30 octobre 1995
27e anniversaire du référendum de 1995
Les droits de la nation québécoise et une constitution moderne du Québec et du Canada restent à l’ordre du jour
Le 30 octobre 2022 est le 27e anniversaire du référendum historique tenu en 1995 sur la souveraineté du Québec. Il est instructif d’examiner ce qui s’est passé à cette époque et de revoir l’importance de cet événement.
À l’été 1995, le gouvernement du Parti québécois de Jacques Parizeau déposait à l’Assemblée nationale du Québec le projet de loi numéro 1 sur l’avenir du Québec, aussi appelé Loi sur la souveraineté. C’était un geste audacieux du gouvernement du Parti québécois après vingt années d’échec des pourparlers sur l’adhésion du Québec à la Confédération et à la suite du refus du gouvernement libéral de répondre aux revendications du Québec sur la réforme constitutionnelle.
L’élection du Parti québécois de René Lévesque en 1976 a clairement démontré la volonté du peuple québécois d’obtenir la reconnaissance de son droit d’être souverain et de décider lui-même de ses droits économiques, politiques, sociaux et culturels et de faire un pas en avant pour consolider les acquis de la Révolution tranquille.
Au lieu de reconnaître la nécessité de moderniser la Constitution et de reconnaître les revendications légitimes du peuple québécois, les élites politiques du Canada ont tout fait pour les écarter et isoler le Québec. Les forces fédéralistes opposées au changement, avec à leur tête le Parti libéral de Pierre Elliott Trudeau, ont utilisé l’échec essuyé par René Lévesque au référendum de 1980 pour rapatrier la Constitution en 1981 sans le consentement du Québec, un des « deux peuples fondateurs » du Canada.
Par cette manoeuvre, Pierre Elliott Trudeau cherchait à diminuer unilatéralement le rôle de l’Assemblée nationale du Québec et à dépouiller de facto le Québec de son veto au sein de la Confédération. Les arrangements en vigueur dataient de la Confédération de 1867, lorsque le Québec a été uni à trois autres dominions. Parce que les trois autres dominions étaient « à prédominance anglaise et protestante », l’Acte de l’Amérique du Nord britannique avait accordé au Québec une compétence en matière de langue, de confession et de droit civil pour assurer son adhésion à la Confédération. Comment un gouvernement du Canada peut-il déclarer que ces arrangements peuvent être modifiés sans le soumettre à un vote au Québec ?
Lorsque Pierre Elliott Trudeau a cherché à rapatrier unilatéralement la Constitution en 1981, le gouvernement du Parti québécois a immédiatement lancé une contestation judiciaire. La Cour suprême a jugé que le rapatriement était « légal mais illégitime ». La Cour suprême a reconnu que le fait de réduire le Québec au statut d’une province parmi dix autres était une rupture trop radicale par rapport aux arrangements conclus en 1867, qui étaient fondés sur un équilibre entre les droits tels qu’ils étaient pratiqués en 1867.
Cette décision de la Cour suprême a mené à la fameuse « nuit des longs couteaux » du 4 novembre 1981, lorsque Pierre Elliott Trudeau et Jean Chrétien ont profité d’une conférence fédérale-provinciale pour conclure en pleine nuit des ententes avec sept provinces dans le dos des délégués du Québec. Jean Chrétien était ministre de la Justice du gouvernement Trudeau et dans cette fonction il avait eu la responsabilité de rallier les forces du « non » au référendum de 1980 sur la souveraineté du Québec. Ensuite, en tant que ministre chargé des négociations constitutionnelles, responsable de la rédaction de la Charte des droits et libertés de 1982 et du rapatriement de la Constitution, il a eu pour rôle de voir à leur adoption.
Cette basse manoeuvre du gouvernement Trudeau visait à isoler davantage le Québec et à rendre « légitime » par des moyens contournés ce qui avait été déclaré illégitime par la Cour suprême. Seul le Québec s’est opposé au rapatriement de la Constitution.
Ces événements ne peuvent être oubliés, qu’importe les manoeuvres présentes et futures, parce que le besoin de modernisation constitutionnelle est objectif. La brutalité des moyens utilisés par l’establishment anglo-canadien pour écarter le problème a montré l’aversion du gouvernement libéral de Pierre Elliott Trudeau à répondre aux justes revendications du Québec et à la nécessité de nouveaux arrangements et d’une constitution moderne. Cela allait ouvrir un chapitre particulièrement honteux de tentatives répétées de marginaliser le Québec par tous les moyens possibles.
