2 novembre 1917
106 anniversaire de la Déclaration de Balfour
Comment la Grande-Bretagne a détruit la Palestine, ma patrie
Cet article de Ramzy Baroud a été publié par Al-Jazeera le 2 novembre 2016, un an avant le centenaire de la Déclaration Balfour. Il a été reproduit dans LML 9 novembre 2016.
Quand j’étais enfant dans un camp de réfugiés à Gaza, j’attendais le 2 novembre. Ce jour-là, chaque année, des milliers d’étudiants et d’habitants du camp descendaient sur la place principale, brandissant des drapeaux et des pancartes pour la Palestine et condamnant la Déclaration Balfour.
À vrai dire, mon attente était motivée en grande partie par le fait que les écoles fermeraient inévitablement ce jour-là, et qu’après une confrontation courte mais sanglante avec l’armée israélienne d’occupation, je rentrerai tôt auprès de ma mère si aimante et je mangerai un snack et regarderai des dessins-animés.
À l’époque, je n’avais aucune idée de qui était réellement Balfour, et comment sa « déclaration » avait tout au long des années changé le destin de ma famille et, par conséquent, ma vie et aussi celle de mes enfants.
Tout ce que je savais, c’est que Balfour était une très mauvaise personne et qu’à cause de son terrible méfait, nous survivions dans un camp de réfugiés entourés d’une armée violente et d’un cimetière toujours en pleine expansion et rempli de « martyrs ».
Des décennies plus tard, le destin m’amènerait à visiter l’église de Whittingehame, une petite paroisse, où Arthur James Balfour est maintenant enterré.
Alors que mes parents et mes grands-parents sont enterrés dans un camp de réfugiés, un espace toujours tenu à part sous un siège perpétuel et des difficultés incommensurables, le lieu de repos de Balfour est une oasis de paix et de calme. La prairie toute vide tout autour de l’église serait assez grande pour accueillir tous les réfugiés de mon camp.
Et en définitive, je suis devenu pleinement conscient de pourquoi Balfour était une « très mauvaise personne ».
Autrefois premier ministre de Grande-Bretagne, puis ministre des Affaires étrangères à la fin de 1916, Balfour a promis ma patrie à un autre peuple. Cette promesse a été faite le 2 novembre 1917 au nom du gouvernement britannique sous la forme d’une lettre envoyée au leader de la communauté juive en Grande-Bretagne, Walter Rothschild.
À l’époque, la Grande-Bretagne n’avait même pas le contrôle de la Palestine, laquelle faisait encore partie de l’Empire ottoman. Quoi qu’il en soit, ma patrie n’a jamais été la propriété de Balfour pour qu’il puisse la transférer ainsi à l’aveuglette à quelqu’un d’autre. Sa lettre disait : « Le gouvernement de Sa Majesté considère favorablement l’établissement en Palestine d’un foyer national pour le peuple juif et mettra tout en oeuvre pour faciliter la réalisation de cet objectif, étant entendu que rien ne devra être fait qui puisse porter atteinte aux droits civils et religieux des communautés non juives existantes en Palestine, ou les droits et le statut politique dont jouissent les juifs dans tout autre pays. »
Il concluait : « Je vous serais reconnaissant de bien vouloir porter cette déclaration à la connaissance de la Fédération sioniste. »
Ironiquement, les membres du parlement britannique considèrent aujourd’hui que l’utilisation du terme « sioniste » est à la fois antisémite et abusive.
Le gouvernement britannique ne manifeste aucun remord après toutes ces années. Il n’a jusqu’à ce jour pris aucune mesure liée à une quelconque responsabilité morale, même symbolique, pour ce qu’il a fait endurer aux Palestiniens. Pire encore, il est maintenant occupé à vouloir contrôler le langage utilisé par les Palestiniens pour qualifier ceux qui les ont privés de leur terre et de leur liberté.
Balfour n’était de loin pas le seul responsable… Certes, la Déclaration porte son nom, mais en réalité, il était le fidèle agent d’un empire qui avait des plans géopolitiques à très grande échelle, non seulement concernant la Palestine mais aussi tout le monde arabe.
Juste un an plus tôt, un autre et sinistre document avait été signé, bien que secrètement. Il avait été approuvé par le haut diplomate britannique Mark Sykes et par François Georges-Picot du côté français. Les Russes furent informés de l’accord, car ils devaient également recevoir un morceau du gâteau ottoman.
Le document indiquait que, une fois les Ottomans vaincus, leurs territoires – dont la Palestine – seraient divisés entre les partis victorieux potentiels.
