77e anniversaire de l’insurrection de Varsovie
1er août 1944
La trahison des falsificateurs de l’histoire
– Dougal MacDonald –
Beaucoup a été écrit par les historiens sur l’insurrection de Varsovie en Pologne qui a eu lieu pendant la Deuxième Guerre mondiale du 1er août au 2 octobre 1944[1]. Une grande partie de ces écrits sont des falsifications de l’histoire. Les principaux objectifs des falsificateurs d’hier et d’aujourd’hui de l’histoire de l’insurrection de Varsovie sont d’attaquer l’Union soviétique et son grand dirigeant, Joseph Staline, de réhabiliter les réactionnaires polonais et leurs héritiers, et de présenter les innombrables crimes de guerre commis par les nazis contre le peuple polonais comme un épisode marginal. Mais les faits de l’histoire sont têtus et ils ne changent pas à cause de gribouillages d’historiens réactionnaires.
En 1944, les armées soviétiques, après les grandes victoires de Stalingrad et de Koursk, poursuivai[1ent une progression constante vers Berlin, refoulant les nazis sur tous les fronts. Le 21 juillet, après la percée réussie des frontières de la Pologne, le Conseil national de la Pologne réuni à Chelm (une des premières villes polonaises libérées de l’occupant nazi) créait le Comité polonais de libération nationale, le gouvernement provisoire pour une Pologne démocratique. Le lendemain, le comité appelait les Polonais à lutter pour la libération complète du pays. L’une des premières et des plus urgentes tâches du régime révolutionnaire a été de créer la Voiske Polskoye, une armée antifasciste fidèle au peuple.
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Quand les nazis ont envahi la Pologne le 1er septembre 1939, les dirigeants polonais se sont enfuis en Roumanie et ont abandonné le peuple à son sort. Les nazis ont perpétré en Pologne les pires crimes que l’histoire ait connus. De tous les pays européens, c’est la Pologne qui a connu le plus grand nombre de victimes proportionnellement à sa population. Un total d’environ six millions de personnes ont été tuées. L’extermination directe par des assassinats de masse, dans les camps de la mort, par le travail forcé, par la faim et par d’autres moyens de terreur a coûté la vie à plus de 6 millions de personnes, dont 2 700 000 Juifs polonais, 2 000 000 d’enfants et de jeunes, plus de 50 000 Roms et 12 000 personnes jugées mentalement handicapées, tués par les nazis et des milliers de prisonniers de guerre polonais, soldats et officiers, systématiquement exécutés.
La Schutzstaf (SS) a exécuté plus de 40 000 intellectuels, personnalités politiques et dirigeants polonais au cours des six premières semaines de l’occupation nazie. Avant l’invasion, à partir de mai 1939, l’opération nazie Tannenberg, qui faisait partie du Generalplan Ost (« Plan général pour l’Est ») avait permis d’identifier et de recenser plus de 61 000 militants, membres de l’intelligentsia, universitaires, anciens officiers qui devaient être internés ou exécutés. L’assassinat de 4 143 officiers polonais retrouvés dans des fosses communes dans la forêt de Katyn n’est qu’un exemple des nombreuses exécutions de la SS et de la Wehrmacht.
Face à la désertion complète de ses soi-disant dirigeants, l’esprit de résistance du peuple polonais est demeuré fort. De nombreux Polonais ont combattu courageusement dans la résistance clandestine dirigée par les communistes contre les nazis. Ils ont formé leurs propres divisions militaires patriotiques et ont combattu aux côtés de l’Armée rouge jusqu’à Berlin. Les dirigeants polonais qui s’étaient enfuis, et qui ne représentaient que les grands propriétaires terriens et les industriels polonais, ont finalement établi un faux « gouvernement en exil », d’abord à Paris, puis à Angers et enfin à Londres. De Londres, ils ont comploté, en collusion avec les impérialistes britanniques, pour rétablir leur pouvoir sur le peuple polonais.
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Dès le 24 juillet 1944, alors que les forces soviétiques repoussaient sans cesse les nazis, le gouvernement réactionnaire en exil et son Armée de l’intérieur (AK) avaient décidé d’ordonner un soulèvement à Varsovie avant que l’armée soviétique atteigne la ville. Leurs objectifs étaient d’établir leurs propres organes du pouvoir, de restaurer l’ancien régime qui avait fui en 1939 et abandonné le peuple à l’occupation criminelle, et de combattre et détruire le nouveau gouvernement provisoire démocratique de Pologne.