Le projet de loi 1 du gouvernement du Parti québécois est le résultat du travail des forces souverainistes pour réparer les dommages causés par l’attaque de Trudeau contre les droits du Québec. L’objectif déclaré du projet de loi numéro 1 du gouvernement du Parti québécois était de donner à l’Assemblée nationale le pouvoir de déclarer la souveraineté du Québec et de réclamer « le pouvoir exclusif de faire toutes ses lois, de percevoir tous ses impôts et de conclure tous ses traités ». Il prévoyait la rédaction d’une nouvelle constitution du Québec, le maintien des frontières actuelles du Québec, la création d’une citoyenneté québécoise, l’utilisation du dollar canadien et le maintien des lois et programmes sociaux en vigueur. Il prévoyait aussi que le gouvernement du Québec propose un traité de partenariat avec le reste du Canada basé sur l’« entente tripartite » signée le 12 juin 1995 par le chef du Parti québécois, Jacques Parizeau, le chef du Bloc québécois, Lucien Bouchard, et le chef de l’Action démocratique, Mario Dumont. Cette entente contenait certaines propositions convenues par les trois chefs qu’un Québec souverain ferait au Canada pour définir les relations entre les deux pays.
Le projet de loi a vite trouvé un grand appui dans la société québécoise parce que le moment était opportun et les conditions favorables à la déclaration de la souveraineté du Québec. Les forces progressistes du Québec et du Canada ont également reconnu qu’il était urgent d’établir un nouveau partenariat économique et politique entre le Québec et le Canada. Le référendum de 1995 s’imposait comme façon de briser l’impasse créée par l’intransigeance des libéraux (et du gouvernement fédéral) envers la souveraineté du Québec ainsi qu’envers le renouveau démocratique et un nouveau partenariat économique et politique entre le Québec et le Canada.
Le mécontentement face aux arrangements constitutionnels en vigueur avait pris de l’ampleur partout au Canada, pas seulement au Québec. Le Forum des citoyens sur l’avenir du Canada de 1990, auquel les gens ont participé en très grand nombre, a montré que les Canadiens ne faisaient pas assez confiance aux politiciens pour les laisser rédiger la constitution et réclamaient des changements en profondeur du processus politique.
Le fait que le rapatriement de la Constitution de 1982 ne garantisse pas les droits politiques, sociaux et économiques a également suscité des protestations et des contestations constitutionnelles. Les peuples autochtones du Canada continuent d’exiger la reconnaissance de leurs droits ancestraux. Les enquêtes sur la maltraitance des enfants autochtones dans les pensionnats « indiens » au début des années 1990 ont révélé comme jamais auparavant l’héritage colonial raciste du Canada envers les peuples autochtones, la négation de leurs droits et les conditions de pauvreté et de négligence dans lesquelles ils ont été abandonnés. Les luttes historiques pour les revendications territoriales que les arrangements constitutionnels en place n’avaient pas permis de résoudre heurtaient directement les grands projets énergétiques des monopoles privés et publics, comme ceux d’Hydro-Québec, sur les terres non cédées. La « crise d’Oka » de 1990 a marqué le début d’un nouveau mouvement de résistance des Premières Nations pour l’affirmation de leurs droits.
La nécessité de changement s’était répandue à toute la société, dans les cercles politiques et intellectuels ainsi que dans les syndicats et dans toutes les régions du Québec.
Le Parti progressiste-conservateur de Brian Mulroney a proposé l’Accord du lac Meech, initialement approuvé par les premiers ministres et qui devait être entériné par les assemblées législatives des provinces avant l’échéance du 23 juin 1990. Bien que l’Accord du lac Meech fut inadéquat à bien des égards, beaucoup au Québec l’ont appuyé parce qu’il rétablissait le droit de veto du Québec et contenait une clause sur la société distincte qui, pensait-on, mènerait à la réconciliation avec le Québec et ouvrirait la porte à la possibilité d’une autre réforme constitutionnelle.
