24 juin 1497
Le début du « Dominion, du titre et de la juridiction » de la Grande-Bretagne sur le Canada
Le 24 juin 1497, le navigateur vénitien Giovanni Caboto (Jean Cabot), mandaté par Henri VII d’Angleterre, débarque à Terre-Neuve. Croyant qu’il s’agissait d’une île située au large de l’Asie, il la baptisa Terre Nouvelle. Chargé par ce roi de « soumettre, occuper et posséder » les terres des « païens et des infidèles », Cabot a fait une reconnaissance de la côte de Terre-Neuve et a débarqué sur la côte nord de ce qui est aujourd’hui l’île du Cap-Breton en Nouvelle-Écosse.
Jean Cabot est arrivé avec les mêmes convictions que celles des colonialistes espagnols plus au sud. Ainsi, les lettres patentes délivrées à Jean Cabot par le roi Henri VII donnaient à l’explorateur l’instruction de s’emparer des terres et des centres de population des territoires « nouvellement fondés » afin d’empêcher d’autres nations européennes concurrentes de faire de même :
« Et voulons que ledit Jean et ses fils, ou leur héritiers et associés, soumettent, occupent et possèdent toutes les dites villes, cités, châteaux et isles par eux découvertes, comme nos vassaux et lieutenans, nous réservant le domaine, la souveraineté et la juridiction des mêmes villages, villes, châteaux et terre ferme ainsi découverte[1]. »
Alors que le roi a donné à Jean Cabot « la pleine et libre autorité, permission et puissance de naviguer dans tous les pays, contrées et mers d’orient, d’occident et du nord » afin « de chercher, découvrir et trouver quelques isles, contrées, régions ou provinces que ce puisse être, appartenantes aux Païens ou Infidèles, et dans quelque partie du monde que ce soit », il y avait une mise en garde importante. La permission donnée à Cabot ne s’appliquait qu’aux terres « jusqu’à présent inconnues à tous les Chrétiens ».
Avec cette permission impériale de mener une guerre sans fin de pillage contre les non-chrétiens, Jean Cabot et « ses fils, héritiers ou associés » ont acquis le droit exclusif de régner en tant que « vassaux et lieutenans » du roi. En échange, ils étaient « tenus et obligés » de payer au roi Henri « en argent ou en marchandises la cinquième partie [20 %] du profit entier de tous les fruits, profits, gains et marchandises ». Le « profit » était défini comme « tous les fruits, profits, gains et marchandises ».
Lorsque Jean Cabot est retourné en Angleterre le 6 août 1497, il a emmené trois Mi’kmaq avec lui, introduisant ainsi l’esclavage en Amérique du Nord. Cela pourrait être la raison de sa disparition lorsqu’il est retourné à Terre-Neuve avec cinq navires en 1498. Lorsque ses navires sont arrivés au nord de l’île du Cap-Breton, les Mí’kmaq les ont attaqués. Un seul navire est retourné en Angleterre, les quatre autres, avec Jean Cabot comme capitaine, ne sont jamais revenus.
La Charte royale stipulait que le roi Henri VII prenait possession « du dominion, du titre et de la juridiction » sur toutes les terres « découvertes » par Cabot. C’est le fondement sur lequel a été créé le « Dominion du Canada », en tant que supposée entité juridique. Jean Cabot, partant de Bristol, un port stratégique de la traite atlantique des esclaves, représentait les maisons de commerce, d’échanges et d’expédition, comme Lloyds de Londres et la Banque Barclays, qui ont amassé une richesse fabuleuse grâce à l’enlèvement d’Africains et qui ont ensuite financé à l’aide de leur butin la confédération néocoloniale du Canada, créée en 1867 et ses chemins de fer. À son retour en Angleterre, Caboto a fait ses récits à propos d’une mer grouillante de poissons. Les flottes de pêche coloniales européennes ont commencé à faire des voyages vers les Grands Bancs chaque été.