Les réactionnaires de Londres avaient discuté de l’idée de l’insurrection de Varsovie longtemps auparavant et le commandant en chef de l’Armée de l’Intérieur polonaise, le général comte Tadeusz Bor-Komorowski, avait rapporté à Londres que le soulèvement ne pouvait réussir. Mais quand les organes du régime populaire démocratique ont commencé à être établis sur le territoire libéré de la Pologne et étaient acclamés par le peuple, le gouvernement en exil et le commandement de l’Armée de l’intérieur ont changé d’avis. Le 25 juillet, Bor-Komorowski communiquait à Londres : « Prêt à tout instant pour la bataille de Varsovie. »
Ni le gouvernement soviétique, ni le commandement de l’Armée rouge, ni les organes de régime populaire démocratique nouvellement formés en Pologne ni la Voiske Polskoye naissante, qui avait déjà pris part à la libération de Lublin le 24 juillet 1944, n’ont été informés du soulèvement prévu. Même le Commandant suprême des forces expéditionnaires alliées (SHAEF) a déclaré qu’il n’en savait rien, même si cela peut avoir été un camouflage. Les commandants de l’Armée de l’intérieur polonaise, subordonnée au gouvernement en exil de Londres, ont caché par tous les moyens les préparatifs de l’insurrection à l’état-major des forces armées soviétiques. En même temps, les représentants du gouvernement en exil et leurs collaborateurs suivaient de près les combats sur le front germano-soviétique et, en particulier, la progression de l’Armée rouge vers Varsovie.
Les comploteurs de Londres n’avaient pas l’intention de déclencher l’insurrection avant que les forces soviétiques ne s’approchent de Varsovie. Ils calculaient que si les insurgés se retrouvaient dans une situation critique, les forces soviétiques iraient à leur secours. Au dernier moment, Bor-Komorowski a avancé la date de l’insurrection au 1er août, rendant impossible l’exécution des plans préalablement établis. Au début de l’insurrection, il n’y avait même pas de communications élémentaires entre les différentes unités insurgées. Beaucoup de soldats ne savaient pas où trouver leurs commandants et un grand nombre d’officiers ne savaient pas où étaient les caches d’armes. Le manque d’effet de surprise a permis aux occupants nazis d’occuper tous les points névralgiques de communications et de transport et les installations électriques.
Cependant, la haine des habitants de Varsovie pour les nazis a donné à l’insurrection un caractère et une envergure populaires que ses planificateurs réactionnaires n’avaient pas prévus. La population a commencé à ériger des barricades, un grand nombre de résidents de Varsovie ont rejoint les rangs des détachements militaires, même s’ils n’avaient pas d’armes. Certains pensaient que l’insurrection avait été planifiée en collaboration avec les forces soviétiques en marche. Les insurgés, animés par l’esprit de combat et la haine de l’occupant nazi, ont accompli de véritables actes de bravoure et d’héroïsme. Ce soutien massif a permis de remporter certains succès, mais très vite les nazis, supérieurs en nombre et en armements, ont riposté avec férocité.
Sur le front principal, les nazis ont lancé une forte contre-attaque contre l’armée soviétique, la forçant à livrer une dure bataille défensive. Pendant ce temps, Varsovie brûlait. La fumée des incendies pouvait être vue par les commandants soviétiques qui dirigeaient les opérations dans la zone de la contre-attaque. Quelques jours plus tard, les forces soviétiques ont brisé la contre-attaque nazie, mais ont été incapables d’enfoncer les défenses nazies et de percer dans Varsovie.
Le 4 août, le premier ministre britannique, Winston Churchill, a envoyé un message à Staline mentionnant l’insurrection de Varsovie pour la première fois et laissant entendre qu’elle réussissait. Il affirmait aussi que les Britanniques fournissaient des armes, que les insurgés avaient demandé l’aide soviétique, et que le but de l’insurrection était d’aider les forces soviétiques. Staline en doutait, et dit dans sa réponse le lendemain : « L’Armée de l’intérieur des Polonais se compose de quelques détachements qui sont appelés à tort divisions. Ils n’ont ni artillerie, ni appui aérien ni chars. Je ne peux imaginer comment ces détachements pourraient prendre Varsovie, que les Allemands défendent avec quatre divisions blindées. »
Staline ordonna alors à ses généraux de faire rapport de leurs idées concernant la prise de Varsovie. Dans leur rapport du 6 août, les généraux soulignent que les forces soviétiques n’étaient pas assez fortes pour le moment pour enfoncer les armées allemandes qui se trouvaient entre elles et Varsovie et qu’« aucune attaque n’est possible avant le 10 août parce que la quantité nécessaire de munitions ne peut pas être amenée avant ». Le commandement soviétique était d’accord. Malgré l’épuisement des forces soviétiques et la nécessité d’améliorer la sécurité à l’arrière, le Commandement suprême de l’URSS a commencé à préparer une nouvelle offensive pour la libération de Varsovie. Toutefois, même dans les conditions les plus favorables, l’offensive n’aurait pas pu être lancée avant le 25 août.