Lucien Bouchard, qui allait fonder le Bloc québécois en 1991, explique dans son livre À visage découvert qu’il a rejoint le Parti conservateur en 1988 comme dernière tentative de « réconciliation nationale » après la trahison de Trudeau. Il dit s’être joint aux conservateurs parce que Brian Mulroney s’était engagé à « réparer le gros du préjudice infligé au Québec et lui redonner un siège à la table de discussions […] il serait possible ensuite de refaire en profondeur la répartition des pouvoirs ».
L’Accord du lac Meech a échoué. Pour le Québec c’était une autre preuve que les élites politiques du Canada n’accepteraient jamais ne serait-ce même qu’une version diluée des droits du Québec. Durant la période qui a mené à l’échec, le Nouveau-Brunswick et Terre-Neuve sont revenus sur leur décision et les élites ont créé une atmosphère de « Quebec bashing ». Pour éviter l’échec le Parti progressiste-conservateur a créé un comité d’étude présidé par Jean Charest, alors ministre conservateur fédéral, pour examiner les demandes de différentes provinces. Plusieurs éléments centraux de l’accord ont été modifiés. Les libéraux de Jean Chrétien et d’autres inspirés par leur ancien chef, Pierre Elliott Trudeau, ont accusé les Québécois d’être racistes et d’être des traîtres à la nation. Le Québec se voyait donner un ultimatum pour renoncer à ses droits.
Après l’échec de l’Accord du lac Meech, le gouvernement libéral du Québec de Robert Bourassa, en collaboration avec Jacques Parizeau et le PQ, a mis sur pied la Commission Bélanger-Campeau, une commission parlementaire élargie de l’Assemblée nationale du Québec qui comprenait des députés fédéraux, des chefs syndicaux et des représentants des entreprises, des élus municipaux et des représentants du monde des arts.
À l’automne 1990, les 36 commissaires ont examiné 600 mémoires, consulté 35 spécialistes et entendu 235 groupes et organismes. Les travaux de la Commission Bélanger-Campeau, ont clairement démontré que la grande majorité des Québécois rejetait les vieux arrangements confédéraux.
Dans le contexte des débats au Québec sur la nécessité d’un véritable changement constitutionnel et la reconnaissance des droits de la nation du Québec, le Bloc québécois a réussi à définir son rôle pour défendre les intérêts de la nation québécoise au parlement fédéral. Dans les circonstances, il a capté l’imagination du peuple québécois et, lors de l’élection fédérale de 1993, le Bloc a remporté 54 des 75 sièges de la députation québécoise et est même devenu l’opposition officielle à la Chambre des communes. Cette grande victoire électorale du peuple québécois a plongé le parlement fédéral dans une crise dont il ne s’est jamais remis. Pour la première fois dans l’histoire du système parlementaire canadien, l’opposition officielle n’était pas un représentant de l’élite politique du Canada, mais bien le représentant direct de la nation québécoise. Ni Chrétien ni aucun autre libéral ou conservateur ne pouvait prétendre représenter le Québec et pour la première fois de son histoire le parlement avait des souverainistes québécois qui parlaient en leur propre nom à Ottawa.
Le parlement a perdu son équilibre fondé sur un système bipartite — un parti au pouvoir et un parti d’opposition qui, ensemble, pouvaient prétendre représenter l’ensemble de la population du pays.
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Le projet de loi référendaire a été adopté en première lecture à l’Assemblée nationale et une copie du projet de loi a été envoyée par le gouvernement à tous les foyers du Québec avec une copie de l’Entente tripartite Parizeau-Bouchard-Dumont en vue du référendum.
En septembre 1995, Jacques Parizeau a annoncé à l’Assemblée nationale que le référendum aurait lieu le 30 octobre et que le libellé de la question posée aux Québécois et Québécoises serait :
« Acceptez-vous que le Québec devienne souverain, après avoir offert formellement au Canada un nouveau partenariat économique et politique, dans le cadre du projet de loi sur l’avenir du Québec et de l’entente signée le 12 juin 1995 ? Oui ou non. »
Durant la période précédant le référendum, les libéraux de Jean Chrétien et le chef d’alors du Parti libéral du Québec, Daniel Johnson, ont dressé tous les obstacles possibles à une discussion sereine sur les besoins de la nation québécoise et la nécessité d’une constitution moderne pour le Canada. Ils ont recouru au mensonge, à la déformation, aux menaces et au chantage pour subvertir tout effort de discussion raisonnable.
