québécois de la fragilité de la situation des Métis alors que l’abolition de l’enseignement en français au Nouveau-Brunswick en 1871 indiquait le besoin d’organisation. Les sociétés nationales à la défense des droits et des intérêts des francophones, telles que les sociétés Saint-Jean-Baptiste, se répandirent à travers le continent en raison des vagues migratoires partant de la vallée du Saint-Laurent. La Convention nationale de Montréal en 1874 et les fêtes de la Saint-Jean-Baptiste à Québec en 1880 et à Windsor en 1883 ont rassemblé des délégations de toute l’Amérique française afin de démontrer avec force la vitalité de la « famille canadienne-française ». Les Acadiens ont tenu leur première Convention en 1881 où ils ont célébré et adopté une doctrine nationale.
Les chefs métis, sous l’influence du clergé, ne sont pas allés à contrecourant. Dès les lendemains de la Résistance de la Rivière-Rouge, fut fondée à Saint-Boniface l’Association Saint-Jean-Baptiste du Manitoba. Son vice-président n’était nul autre que Louis Riel. Cette association regroupait à ses débuts autant les Canadiens français que les Métis francophones.
Toutefois, conscients de leur identité distincte, les chefs métis voulaient façonner leur propre nationalisme. Riel en viendra à articuler un nationalisme proprement métis, doté d’une fête et de symboles nationaux propres. Ce processus culminera avec la création à Batoche en septembre 1884 de l’Association nationale des Métis afin de promouvoir le développement de leur conscience politique.
Les Métis ont pris les armes encore une fois pour affirmer leur nation et leur droit d’être lors de la Rébellion du Nord-Ouest de 1885. Pendant trois jours, du 9 au 12 mai 1885, 250 Métis ont affronté vaillamment 916 soldats des Forces canadiennes à Batoche, mais ont été vaincus et Riel s’est rendu.
Macdonald et son cabinet adoptèrent la ligne dure à l’endroit de Riel et de ses compagnons. Louis Riel fut jugé à Régina en juillet 1885. Le procès dura cinq jours. Le jury l’a reconnu coupable le 31 juillet, après seulement une demi-heure de délibérations, mais a demandé la clémence. Or, le juge Hugh Richardson, qui présidait au procès, l’a condamné à mort. De septembre 1885 à octobre 1886, plusieurs de ses camarades, tous autochtones, seront condamnés au même sort.
Si les temps ont changé, l’État canadien a hérité du pouvoir colonial et persiste à vouloir nier la nation métisse, les Premières Nations et la nation du Québec. La fière histoire de la lutte des Métis pour affirmer leurs droits en tant que nation n’est pas que pour les bouquins qui amassent la poussière, elle continue d’éclairer le présent. La lutte pour l’affirmation des droits qui appartiennent à tous du fait qu’ils sont humains est précisément la lutte pour des arrangements modernes centrés sur l’être humain. La vie de Louis Riel représente la lutte pour la reconnaissance des droits sur une base moderne.
La vie de Louis Riel est un legs important et toujours aussi pertinent aujourd’hui alors que l’État canadien fait tout ce qu’il peut pour nier les droits des Métis, des Premières Nations et de la nation du Québec, de même que les droits des travailleurs, des femmes, des jeunes, des minorités nationales et de tous les collectifs de la société, tout cela au nom de la sécurité, de l’équilibre, de l’austérité et d’autres faux idéaux.
(D’après un article de Marc-André Gagnon publié dans le Chantier politique, numéro 32, le 18 novembre 2013. Les photos proviennent des archives publiques.)
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