En même temps, des pourparlers sur la situation en Pologne se tenaient entre le « premier ministre » du gouvernement polonais en exil, Stanislaw Mikolajczyk, et Staline et Molotov. À son retour à Londres, Stanislaw Mikolajczyk a falsifié la nature de ces pourparlers, a calomnié l’Union soviétique auprès de Churchill et dit que les Soviétiques étaient responsables de la situation difficile des insurgés à Varsovie. Contacté par Churchill, Staline a répondu immédiatement par une déclaration publique que le gouvernement polonais en exil était entièrement responsable des événements à Varsovie et n’avait pas informé le commandement soviétique de ses intentions ou tenté de coordonner les opérations. Par conséquent, toute la responsabilité de ce qui s’était produit revenait aux exilés de Londres.
Staline a écrit directement à Churchill et souligné dans sa lettre que l’insurrection était une entreprise insensée qui semble coûter beaucoup de vies parmi les civils. « Une telle chose ne se serait pas produite si le commandement soviétique avait été informé avant le début de l’action de Varsovie et si les Polonais avaient maintenu des contacts avec lui. » Staline a alors proposé un nouveau plan opérationnel radicalement différent de celui des Polonais de Londres, une offensive frontale pour écraser l’ennemi.
Le nouveau plan a été mis en oeuvre immédiatement. Des combats acharnés ont eu lieu surtout aux approches du quartier de Varsovie de Praga. Une fois de plus les défenses nazies se sont avérées trop fortes, surtout que les forces soviétiques manquaient de munitions. Les troupes soviétiques étaient aussi épuisées par de longs mois de combats continus et avaient besoin d’approvisionnement en armements et en munitions. Les forces soviétiques ont dû passer temporairement à la défensive. Jouant de mauvaise foi, Churchill a envoyé une lettre à Staline, co-signée par Roosevelt, dans laquelle il écrivait : « Nous pensons à ce que sera la réaction de l’opinion mondiale si les anti-nazis de Varsovie étaient, en fait, abandonnés. »
La réponse de Staline ne s’est pas fait attendre : « Tôt ou tard, la vérité sur la poignée de criminels qui ont déclenché l’aventure de Varsovie pour prendre le pouvoir, sera connue de tous. Ces gens ont utilisé la confiance des Varsoviens, en jetant nombre d’entre eux presque sans armes sous les canons, les tanks et l’aviation des Allemands. Il s’est créé une situation où chaque jour qui passe n’est pas utilisé par les Polonais pour libérer Varsovie, mais par les hitlériens qui fusillent sauvagement les Varsoviens. »
Au début de septembre, la reconnaissance soviétique a découvert qu’une division panzer et plusieurs autres unités allemandes s’étaient retirées de Praga pour se porter vers une tête de pont soviétique établie sur la Vistule. Les forces soviétiques ont profité de ce transfert de troupes ennemies pour déployer un grand effort vers Praga à partir du 10 septembre. Dans la nuit du 13 septembre, elles ont fait irruption dans Praga, où elles ont été accueillies en libérateurs par les habitants. C’est alors que l’insurrection de Varsovie aurait dû être déclenchée pour empêcher les nazis de faire sauter les ponts sur la Vistule et permettre aux soldats soviétiques de la franchir et entrer au coeur de Varsovie.
Poursuivant leur activité criminelle, les chefs de l’insurrection du camp Londres ont refusé de faire la jonction. Cependant, les dirigeants de l’Armia Ludowa, l’Armée du peuple, qui prenait part à l’insurrection, a réussi à envoyer deux messagers courageux à l’armée soviétique fournissant des renseignements sur l’insurrection, la situation dans la ville et le déploiement des forces insurgées. Les forces soviétiques ont entrepris alors de larguer une grande quantité d’armes, de munitions et du ravitaillement dans Varsovie, qui a été récupérée par les insurgés. C’était le début d’un approvisionnement régulier. Cependant, le commandement soviétique estimait que ses forces n’étaient pas encore assez fortes pour libérer Varsovie.
