106e anniversaire de la bataille de la crête de Vimy 9 au 12 avril 1917
Plus jamais le Canada ne doit servir de chair à canon aux intérêts impérialistes
Le 2 avril 1917, le Corps canadien, intégré à l’armée britannique et déployé à la crête de Vimy en France pendant la Première Guerre mondiale, a déclenché le plus important barrage d’artillerie jamais vu jusque-là dans l’histoire. Il a bombardé les tranchées allemandes pendant une semaine, utilisant plus d’un million d’obus. Les pièces d’artillerie allemandes étaient cachées derrière la crête, mais en observant le son et la lumière d’où provenaient les tirs, les Canadiens ont pu localiser et détruire près de 83 % des canons allemands.
Pour les Canadiens, le nom de la crête de Vimy a fini par avoir une certaine importance historique. C’était la première fois dans l’histoire du Canada qu’une formation de la taille d’un corps d’armée se battait en tant qu’unité – la 2e Division canadienne. Le succès de l’attaque, résultant d’une planification détaillée et d’une variété de tactiques innovatrices contrastant fortement avec ce qui s’était passé à la bataille de la Somme au printemps et à l’été de 1916, a scellé la réputation des Canadiens faisant partie des meilleures troupes sur le front de l’Ouest.
Comment les troupes canadiennes sont-elles devenues, soudainement et contre toute attente, si importantes ? Des formations de troupes alliées entières avaient été presque détruites lors de la première et de la deuxième bataille de la Somme. il n’était pas rare que les pertes de troupes dépassent 10 000 dans chaque camp.
À mesure que la lassitude de la guerre se manifestait de plus en plus ouvertement, le pouvoir et l’autorité des gouvernements de la Grande-Bretagne et de la France ne tenaient plus qu’à un fil. Ni les alliés dirigés par les Britanniques ni la Triple-Alliance commandée par les Allemands pouvait trouver une solution diplomatique au bourbier, un front immobile, dans lequel plus de cinq millions de soldats ainsi que l’avenir même de leurs pays respectifs étaient enfouis dans des tranchées.
En mars 1917, le front russe contre la Triple-Alliance s’est totalement effondré. Le tsar Nicolas II (« le sanguinaire ») avait abdiqué son autorité et l’avait remise à une coalition de la Douma (le parlement). Dans l’armée russe, les désertions se multipliaient et, en mars, c’est par divisions entières que les soldats désertaient le front.
Le 6 avril, alors que l’assaut de Vimy lui-même était en cours, les États-Unis ont déclaré la guerre à l’Allemagne impériale. Entrant en guerre du côté des Alliés, il est vite devenu évident comment cela allait avoir une incidence décisive sur l’issue de la guerre. En effet, une flotte d’aide et de ravitaillement, en rapide expansion, pour l’ensemble des Alliés s’est mise à affluer des États-Unis en Grande-Bretagne et les troupes américaines sont arrivés en France en juin.
Dans ces nouvelles circonstances, le gouvernement britannique s’est fixé une nouvelle priorité, celle de rapatrier le plus grand nombre de ses propres troupes et de ses blessés, laissant les Canadiens, Australiens et, de façon générale, la chair à canon coloniale, seuls à se battre et à mourir. En effet, tandis que les Britanniques profitaient de l’arrivée des États-Unis pour retirer leurs hommes et leur matériel, la cohésion politique du Canada était grandement menacée par un important débat sur la conscription qui s’imposait au pays. L’opposition des Québécois et leur refus de se battre pour l’empire britannique, leurs propres colonisateurs, furent qualifiés de « déloyauté à l’empire ».
Ces conditions et le nombre croissant de pertes humaines ont de plus en plus fait réaliser au peuple canadien la dure et horrible vérité de la nature impérialiste impitoyable et intéressée de la Grande-Bretagne, la soi-disant « mère-patrie ». Malgré l’apparence d’une affirmation large d’identité nationale canadienne, une profonde et vive colère grondait contre la mentalité et l’empressement criminels des Britanniques et de leur « Cabinet de guerre impérial » à entreprendre le pillage ou l’accaparement de territoires et de richesses d’autrui, puis le conserver, en combattant jusqu’au dernier soldat colonial.
Même s’il est souvent répété que « le Canada est devenu une nation » sous le feu des canons de la Triple-Alliance sur les champs de bataille de Vimy, il suffit d’y réfléchir un instant pour que le doute s’installe. Quel est ce cheminement sans précédent qui ferait en sorte que se battre et mourir comme chair à canon pour une puissance impériale étrangère transforme un peuple en une « nation » ?Tout au long de la guerre, les soldats canadiens n’étaient même pas commandés sur le terrain par leurs propres officiers.
