Assassinat de Malcolm X
21 février 1965
Réflexions sur l’héritage de Malcolm X
Le 21 février est l’anniversaire de l’assassinat de Malcolm X, un internationaliste et un dirigeant révolutionnaire et leader de la lutte de libération des Noirs qui a façonné et influencé une génération de militants d’artistes, de révolutionnaires et d’intellectuels noirs. Il a eu un impact profond et durable. L’anniversaire de son assassinat est, par conséquent, l’occasion de se pencher sur son legs.
De son vivant, Malcolm X a été constamment vilipendé par les cercles dirigeants ; une fois mort, les mêmes forces ont tenté de le transformer en un symbole bénin, acceptable pour les cercles impérialistes et néolibéraux ; il est maintenant loué par les mêmes pouvoirs qui l’ont jadis condamné. Comme l’écrivait si bien Lénine dans son oeuvre maîtresse L’État et la Révolution :
« Du vivant des grands révolutionnaires, les classes d’oppresseurs les récompensent par d’incessantes persécutions ; elles accueillent leur doctrine par la fureur la plus sauvage, par la haine la plus farouche, par les campagnes les plus forcenées de mensonges et de calomnies. Après leur mort, on essaie d’en faire des icônes inoffensives, de les canoniser pour ainsi dire, d’entourer leur nom d’une certaine auréole afin de ‘consoler’ les classes opprimées et de les mystifier ; ce faisant, on vide leur doctrine révolutionnaire de son contenu, on l’avilit et on en émousse le tranchant révolutionnaire. »
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Il en est ainsi de Malcolm X. Le discours dominant et omniprésent gèle dans le temps et dans l’espace la politique et la philosophie de Malcolm, réduisant sa pensée aux 12 années qu’il a passées au service de la Nation de l’Islam, quand il a été sous l’autorité de son chef Elijah Muhammad. Bien qu’on reconnaisse qu’il ait rompu complètement avec les doctrines théologiques/idéologiques absurdes basées sur la race de la Nation de l’Islam (en particulier la thèse du diable blanc), Malcolm X est néanmoins présenté comme un ultra-nationaliste noir frustre et sans finesse. En outre, l’importance de son legs est souvent réduite à une odyssée personnelle, un éthos individualiste illustrant ce que quelqu’un peut faire par la seule force de la volonté de transformer sa vie. Dans cette mutilation de la mémoire historique, le développement ultérieur de sa pensée politique et intellectuelle entre 1964 et 1965 est oblitéré. Ses efforts inlassables pour construire une organisation qui va représenter et concrétiser ces nouveaux objectifs politiques sont rejetés du revers de la main. Bref, les développements ultérieurs de sa pensée sur le capitalisme et l’impérialisme sont ignorés, voire effacés.
Malcolm X : L’anti-impérialiste et anticapitaliste
Malcolm X a fait partie de la vague de luttes anticoloniales, de libération nationale et anti-impérialistes qui a balayé l’Afrique, l’Asie, l’Amérique latine et les Caraïbes durant les années 1950 et 1960. Il a remis en question l’exceptionnalisme américain en plaçant clairement le mouvement de libération afro-américain dans le cadre de la lutte anticoloniale mondiale. En plaçant la lutte de libération noire dans un contexte internationaliste, il a fait de la perspective internationaliste un élément indispensable à l’avancement de la lutte pour la justice aux États-Unis. Le 4 février 1965, dans un discours prononcé devant la jeunesse de Selma, en Alabama, il a déclaré : « Je prie pour que vous grandissiez intellectuellement afin que vous puissiez comprendre les problèmes mondiaux et où vous vous situez dans tout cela, dans le contexte mondial. »
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Le 18 février 1965, il est allé plus loin en déclarant que la lutte de libération des Noirs a été « une partie de la rébellion contre l’oppression et le colonialisme qui ont caractérisé cette époque … ». Il a ajouté : « Il est erroné de caractériser la révolte des Noirs simplement comme un conflit racial entre Noirs et Blancs, ou comme un problème purement américain. Au contraire, nous assistons aujourd’hui à une rébellion mondiale de l’opprimé contre l’oppresseur, de l’exploité contre l’exploiteur. »
La répudiation par Malcolm de l’analyse basée uniquement sur les races est claire dans une entrevue accordée à la télévision en janvier 1965 où il a déclaré :
« Je crois qu’il y aura finalement un affrontement entre les opprimés et ceux qui oppriment. Je crois qu’il y aura un affrontement entre ceux qui veulent la liberté, la justice et l’égalité pour tous et ceux qui veulent continuer les systèmes d’exploitation. Je crois que ce sera ce genre de conflit, mais je ne pense pas qu’il sera basé sur la couleur de la peau, comme l’a enseigné Elijah Muhammad. »
Malcolm a pris une position anti-impérialiste sans compromis, incarnée par sa critique incisive de l’Occident. Les intérêts de l’Occident, a-t-il déclaré, sont inextricablement liés « à l’impérialisme, au colonialisme, à l’exploitation, au racisme … ». Il est allé encore plus loin dans sa réflexion nouvelle sur l’anti-impérialisme par une critique acerbe du capitalisme, le système à la base de l’impérialisme occidental. Il a dit : « Vous ne pouvez pas avoir de capitalisme sans le racisme … Vous ne pouvez faire fonctionner le système capitaliste à moins d’être un vautour ; vous devez avoir le sang de quelqu’un d’autre à sucer pour être un capitaliste … » Il a conçu l’oppression et l’exploitation racistes des Afro-Américains comme étant profondément liées à l’agression américaine à l’étranger, et cette oppression, cette exploitation et ce bellicisme ont été (sont) les produits du système capitaliste.