Au début, les Mi’kmaq et les Béothuks, même si c’était parfois avec réticence, ont traité les visiteurs comme des égaux politiques à bien des égards importants et étaient prêts à faire du commerce et à permettre aux Européens de débarquer brièvement et de sécher la morue.
En 1500, Gaspar Corte-Real, un marchand d’esclaves financé par le Portugal, a capturé plusieurs Mi’kmaq. Il a parcouru les côtes de Terre-Neuve et du Labrador avec trois navires et enlevé 57 « hommes esclaves » (Béothuk) pour les vendre afin de financer le coût de l’expédition et réclamer les terres au nom du Portugal. Sa conviction que Nitassinan regorgeait de prisonniers potentiels l’a amené à l’appeler Labrador, « la source de matière pour le travail ». Le navire sur lequel il se trouvait a été perdu en mer, bien que deux de ses autres navires soient retournés au Portugal.
En 1504, les Bretons pêchaient au large des côtes du pays des Mi’kma’ki. En 1507, des pêcheurs normands ont emmené sept autres prisonniers béothuks en France. Cela a nui à toutes les relations futures entre les Béothuk, les Mi’kmaq et les pêcheurs.
Le développement des pêcheries de l’Atlantique, une source apparemment inépuisable de protéines bon marché, est inextricablement lié à la traite des esclaves de l’Atlantique qui a permis le développement du système capitaliste et la consolidation des États nationaux en Europe. Plus tard, il a constitué la base de la richesse des grandes familles de la Nouvelle-Écosse et de la Nouvelle-Angleterre coloniales, ainsi que des grands hommes politiques comme John A. Macdonald, le « père de la Confédération », qui a épousé la fille d’un propriétaire d’esclaves en Jamaïque.
Le 11 juin 1578, Sir Humphrey Gylberte (Sir Humphrey Gilbert) reçoit ses lettres patentes pour Terre-Neuve. Il était un grand colonisateur grâce aux plantations coloniales anglaises en Irlande gaélique avec son demi-frère Sir Walter Raleigh. Le 5 août 1583, Gilbert reçoit une subvention de la reine Elizabeth I et tente d’établir une colonie à Terre-Neuve. Il échoue en raison du manque de ressources pour résister au froid et à la famine. Il revendique néanmoins officiellement Terre-Neuve et les Maritimes. La France, invoquant le voyage de Jacques Cartier et la « doctrine de la découverte », s’oppose à cette revendication. Gilbert s’est noyé le 9 septembre 1583 au cours d’un tempête au large de l’île de Sable, la première « catastrophe maritime » enregistrée au Canada.
Le 27 juillet 1585, Sir Walter Raleigh a tenté pour la première fois d’établir une colonie de plantation sur l’île Roanoke, qui fait partie du territoire appelé Virginie, en l’honneur de la reine Elizabeth qui était appelée la reine vierge. Roanoke est en fait une île située au large des côtes de l’actuelle Caroline du Nord. La première colonie anglaise du « Nouveau Monde » a été un échec et les colons se sont retirés en juin 1586.
En 1586, à Terre-Neuve, le typhus s’est propagé parmi la population Mí’kmaq déjà affaiblie, ce qui a fait encore plus de victimes de l’épidémie mortelle apportée par les Européens dans les Maritimes.
La doctrine de la découverte et les chartes royales fondées sur celle-ci
La doctrine de la découverte émane d’une série de bulles papales (déclarations officielles du pape qui définissent une politique) datant des années 1400. Cette doctrine a servi à justifier la dépossession coloniale des nations autochtones souveraines des Amériques de leurs terres et l’asservissement de leurs peuples pendant « l’âge de la découverte » européen.
Le principe fondamental de cette conception était que les peuples autochtones n’avaient pas d’âme et n’étaient donc pas humains, et que les terres « découvertes » étaient terra nullius, vides de tout habitat humaine.