Le 16 septembre, plusieurs unités de la Première Armée polonaise antifasciste traversent la Vistule. Sous la pression des événements, Bor-Komorowski, le commandant de l’Armée de l’intérieur prend enfin contact avec le commandement soviétique. Celui-ci demande aux détachements de l’Armée de l’intérieur de Varsovie d’entrer en contact avec la Première Armée polonaise, puis de faire la jonction avec les forces de l’Armée rouge. Le 18 septembre, huit escadrilles de forteresses volantes américaines parviennent à Varsovie pour parachuter des armes, les munitions et des denrées alimentaires. Certaines arrivent aux mains des insurgés, mais en raison de l’altitude à partir de laquelle sont faits ces parachutages (4000 mètres) beaucoup tombent derrière les lignes allemandes. Tout le mois de septembre, les pilotes soviétiques effectuent des largages de nuit très précis d’une hauteur de 150-200 mètres.
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La bataille pour entrer dans Varsovie a fait rage pendant des jours. Les Allemands avaient la supériorité numérique et d’armements, mais les forces soviétiques et leurs alliés polonais n’ont jamais cessé de combattre. Le 20 septembre, ils apprenaient que Bor-Komorowski avait émis des directives secrètes pour détruire de l’intérieur les forces insurgées. Il avait ordonné que toutes les unités armées loyales au nouveau gouvernement démocratique polonais de Lublin devaient être forcées à se mettre sous ses ordres et celles qui refusaient devaient être sévèrement punies.
La concentration d’importants renforts allemands, notamment des unités blindées, dans le centre de Varsovie a décidé l’issue de la bataille. Dans les derniers jours de septembre, l’activité des insurgés est devenue sporadique alors que les Allemands intensifiaient leurs attaques. Enfin, les généraux soviétiques, en consultation avec l’état-major, décident de cesser les opérations militaires à Varsovie. Le 28 septembre, les nazis lancent une offensive générale et de violents combats font rage pendant encore trois jours. À nouveau, les forces insurgées restantes sont trahies par le commandement de l’Armée de l’intérieur qui ordonne la capitulation immédiate. Seuls quelques groupes de combattants réussissent à traverser la Vistule et à rejoindre les lignes soviétiques.
Le 2 octobre, toute résistance a cessé dans Varsovie. Les dirigeants de l’Armée de l’intérieur polonaise se rendent aux Allemands. Curieusement, Bor-Komorowski n’est pas exécuté et est interné dans un camp en Allemagne. Libéré à la fin de la guerre, il passe le reste de sa vie à Londres. De 1947 à 1949, il est premier ministre du gouvernement polonais en exil discrédité, qui n’est plus reconnu par la plupart des gouvernements européens.
L’insurrection de Varsovie a coûté la vie à plus de 200 000 habitants de Varsovie, en plus d’un nombre incalculable de blessés. Des centaines de milliers d’habitants ont été déportés dans les camps de concentration ou expulsés de la ville. La ville a été presque entièrement rasée. Les insurgés n’ont pas remporté la victoire finale, mais ils se sont mérité une gloire impérissable. Le gouvernement polonais en exil qui, avec ses plans aventuristes, a saboté la lutte du début jusqu’à la fin s’est complètement déshonoré. Ce n’est qu’au cours de l’offensive d’hiver de 1944-1945 que toute la Pologne, et Varsovie, étaient enfin libérée.
L’insurrection de Varsovie est devenue un symbole de l’échec des réactionnaires polonais dont les héritiers continuent de répandre leurs mensonges sur ces événements. Les barricades de Varsovie témoignent à la fois du courage du peuple polonais et de l’armée du peuple et de l’engagement inébranlable de l’Union soviétique envers la défaite totale du nazisme. Plus de 600 000 soldats soviétiques ont donné leur vie pour la libération de la Pologne. Une flamme éternelle a été allumée à Czerniakôw sur les rives de la Vistule comme un rappel du sang versé par les Polonais et les soldats soviétiques dans les combats communs contre le nazisme pour la libération et l’avenir du peuple polonais.
Note
1. L’insurrection de Varsovie est un événement différent du soulèvement du ghetto de Varsovie qui a eu lieu l’année précédente du 19 avril au 16 mai 1943.
Cet article s’appuie principalement sur le livre du général Sergei M. Chtemenko, The Last Six Months, publié en 1977 aux éditions Doubleday. Chtemenko était chef adjoint de l’état-major général soviétique. Il a servi directement sous les ordres de Staline, et contribué à la coordination des opérations de l’Armée rouge soviétiques sur l’ensemble du front soviéto-allemand, y compris pendant l’Insurrection de Varsovie.
(Archives du LML)