En fait, pendant la Première Guerre mondiale, les Canadiens n’ont jamais réellement été sous la pleine autorité d’officiers canadiens, que se soit sur le champ de bataille ou à l’extérieur. Comme le rappelle de façon inoubliable le puissant film australien « Breaker Morant », ce sont les cours martiales britanniques qui ont exécuté les Canadiens, les Australiens et les autres soldats coloniaux accusés de « désertion » pour avoir été désorientés à cause d’un empoisonnement au gaz moutarde ou victimes de troubles post-traumatiques.
Les officiers canadiens passaient en fait énormément de temps à se disputer avec les commandants britanniques de l’Empire sur le nombre de troupes canadiennes devant être sacrifiées à telle ou telle étape de la bataille. La prise de la crête de Vimy elle-même par le Corps canadien a eu lieu sous le commandement du général britannique Julian H.G. Byng. Le général canadien Sir Arthur Currie avait été nommé chef d’état-major (responsable des tactiques et de la planification). Le général Currie désapprouvait les décisions de ses supérieurs qui lançaient sans fin ses troupes dans la mêlée, mais était impuissant à changer le cours des choses. Par exemple, les troupes canadiennes ont effectué de nombreux raids nocturnes dans les tranchées pendant l’assaut de Vimy, qui a duré une semaine, bien que le général Currie ait estimé que c’était un risque stupide et un gaspillage d’hommes. Ainsi l’affirmation « nationale » des Canadiens au cours de la Première Guerre mondiale était sous-tendue par un mécontentement à l’égard des ordres hiérarchiques de ce genre.
La « naissance » du Canada en tant que nouvelle nation avait comme objectif d’avoir un autre béni-oui-oui parmi les puissances victorieuses à la Conférence de paix de Versailles – dans laquelle, comme toujours, le plus grand nombre était subordonné à une poignée de pays privilégiés. On y a promis l’autodétermination aux nations qui constituaient les anciens territoires des empires austro-hongrois et de l’empire tsariste en paroles seulement, sur des territoires tracés de manière à y incorporer des minorités nationales en conflit, ce qui rendrait l’autodétermination impossible dans les faits. Les nations qui faisaient partie de l’empire ottoman ont été converties en « mandats » des puissances dirigeantes victorieuses (notamment : la Palestine est passée aux mains des Britanniques, la Syrie et le Liban à la France, etc.).
Quant au Canada, la fameuse reconnaissance « nationale » tant vantée par les autres puissances n’était guère plus qu’un droit d’être consulté avant que le gouvernement britannique n’annonce l’envoi de troupes coloniales vers un futur point névralgique de son empire. Chez nous, au Canada même, en revanche, cet alignement avec les puissances victorieuses allait de pair avec une plus grande négation du droit des Québécois à l’autodétermination, en plus de ne pas permettre aux Six Nations de participer à la Ligue des Nations, etc.
L’élite dirigeante installée à Montréal, Toronto et Ottawa a sacrifié 60 000 Canadiens tués et 170 000 blessés au cours de la Première Guerre mondiale sans broncher. Ce nombre de victimes représentait près d’un Canadien sur cinquante de la population de l’époque. Selon les calculs des riches, c’était le prix d’entrée pour aller jouer au grand casino de la finance internationale. De cette façon, elle pouvait recueillir des sources d’investissement étrangers et brader l’accès aux riches ressources naturelles à des groupes d’investisseurs intéressés en échange d’un autre vote favorable au front uni anglo-américain..
Le niveau de carnage des Canadiens était certainement aussi élevé que dans les autres pays. Durant les batailles à la crête de Vimy seulement, il y a eu un nombre ahurissant de morts et de blessés de chaque côté. Sur 16 kilomètres de la crête, près de 200 000 hommes ont péri : Français, Britanniques, Canadiens et Allemands. Si l’on considère qu’il y avait habituellement trois blessés pour chaque homme tué, l’ensemble des pertes à Vimy pendant la guerre peut être estimé à 800 000.
Le peuple canadien s’est prononcé à plusieurs reprises sur le caractère inacceptable des guerres impérialistes.