Ce point de vue a constitué le fondement de la politique autochtone du Canada, dont les répercussions se font encore sentir aujourd’hui. L’appel lancé au Canada pour qu’il rejette la doctrine de la découverte est le 47e des 94 appels à l’action de l’historique Commission vérité et réconciliation de 2015.
Les chartes royales, émises en vertu de la prérogative royale, sont des documents juridiques qui décrètent des concessions, en particulier des concessions de terres, par le souverain à ses sujets. Le pouvoir et l’autorité du roi et de la reine sont presque absolus, comme le montre le commentaire suivant du juriste britannique William Blackstone :
« Et, premièrement, la loi accorde au roi l’attribut de souveraineté, ou de la prééminence. On dit qu’il a une dignité impériale, et dans les chartes avant la conquête est souvent appelé basileus et imperator, les titres respectivement assumés par les empereurs d’Orient et d’Occident. Son royaume est déclaré être un empire et sa couronne impériale par de nombreux actes du Parlement, en particulier les statuts 24 Hen. VIII. c. 12. et 25 Hen. VIII. c. 28 ; qui, en même temps, déclarent que le roi est le chef suprême du royaume en matière civile et ecclésiastique, et par conséquent inférieur à aucun homme sur terre, dépendant d’aucun homme, responsable devant aucun homme. »
En 1997, lors des célébrations du 500e anniversaire de l’arrivée de Jean Cabot, la reine Elizabeth II, souveraine du Canada, est venue au Canada pour une célébration officielle parrainée par les gouvernements canadien et britannique. Une commission conjointe a officiellement décidé que Jean Cabot avait en fait débarqué pour la première fois à Terre-Neuve. De nouveaux monuments à sa mémoire ont été dévoilés et une série de livres publiée.
Selon la reine, l’arrivée de Jean Cabot « a représenté le début géographique et intellectuel de l’Amérique du Nord moderne ». C’est un exemple de la façon dont la doctrine eurocentrique de la découverte est utilisée pour falsifier l’histoire.
Comme on le sait, le génocide du peuple autochtone Béothuk a eu lieu à Terre-Neuve. La reine Elizabeth II avait raison : le modèle a été établi à cet endroit. En ce qui concerne les peuples autochtones, bien sûr, le modèle établi était le génocide.
Lorsque la reine Élisabeth II a visité le Labrador, la réception a été « mitigée », car « les manifestants brandissaient des pancartes qui dénonçaient sa visite ».[2]
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À Sheshatshiu, le 26 juin 1997, les dirigeants de la communauté innue ont remis à la reine une lettre qui se lisait en partie comme suit :
« L’histoire de la colonisation ici a été lamentable et a gravement démoralisé notre peuple qui se tourne maintenant vers l’alcool et l’autodestruction. Nous avons le taux de suicide le plus élevé en Amérique du Nord. Des enfants de 12 ans se sont suicidés récemment. Nous nous sentons impuissants à empêcher les projets miniers de grande envergure actuellement prévus et beaucoup d’entre nous sommes amenés à discuter d’une simple compensation financière, même si nous savons que les mines et les barrages hydroélectriques détruiront nos terres et notre culture et que l’argent ne nous sauvera pas.
« La partie du Labrador qui représente le Nitassinan a été revendiquée comme sol britannique jusqu’à très récemment (1949), alors que sans nous consulter, votre gouvernement l’a cédée au Canada. Nous n’avons cependant jamais signé de traité avec la Grande-Bretagne ou le Canada, et nous n’avons jamais renoncé à notre droit à l’autodétermination.
« Le fait que nous soyons devenus financièrement dépendants de l’État qui viole nos droits est le reflet de notre situation désespérée. Cela ne signifie pas que nous acquiesçons à ces violations.