En fait, juste avant qu’il ne devienne premier ministre, David Cameron a déclaré, devant le groupe des « Conservateurs amis d’Israël », qu’il était lui aussi « sioniste ». Dans une certaine mesure, se déclarer sioniste reste un rituel à respecter pour certains dirigeants occidentaux…
L’accord Sykes-Picot, également connu sous le nom d’Accord pour l’Asie mineure, a été signé en secret il y a exactement 100 ans, deux ans après la Première Guerre mondiale. Il illustrait la nature brutale des puissances coloniales qui rarement associaient la terre et ses ressources aux peuples qui y vivaient et en avaient la propriété.
La pièce maîtresse de l’accord était une carte marquée de lignes droites par un crayon épais. La carte a déterminé en grande partie le sort des Arabes, en les divisant selon diverses hypothèses très hasardeuses de lignes tribales et sectaires.
Une fois la guerre terminée, le butin devait être divisé en sphères d’influence :
– La France recevrait les zones marquées (a), qui comprenaient la région du sud-est de la Turquie, le nord de l’Irak – y compris Moussol et sa région, et la plus grande partie de la Syrie et du Liban.
– Les zones qui revenaient aux Britanniques étaient marquées par la lettre (b), avec la Jordanie, le sud de l’Irak, Haïfa et Acre en Palestine, ainsi qu’une bande côtière entre la mer Méditerranée et le Jourdain.
– La Russie se verrait accordé Istanbul, l’Arménie et le détroit stratégique turc.
La carte improvisée consistait non seulement en lignes, mais aussi en couleurs, avec un langage qui prouvait bien que les deux pays considéraient la région arabe d’un point de vue purement matérialiste, sans porter la moindre attention aux répercussions possibles du découpage de civilisations entières dont l’histoire était faite de coopérations et de conflits.
On peut lire dans cet extrait de l’accord :
« … dans la zone bleue, la France, et dans la zone rouge la Grande-Bretagne seront autorisées à établir une administration ou un contrôle direct ou indirect, selon ce qu’ils désireront et qu’ils jugeront [nécessaire] à propos d’organiser un État arabe ou une confédération d’États arabes. »
La zone de couleur brune, quant à elle, a été désignée comme devant être sous administration internationale, dont la nature devait être décidée après de nouvelles consultations entre la Grande-Bretagne, la France et la Russie. Les négociations Sykes-Picot se terminèrent en mars 1916 et furent officielles, bien que signées secrètement le 19 mai 1916. La Première Guerre mondiale se termina le 11 novembre 1918, après quoi la division de l’Empire ottoman fut sérieusement entamée.
Les mandats britanniques et français ont été étendus sur des entités arabes divisées, tandis que la Palestine a été livrée au mouvement sioniste un an plus tard, quand Balfour a transmis la promesse du gouvernement britannique de sceller le destin de la Palestine, condamnant celle-ci à vivre dans une guerre et une instabilité perpétuelles.
L’idée des « artisans de la paix » occidentaux et des « honnêtes négociateurs », qui sont très présents dans tous les conflits du Moyen-Orient, n’est pas nouvelle. La trahison britannique des aspirations arabes remonte à plusieurs décennies. Les Britanniques ont utilisé les Arabes comme des pions dans leur « Grand Jeu » contre d’autres prétendants coloniaux, et uniquement pour ensuite les trahir tout en se présentant comme des amis à la générosité sans borne.
Nulle part ailleurs cette hypocrisie n’a été autant mise en évidence que dans le cas de la Palestine. À partir de la première vague de migration juive sioniste en Palestine en 1882, les pays européens ont contribué à faciliter l’immigration tout à fait illégale de colons, avec leurs ressources, s’installant dans de nombreuses colonies, grandes et petites.
Donc, quand Balfour a envoyé sa lettre à Rothschild, l’idée d’une patrie juive en Palestine était déjà une réelle possibilité.
Pourtant, de nombreuses et arrogantes promesses avaient été faites aux Arabes pendant les années de la Grande Guerre, alors que le leadership arabe auto-désigné se rangeait aux côtés des Britanniques dans leur guerre contre l’Empire ottoman. Les Arabes s’étaient alors vus promettre une indépendance immédiate, dont celle des Palestiniens.
L’idée dominante entre les dirigeants arabes était que l’article 22 du Pacte de la Société des Nations devait s’appliquer aux provinces arabes qui étaient gouvernées par les Ottomans. Il avait été dit aux Arabes qu’ils devaient être respectés en tant que « mission sacrée de civilisation », et que leurs communautés devaient être reconnues comme des « nations indépendantes ».