La fausse dichotomie
En examinant le développement de la pensée de Malcolm, il convient aussi de s’arrêter sur le supposé fossé entre lui et Martin Luther King, Jr. L’un est dépeint comme l’antithèse de l’autre. Cela est fait dans le but délibéré d’effacer la réalité que les opinions de King ont de plus en plus incarné plusieurs des positions politiques que Malcolm avait préconisées dans les dernières années de sa vie.
La compréhension de King de la nature de la société américaine a graduellement rejoint celle proposée par Malcolm X. Dans les années qui ont suivi la marche sur Washington, King a accompagné sa vision éloquente et émouvante de « I Have a Dream » (« J’ai fait un rêve ») d’une opposition de plus en plus profonde à la politique étrangère des États-Unis et du système économique qui engendre l’agression à l’étranger de même que l’inégalité et la pauvreté aux États-Unis.
King s’est fermement opposé à la guerre au Vietnam. Son opposition n’a pas été uniquement une puissante prise de position morale mais une position qui a lié l’agression des États-Unis à un système qui engendre, maintient et exige de grandes disparités de richesse et de puissance entre un petit nombre de privilégiés et la vaste majorité privée de ses droits. Il a dit à ce sujet : « Quand les machines et les ordinateurs, la recherche du profit et les droits de propriété sont considérés comme étant plus importants que les gens, les triplets géants du racisme, du militarisme et de l’exploitation économique exercent leur toute puissance. »
King a compris que si le mouvement des droits civils avait remporté des victoires importantes, ces victoires ne pouvaient être permanentes tant et aussi longtemps que les causes structurelles sous-jacentes à l’inégalité, la pauvreté et le racisme ne sont pas fondamentalement corrigées. Bref, le capitalisme doit être radicalement transformé. Dans un discours tenu en 1967 lors de la Southern Christian Leadership Conference, King a présenté cette analyse d’une façon sans équivoque :
« Un jour, nous devons nous poser la question : ‘ Pourquoi y a-t-il quarante millions de pauvres en Amérique ?’ Et quand vous commencez à poser cette question, vous soulevez des questions sur le système économique, au sujet d’une plus large distribution de la richesse. Lorsque vous posez cette question, vous commencez à remettre en question l’économie capitaliste. Et je dis simplement que de plus en plus, nous devons commencer à poser des questions au sujet de la société dans son ensemble. Nous sommes appelés à aider les mendiants découragés à l’intérieur de la réalité du marché. Il faudra bien un jour en arriver à voir qu’un édifice qui engendre des mendiants, doit être restructuré. Cela signifie que des questions doivent être soulevées. Vous voyez, mes amis, lorsque vous traitez de ce problème, vous commencez à poser la question : ‘Qui possède le pétrole ?’ Vous commencez à poser la question : ‘Qui est propriétaire du minerai de fer ?’ Vous commencez à poser la question : ‘Pourquoi est-ce que les gens doivent payer des factures pour l’eau dans un monde qui est composé de deux tiers d’eau ?’ Ce sont des questions qui doivent être posées. »
La pratique et la stratégie politique de King reflètent sa nouvelle appréciation analytique de l’interconnexion entre le racisme, l’oppression, l’inégalité et le capitalisme. Dans la dernière année de sa vie, il a organisé la Campagne des pauvres, qui a visait à bâtir une société plus juste et plus équitable par le biais d’un mouvement uni des travailleurs noirs et blancs, de tous les exploités et opprimés aux États-Unis. Si la campagne des pauvres visait une réforme pacifique du système capitaliste, elle a été un défi puissant à l’hégémonie idéologique et idéationnelle du capitalisme, ce qui a valu à King une condamnation totale de la part des cercles dirigeants américains.
À la fin de leur vie (King a été assassiné le 4 avril 1968), Malcolm X et Martin Luther King sont devenus des adversaires farouches du capitalisme et de l’impérialisme. Quand ils ont été tués, chacun était en train d’organiser le peuple pour remettre en question le système. L’objectif était la Terre promise, la création d’un monde meilleur, un monde fait pour les êtres humains. Si la Terre promise n’a pas encore été atteinte, et pour certains n’est pas encore envisagée, la lutte pour un monde meilleur se poursuit.
(Archives du LML)
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