Soutenons le droit d’Haïti de résoudre la crise
sans intervention étrangère
Déclaration conjointe et appel à l’action
d’organisations activistes haïtiennes
sur la crise en Haïti
En réponse à la crise en Haïti, qui s’est aggravée à la suite de l’assassinat du président Jovenel Moïse, nous, les personnes et organisations soussignées, exprimons nos condoléances et notre sympathie à toutes les familles haïtiennes qui ont perdu un être cher à cause de la violence actuelle. Nous reconnaissons également que les militants et les défenseurs des droits humains en Haïti sont présentement confrontés à un grave danger alors qu’ils continuent à travailler pour un avenir meilleur pour tous les Haïtiens.
À la lumière des événements horribles du mois dernier en Haïti, notamment le massacre de Delmas 32 et l’assassinat très médiatisé de la militante de renom Antoinette Duclaire et du journaliste Diego Charles, les combats entre gangs et les incendies criminels dans les quartiers pauvres qui ont déplacé plus de 18 000 personnes, et l’assassinat choquant de Jovenel Moïse à son domicile dans la nuit du 6 au 7 juillet;
Considérant que le peuple haïtien vit dans un climat brutal d’insécurité qui rend difficile l’accès au travail, et qu’il y a une crise alimentaire croissante ; que les récoltes ont échoué en raison de la hausse des températures et des perturbations climatiques ; que la violence des gangs a bloqué les routes et fermé l’accès aux marchés, et que plus de 4,4 millions de personnes n’ont pas assez de nourriture pour manger chaque jour;
Considérant que les cas de COVID sont en train de monter en flèche, et que le manque de sécurité et la violence des gangs empêchent les produits vitaux d’atteindre les hôpitaux dans d’autres parties du pays, tout en bloquant le principal dépôt de pétrole de la capitale, ce qui entraîne des pénuries massives de gaz;
Nous demandons à la communauté internationale d’être solidaire des appels haïtiens pour :
(1) Une solution haïtienne. Les Haïtiens doivent diriger la construction de la voie à suivre. Les acteurs étrangers ne doivent pas imposer des solutions de l’étranger. Même avant le meurtre de Moïse, les organisations haïtiennes ont bâti un consensus pour un gouvernement de transition. Les gouvernements étrangers et les institutions internationales ne doivent pas outrepasser leur rôle en déclarant qui a l’autorité en Haïti, en particulier lorsque cela entre en conflit avec la loi haïtienne.
Il suffit de regarder la mission récente de la MINUSTAH pour voir que les efforts étrangers ne créent pas des institutions publiques démocratiques durables, pourtant nécessaires au fonctionnement de tout pays. Bien qu’elle ait dépensé 13 ans et 7 milliards de dollars – dix fois le PIB d’Haïti – la mission MINUSTAH a laissé Haïti avec plus d’armes et moins de démocratie. La mission a aussi affligé les citoyens d’Haïti d’exploitation et d’abus sexuels, laissant derrière elle des centaines d’enfants engendrés par des Casques bleus, et a été responsable de l’introduction du choléra en Haïti, tuant environ 10 000 personnes.
(2) Un engagement en faveur d’un processus démocratique participatif. Après des décennies d’intervention étrangère et de politiques d’aide qui ont déstabilisé Haïti, chaque branche du gouvernement haïtien a été systématiquement démantelée, et la confiance du public dans la gouvernance d’Haïti est tombée à presque rien. Les organisations et la société civile haïtiennes réclament depuis longtemps un gouvernement de transition pour rétablir la stabilité, la sécurité de base et la démocratie. Haïti doit avoir un processus de transition afin de reconstruire ses institutions démocratiques, et ce processus doit être inclusif de tous les secteurs de la population haïtienne.
(3) S’assurer que les conditions pour des élections équitables, participatives et crédibles sont en place avant de précipiter Haïti aux urnes. Les élections sont un élément fondamental du processus démocratique. Cependant, elles doivent être libres et équitables et perçues comme étant légitimes afin de renforcer la démocratie. Les élections ne seront pas libres et équitables sans une inscription inclusive des électeurs, un organisme électoral indépendant et légitime, et la sécurité nécessaire non seulement pour voter, mais aussi pour faire campagne jusqu’au jour du scrutin. Une participation significative exige que les femmes et les autres groupes marginalisés participent également au processus électoral. Une course à la tenue d’élections dans un délai imposé par la communauté internationale risque d’éroder davantage la démocratie en Haïti.
(4) Protection du droit à la libre expression et du droit à la vie. Au cours des trois dernières années, tous les Haïtiens ont appris qu’il n’y a pas de sécurité; il n’y a aucune garantie qu’ils pourront rentrer chez eux lorsqu’ils quittent la maison. Les défenseurs des droits humains, les journalistes et les militants sont fréquemment la cible de menaces et d’attaques, et des travailleurs de santé essentiels ont été blessés et tués lors d’enlèvements, d’attaques et de violences de gangs. La violence sexiste, y compris le viol, a augmenté pendant cette crise, et des milliers de femmes et de filles ont été déplacées de chez elles, ce qui les rend encore plus vulnérables.
Il y a trois ans, les 6 et 7 juillet 2018, les preuves émergentes que des responsables gouvernementaux avaient volé plus de 2 milliards de dollars dans les caisses de l’État et la hausse des prix du gaz ont déclenché la première d’une série de manifestations contre la corruption et l’impunité. Ces mobilisations massives d’Haïtiens, au-delà des lignes de classe et des lignes politiques, ont défilé ensemble pour revendiquer la responsabilité et la démocratie. Elles se sont systématiquement heurtées à la répression brutale du gouvernement et à l’indifférence de la communauté internationale.
Au cours des trois dernières années, 18 massacres ont été recensés à Port-au-Prince. Les auteurs de ces massacres ont ciblé des quartiers actifs dans les manifestations de l’opposition et n’ont pas été tenus pour responsables. Des groupes de défense des droits humains ont établi des liens entre des représentants du gouvernement et les groupes armés responsables de ces massacres, dont Moïse et d’autres ministres. En outre, certains affirment que ces massacres constituent des crimes contre l’humanité.
(5) Reconnaissance de la façon dont les interventions étrangères ont contribué aux conditions actuelles en Haïti. Alors que beaucoup qualifient Haïti d’« État en faillite », ce que nous voyons est l’échec de siècles de politiques imposées à Haïti par la communauté internationale, y compris les politiques d’aide, qui ont donné la priorité aux intérêts étrangers et aux gains à court terme plutôt qu’à une démocratie et une prospérité durables pour les Haïtiens. Le tremblement de terre de 2010 était l’occasion de reconstruire Haïti avec des institutions publiques fortes. Cependant, malgré des centaines de millions de dollars d’aide, toute l’administration publique d’Haïti a été sous-traitée à des institutions étrangères et à des ONG.
(Juillet 2021. Traduction: LML)