Les jeunes doivent condamner ces tentatives d’assimiler le massacre de la jeunesse canadienne à l’édification d’une nation et le fait de devenir une nation, ou avec la liberté, la démocratie et les droits humains. L’histoire démontre comment ces guerres sont contraires à toute notion du droit du peuple à l’édification nationale et à la liberté, la démocratie et aux droits humains. Pour l’élite dirigeante du Canada, la seule vision de la nation qu’elle peut mettre de l’avant est celle où les ressources du Canada et le sang de la jeunesse canadienne sont mis à la disposition des bâtisseurs d’empire. Cela montre la nécessité de développer notre propre projet d’édification nationale. Pour honorer les morts de la crête de Vimy, nous devons dire « Plus jamais ! ». Nous devons faire du Canada une force pour la paix dans le monde, et non une source de chair à canon pour les bâtisseurs d’empire. Nous devons lutter pour un gouvernement anti-guerre !
À titre d’information
La guerre éclate en 1914 à cause des crises dans lesquelles sont plongées les puissances coloniales européennes. Leur course aux colonies a depuis longtemps donné lieu à une lutte acharnée pour la domination dans un contexte où la lutte anti-coloniale fait également rage. La concurrence entre les puissances européennes pour se repartager le monde qu’elles avaient déjà divisé entre elles a conduit à la guerre. La plus forte des puissances est la Grande-Bretagne, qui possède l’empire le plus étendu de l’histoire du monde. En 1921, le quart de la population mondiale vit sous la domination britannique, la plupart sans rien qui ressemble à un gouvernement autonome démocratique.
Au Canada, les conservateurs qui étaient au pouvoir à l’époque considéraient cet empire comme l’incarnation des valeurs civilisées et affirmaient que l’avenir du Canada était d’être partenaire de l’empire. Ils affirment que le Canada, en tant que dominion autonome arrivé à maturité, est prêt à partager le pouvoir et la responsabilité avec la Grande-Bretagne dans l’administration de l’Empire. L’Australie, la Nouvelle-Zélande et l’Afrique du Sud pourraient suivre plus tard, à mesure que ces colonies se développeront davantage.
Pour prouver la capacité du dominion à contribuer à la croissance de l’empire, le Canada apportera une contribution financière directe à la marine britannique, qui est en pleine course aux armements avec l’Allemagne. Lorsque la Première Guerre mondiale éclate, le Canada entre automatiquement en guerre parce que la Grande-Bretagne ne lui a pas accordé le contrôle de sa politique étrangère. Les conservateurs considèrent avec enthousiasme la guerre comme une nouvelle occasion pour le Canada de prouver sa maturité comme colonie en apportant une forte contribution à l’effort de guerre. C’est dans ce contexte que 60 000 Canadiens ont péri dans les tranchées putrides et infestées de maladies de l’Europe de l’Ouest.
La Grande-Bretagne, bien sûr, n’a jamais eu l’intention de partager le pouvoir dans l’Empire avec l’élite politique et économique canadienne, mais elle n’était que trop heureuse de voir les ressources du Canada mises à la disposition de sa guerre impérialiste et d’avoir des Canadiens comme chair à canon à la disposition de ces généraux britanniques qui payaient pour leurs postes.
La situation de la classe ouvrière au Canada était désastreuse. Dans les années précédant la guerre, le pays était en proie à une récession économique. Les programmes d’aide sociale, appelés « secours », ne suffisent pas, et ceux qui partent vers l’Ouest pour trouver du travail se retrouvent sans abri, vivant dans des villes de tentes et des cabanes. De nombreux jeunes hommes, à qui l’on avait dit qu’ils seraient de retour à la maison pour Noël, se sont enrôlés pour trois repas par jour et un chèque de paie à envoyer à leur famille. Ils ne s’attendaient certainement pas à quatre années de guerre brutale dans les tranchées.
Cependant, le recrutement volontaire ne suffit pas à satisfaire la machine de guerre impérialiste et, en 1917, le premier ministre Robert Borden revient sur sa promesse de ne jamais introduire la conscription. Robert Borden a demandé un mandat pour instaurer la conscription et les élections de cette année-là ont donc été disputées entre une coalition de conservateurs et de libéraux qui appuyaient la conscription et ceux qui s’y opposaient. Le Québec, en particulier, reconnaît la guerre pour ce qu’elle est, un bain de sang à la poursuite des intérêts de l’Empire britannique, et c’est dans cet esprit que Wilfrid Laurier organise des candidats qui s’opposent à la conscription.