Les forces de l’establishment se sont engagées dans des violations ouvertes de la Loi référendaire du Québec, notamment en ce qui concerne les limites des dépenses qui ont été violées par le camp du « Non » en toute impunité.
Ces violations ont finalement fait l’objet d’une enquête en 2006 après que le directeur général des élections du Québec ait demandé au juge Bernard Grenier d’enquêter sur les allégations de dépenses illégales du camp du « Non » et d’Option Canada, un groupe de pression associé aux grandes entreprises et qui a fait des dons tant au Parti libéral qu’au Parti conservateur. Le juge a conclu que 539 000 $ ont été dépensés illégalement par le comité du « Non » durant la campagne référendaire de 1995, sans compter celles du « rassemblement pour l’unité » du 27 octobre 1995.
À la suite à la publication du rapport du juge Grenier en 2007, des voix se sont élevées pour exiger une enquête fédérale complète sur les violations de la loi référendaire du Québec et la demande a été soulevée au parlement canadien par le Bloc québécois et les auteurs du livre Les secrets d’Option Canada. Toutes les demandes d’enquête ont été rejetées par le premier ministre Stephen Harper.
Le résultat du référendum est bien connu. Malgré une différence de vote de moins de 1 %, les libéraux de Jean Chrétien ont proclamé avec arrogance que c’était une « victoire contre le séparatisme » et ont refusé de reconnaître que de graves problèmes constitutionnels restaient sans solution.
À ce jour, la demande de nouveaux arrangements et d’une constitution moderne qui convient à une société moderne restent sans réponse.
Au cours de leur dernière année au pouvoir, les conservateurs de Harper, de concert avec le Parti libéral, ont continué de nier les droits nationaux du peuple québécois et la nécessité d’une nouvelle constitution. Les conservateurs de Stephen Harper ont adopté le Projet de loi C-51, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur le ministère de la Justice et apportant des modifications corrélatives à une autre loi, et ont même menacé de criminaliser le mouvement pour la souveraineté du Québec en qualifiant de traîtres ceux qui menaceraient « l’intégrité territoriale du Canada ». Cette loi a été maintenue par les libéraux de Justin Trudeau qui sont revenus sur leurs promesses électorales d’y apporter des modifications importantes.
Après le référendum, il est devenu pratique courante d’entendre tous les partis cartellisés qui ont des députés à la Chambre des communes, les conservateurs, les libéraux, les néodémocrates et même le Parti vert, refuser d’aborder la nécessité d’un changement constitutionnel. Ils ont tous affirmé que personne n’était intéressé à ouvrir la Constitution, et que la discussion sur la Constitution raviverait les vieilles controverses et serait contre-productive.
Des questions comme l’abolition du Sénat, la réduction des transferts fédéraux en matière de santé et les paiements de péréquation, la Loi sur la clarté référendaire (qui déclare que le Québec ne peut se séparer unilatéralement du Canada ; toutefois, un vote clair sur une question claire de sécession dans le cadre d’un référendum devrait mener à des négociations entre le Québec et le reste du Canada en vue de la sécession) et le rôle des conférences des premiers ministres – toutes ces questions ont été discutées comme étant des questions séparées, sans tenir compte de la nécessité évidente d’une constitution moderne assortie de nouveaux arrangements pour remplacer l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, les arrangements archaïques imposés par le colonialisme britannique au XIXe siècle.
Le 27e anniversaire du référendum de 1995 au Québec survient au moment du décès de la reine Élizabeth II et de la proclamation de Charles III comme roi du Canada. Le refus de 14 députés québécois de l’Assemblée nationale du Québec de prêter le serment d’allégeance au roi d’Angleterre, dit aussi roi du Canada et du Québec, appelle à une discussion élargie sur la nécessité d’une constitution moderne qui soit favorable au peuple en lui permettant de s’orienter dans le déluge de désinformation qui s’est déjà déchaîné à la Chambre des communes sur cette question.
(Compte rendu historique basé sur un article de Louis Lang écrit à l’occasion du 20e anniversaire du référendum de 1995 publié dans le LML du 28 octobre 2015)
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