« Nous avons été traités comme un non-peuple, sans plus de droits que les caribous dont nous dépendons et qui sont désormais eux-mêmes menacés par les exercices de guerre de l’OTAN et d’autres soi-disant développements. Malgré cela, nous demeurons un peuple dans le sens le plus complet du mot. Nous n’avons pas abandonné et nous cherchons maintenant à reconstruire notre fierté et notre estime de soi. »[3]
Le 30 juin 2004, feu Keptin Saqamow Reginald Maloney a ouvert le Symposium international d’Halifax sur les médias et la désinformation à l’Université Dalhousie en offrant un accueil fraternel au nom de son peuple aux participants d’Amérique du Nord, d’Europe et d’Asie. « La plus grande désinformation à laquelle nous avons été confrontés est celle de la ‘doctrine de la découverte’ des puissances coloniales espagnole, portugaise et britannique, qui nous dévaste encore aujourd’hui », a-t-il déclaré dans son discours de bienvenue.
Le 12 octobre 2013, la Société des guerriers mi’kmaq et la Première Nation Elsipogtog du Nouveau-Brunswick, qui bloquaient une opération de fracturation hydraulique d’un monopole du Texas, ont exigé en tant que leur droit que le gouvernement « produise des documents qui prouvent la doctrine de la découverte de Cabot ».
En soulignant la « découverte » du Canada et ce qui s’est passé le 24 juin 1497, il faut mettre au premier plan les justes demandes des peuples autochtones pour la reconnaissance de leurs droits. C’est une question qui concerne tout le corps politique et qui ne peut être résolue qu’au moyen d’arrangements modernes qui défendent les droits sur la base du fait qu’ils sont inaliénables et qu’ils appartiennent à tous du fait que tous sont des êtres humains.
Notes
1. Voici un extrait des Lettres patentes du roi Henri VII accordées le 5 mars 1498. à Jean Cabot et à ses trois fils, Lewis, Sebastian et Sancius pour la découverte de terres nouvelles et inconnues :
« Henri, par la grâce de Dieu, roi d’Angleterre et de France, et seigneur d’Irlande : à tous ceux qui les présentes Lettres verront, Salut.
« Sçavoir faisons que nous avons donné et accordé, et par ces présentes donnons et accordons, pour nous et nos successeurs, à notre bien-aimé Jean Cabot, citoyen de Venise, à Louis, Sébastien et Santius, fils dudit Jean, et à leurs héritiers et associés, et à chacun d’eux, pleine et libre autorité, permission et puissance de naviguer dans tous les pays, contrées et mers d’orient, d’occident et du nord, sous nos bannières et drapeaux, avec cinq vaisseaux de quelque charge et grandeur qu’ils puissent être, et de prendre dans les dits vaisseaux autant d’hommes et de matelots qu’ils jugeront à propos, à leurs propres frais et dépens ; de chercher, découvrir et trouver quelques isles, contrées. régions ou provinces que ce puisse être appartenant aux Païens ou Infidèles, et dans quelque partie du monde que ce soit, jusqu’à présent inconnue à tous les Chrétiens : Nous leur avons permis à eux, leurs héritiers et associés, et à chacun d’eux, et leur avons donné pouvoir d’arborer nos drapeaux et pavillons dans tous les villages, villes, châteaux, isles ou terre ferme qu’ils auront nouvellement découverts ; et voulons que le dit Jean et ses fils, ou leurs héritiers et associés, soumettent, occupent et possèdent toutes les dites villes, cités, châteaux et isles par eux découvertes, comme nos vassaux et lieutenants, nous réservant le domaine, la souveraineté et la juridiction des mêmes villages, villes, châteaux et terre ferme ainsi découverte. […] En témoignage de quoi nous leur avons délivré les présentes, sous notre propre sceau, à Westminster, le 5 mars de la onzième année de notre règne. »
2. « Labrador protest : Royal visitors get mixed reception », Michelle McAfee, Canadian Press, Victoria Times-Colonist, p. A10, 27 juin 1997
3. Letter from Innu people to Queen Elizabeth II, June 26, 1997.
(D’après des documents initialement publiés dans Shunpiking Magazine.)
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