Face à cette opposition, Robert Borden se donne beaucoup de mal pour assurer sa réélection. Tout d’abord, le droit de vote est étendu aux épouses, aux mères et aux soeurs des hommes qui servent à l’étranger, sachant que dans ces circonstances, les familles des soldats seraient très vulnérables à la propagande en faveur de la conscription. Aucune autre femme ne pouvait voter. Les votes des soldats à l’étranger sont attribués aux circonscriptions qui ont besoin de quelques voix supplémentaires en faveur de la conscription. Il a fallu pour cela modifier la loi afin que les bulletins de vote des soldats à l’étranger ne soient pas obligatoirement envoyés dans la circonscription où la personne vivait à l’origine. Les objecteurs de conscience sont privés du droit de vote, ainsi que toute personne née dans les empires allemand, austro-hongrois ou ottoman qui a immigré au Canada après 1902.
Un autre aspect important est l’internement des personnes considérées comme des « étrangers ennemis », c’est-à-dire des personnes originaires de pays faisant partie des empires allemand, austro-hongrois et ottoman. Les dossiers montrent que les Canadiens d’origine ukrainienne étaient disproportionnellement plus susceptibles d’être internés, malgré leur haine de l’Empire austro-hongrois. Sur le front intérieur, il y avait une campagne de propagande dans laquelle la guerre était présentée comme un conflit entre la « civilisation occidentale » et la « barbarie orientale » et les Allemands étaient décrits comme des « Huns assoiffés de sang » et généralement dépeints comme non civilisés et moins qu’humains.
L’internement était effectué sur la base du fait que les personnes internées étaient susceptibles d’être loyales envers l’ennemi et étaient une menace pour la sécurité nationale. C’était une menace puissante pour tous ceux qui s’opposaient à la guerre impérialiste et à la conscription. L’internement fournissait également de la main-d’oeuvre forcée qui servaient l’effort de guerre. L’internement avait décliné et était pratiquement tombé en désuétude alors que les besoins en main-d’oeuvre augmentait, mais en 1917, il a connu une recrudescence instantanée. Après la Révolution d’Octobre en Russie, qui a constitué un gouvernement anti-guerre, les travailleurs d’origine russe et finlandaise ont été ajoutés à la liste des nationalités étrangères ennemies.
L’année 1917 est une période de résistance et d’organisation accrues de la classe ouvrière. En 1917 le nombre de grèves atteint un record, représentant plus d’un million de journées de travail perdues. Les actions courageuses des travailleurs contre leur exploitation brutale sont assimilées par le gouvernement à des « sympathies pour l’ennemi » et leur organisation politique à une « sédition ».
La Loi sur les mesures de guerre en vertu de laquelle l’internement a eu lieu a été maintenue bien après la fin de la guerre et a été utilisée pour briser les grèves, par exemple celle des United Mine Workers of Alberta qui ont organisé les mineurs de charbon dans les Rocheuses. Les participants à la grève générale de Winnipeg de 1919 ont été internés en tant que « étrangers ennemis » et le gouvernement a modifié la Loi sur l’immigration pour permettre l’expulsion des dirigeants de la grève nés en Grande-Bretagne. En vertu de la Loi sur les mesures de guerre, la presse en langue étrangère est censurée, mais des exceptions sont faites pour les journaux qui soutiennent la politique gouvernementale.
La crête de Vimy est citée comme un exemple de l’avènement du Canada en tant que nation. L’ancien premier ministre Stephen Harper, sous l’égide duquel a été commémoré en France le 100e anniversaire de la bataille de la crête de Vimy, a déclaré que « les quatre divisions du Corps canadien – servant ensemble pour la première fois à Vimy – ont fait une déclaration puissante pour défendre nos valeurs, les valeurs intemporelles et universelles de toutes les nations civilisées, les valeurs que nous chérissons encore aujourd’hui : la liberté, la démocratie et les droits de la personne. »
Comme ce fut le cas pour la guerre de 1917, les guerres des États-Unis et de l’OTAN auxquelles le Canada a participé sont menées sous le couvert de grands idéaux au mépris de la souveraineté, de la démocratie et des droits humains. La guerre contre l’Afghanistan a été dépeinte comme un conflit entre la civilisation occidentale et les barbares ou le despotisme orientaux. Hier comme aujourd’hui, l’opposition à la guerre est qualifiée d’anti- canadienne et est criminalisée. D’autres attaques contre les travailleurs et les jeunes sont justifiées au nom de la sécurité nationale.
(D’après un article original de Nathan Freeman sur le 100e anniversaire de la crête de Vimy. Centre de ressources Hardial Bains.)
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