Les Palestiniens voulaient croire qu’ils étaient également inclus dans cette civilisation « sacrée » et méritaient tout autant leur indépendance. Leur attitude positive en juillet 1919, en tant que délégués et votants lors du Congrès pan-arabe qui a élu Faisal comme roi d’un État incluant la Palestine, le Liban, la Transjordanie et la Syrie, et leur soutien sans défaut à Sharif Hussein de La Mecque, étaient la preuve de leur désir d’une souveraineté si longuement convoitée.
Lorsque les intentions des Britanniques et leur collusion avec les sionistes sont devenues trop évidentes, les Palestiniens se sont rebellés, une rébellion qui 99 ans plus tard n’a jamais cessé, car les terribles conséquences du colonialisme britannique et de la main mise sioniste sur la Palestine n’ont cessé au fil de toutes ces années.
Les tentatives pour calmer la colère palestinienne n’ont servi à rien, surtout après que le Conseil de la Société des Nations en juillet 1922 ait approuvé les termes du Mandat britannique sur la Palestine – accordé initialement à la Grande-Bretagne en avril 1920 – sans consulter les Palestiniens. Ceux-ci vont alors disparaître des centres d’intérêt britanniques et internationaux, mais pour réapparaître comme des émeutiers sans grande importance, des fauteurs de troubles et des obstacles aux magouilles anglo-sionistes.
Malgré des assurances occasionnelles, l’intention britannique d’assurer l’installation d’un État exclusivement juif en Palestine devenait de plus en plus claire avec le temps.
La Déclaration Balfour n’avait rien d’une aberration, car elle a effectivement ouvert la voie au nettoyage ethnique à grande échelle qui a suivi, trois décennies plus tard.
Dans son livre Before Their Diaspora, le chercheur palestinien Walid Khalidi a bien mis en évidence la forte compréhension collective entre les Palestiniens sur ce qui s’était passé dans leur patrie il y a près d’un siècle :
« Le Mandat, dans son ensemble, a été considéré par les Palestiniens comme un condominium anglo-sioniste et ses termes comme un instrument pour la mise en oeuvre du programme sioniste. Il a été imposé [aux Palestiniens] par la force, et ceux-ci ont considéré qu’il était légalement et moralement invalide. Les Palestiniens constituaient la grande majorité de la population et possédaient la plus grande partie de la terre. Il était inévitable que la lutte qui en découlât serait centrée sur ce statu quo. Les Britanniques et les sionistes étaient déterminés à le renverser, les Palestiniens à le défendre et à le préserver. »
De fait, cette histoire reste en constante répétition : les sionistes ont revendiqué la Palestine et l’ont renommée « Israël » ; les Britanniques continuent de les soutenir, sans jamais cesser de vouloir flatter les Arabes ; le peuple palestinien reste une nation géographiquement fragmentée entre les camps de réfugiés, dans la diaspora, occupés militairement ou traités comme des citoyens de seconde zone dans un pays où ont vécu leurs ancêtres depuis des temps immémoriaux.
Alors que Balfour ne peut pas être rendu responsable de tous les malheurs qui ont frappé les Palestiniens depuis qu’il a communiqué sa courte mais infâme missive, la notion que sa « promesse » incarnait – celle d’un mépris total des aspirations du peuple arabe et palestinien – a été reprise d’une génération à l’autre par les diplomates britanniques, de la même façon que la résistance palestinienne au colonialisme a été transmise entre les générations.
Dans son essai dans Al-Ahram Weekly, intitulé « Vérité et réconciliation », le regretté professeur Edward Said écrivait : « Jamais la Déclaration Balfour ni le mandat n’ont spécifiquement concédé des droits politiques aux Palestiniens, en opposition aux droits civils et religieux en Palestine. L’idée d’une inégalité entre Juifs et Arabes a ainsi été bâtie initialement par la politique britannique, puis par les politiques israéliennes et étatsuniennes. »
Cette inégalité se poursuit, et en même temps la perpétuation du conflit. Ce que les Anglais, les premiers sionistes, les Américains et les gouvernements israéliens suivants n’ont pas compris et continuent d’ignorer à leur propre péril, c’est qu’il ne peut y avoir de paix sans justice ni égalité en Palestine, et que les Palestiniens continueront de résister tant que les raisons qui ont inspiré leur rébellion il y a près d’un siècle demeureront en place.
Quatre-vingt-dix-neuf ans plus tard, le gouvernement britannique doit toujours avoir le courage moral d’assumer la responsabilité du mal qu’il a fait au peuple palestinien.
Quatre-vingt-dix-neuf ans plus tard, les Palestiniens refusent plus que jamais que leurs droits en Palestine soient rejetés, que ce soit par Balfour ou par ses pairs modernes dans le « gouvernement de Sa Majesté ».
(Al-Jazeera 2 novembre 2016. Traduction : Chronique de Palestine)
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