40e anniversaire du soulèvement de Soweto
La contribution remarquable des courageux écoliers sud-africains
– Isaac Saney –
Le 16 juin 1976, dans le township africain de Soweto, dans la banlieue de Johannesburg, la police sud-africaine de l’apartheid a tué 176 écoliers noirs et en a blessé plus de 700. Le soulèvement de Soweto reste à ce jour la contribution remarquable des écoliers sud-africains infiniment courageux au mouvement pour la justice et la transformation sociale dans le monde.
Les martyrs héroïques de Soweto faisaient partie des 20 000 écoliers qui ont manifesté ce jour-là pour protester contre l’imposition de l’Afrikaans comme langue obligatoire d’enseignement pour la plupart des matières dans les écoles élémentaires et secondaires. L’afrikaans, une langue dérivée du néerlandais, était la langue de l’élite dirigeante. Ainsi, l’État raciste infligeait la langue de l’oppresseur aux jeunes noirs. Les langues africaines étaient dénigrées, limitées à l’enseignement religieux, à la musique et à la culture physique. En vertu de la Loi sur l’éducation bantoue, l’éducation que reçevaient les Africains servait à les maintenir comme une source de main-d’oeuvre bon marché ; l’introduction obligatoire de l’afrikaans aggravait la négation des droits des Sud-Africains noirs. Alors que l’impulsion immédiate de la manifestation était l’imposition de l’afrikaans, les écoliers se battaient pour la cause plus vaste de l’autodétermination.
Les jeunes noirs ont organisé l’opposition au diktat raciste. Le 30 avril, les écoliers de l’Orlando West Junior School de Soweto à Soweto ont refusé d’aller aux cours. Cet acte de profonde défiance a inspiré les étudiants des autres écoles. Le 13 juin, un comité d’action, le Soweto Students’ Representative Council, est constitué et décide d’organiser un grand rassemblement pour le 16 juin au stade Orlando. Le 16 juin, des milliers d’étudiants défilent pacifiquement en chantant des chants de liberté et en portant des pancartes déclarant, par exemple, « À bas l’afrikaans ! », « Au diable l’éducation bantoue ! », « Si nous devons utiliser l’afrikaans, Vorster doit utiliser le zoulou » et « Vive l’Azanie ! » Alors qu’ils se dirigeaient vers le stade, la police de l’État d’apartheid a bloqué la route. Comme les jeunes refusaient de céder, la police les a attaqués avec des gaz lacrymogènes et des chiens. Incapable de briser leur résistance, la police a tiré à balles réelles sur les étudiants rassemblés. Hector Pieterson, âgé de 13 ans, a été le premier écolier tué. La photographie de Mbuyisa Makhubo, âgé de 18 ans, portant le corps d’Hector, au côté de la soeur d’Hector, Antoinette, âgée de 17 ans est devenue l’image emblématique du massacre. Tel que mentionné, Hector Pieterson a été tué avec 175 élèves, tandis que plus de 700 étaient blessés. Les hôpitaux ont été submergés par le nombre de victimes. Cependant, malgré la brutalité qui a été déchaînée contre eux, les élèves ont continué de se battre contre la terreur de l’État d’apartheid. Soweto a provoqué une rébellion dans tout le pays. Dans les semaines qui ont suivi, des centaines de jeunes ont été tués par l’État raciste.
Le soulèvement de Soweto et les autres rébellions noires qui ont suivi dans la foulée de Soweto ont provoqué une crise sans précédent du régime raciste et marqué l’effondrement de la capacité du gouvernement sud-africain de confiner la lutte politique noire dans les limites définies et permises par l’apartheid. Le soulèvement a été un tournant, annonçant, comme l’écrit l’historien Saul Dubow, « la disparition de la suprématie blanche et la possibilité réelle de libération, peut-être pour la première fois… Un esprit inextinguible de rébellion devenait manifeste ». Soweto a inauguré l’ère de l’ingouvernabilité des townships et du militantisme noir ; c’est un des plus importants repères chronologiques de la lutte contre l’apartheid et de son effondrement.
Soweto et les luttes de libération de l’Afrique australe
Le soulèvement de Soweto faisait intégralement partie de la vague des luttes anticoloniales et des luttes de libération nationale qui a balayé l’Afrique australe dans les années 1970. La lutte à l’intérieur de l’Afrique du Sud était dialectiquement liée aux luttes menées dans la région. La libération de l’Angola et du Mozambique a stimulé le mouvement anticolonialiste dans les frontières de l’Afrique du Sud. L’indépendance mozambicaine et la défaite des forces armées sud-africaines racistes en Angola ont eu un rôle important dans l’amplification du militantisme chez les jeunes noirs. Allister Sparks, journaliste et rédacteur en chef du Rand Daily Mail, a observé : « Les slogans et le discours de la révolution coloniale portugaise ont balayé les townships de l’Afrique du Sud et ont stimulé la conscience révolutionnaire naissante. »
Particulièrement importante a été la défaite des forces armées sud-africaines en Angola en 1975-76 par des soldats angolais et cubains. Les répercussions de la défaite de l’Afrique du Sud se sont étendues au soulèvement de Soweto. Un directeur d’un lycée de Soweto a livré un témoignage frappant et dit que la situation en Angola « était très présente à l’esprit de ses 700 élèves… Ils discutaient tout le temps et ils sont heureux de l’évolution de la situation — cela leur donnait de l’espoir ». Le London Sunday Times a fait observer que les gangs « de couleur » des townships de Cape Town adoptaient de nouveaux noms tels que « Cuban Kids » et « Terreurs du MPLA ». L’illustration la plus poignante de cette influence est sans doute une pancarte brandie lors de la marche de Soweto. Il était simplement écrit : « C’est arrivé en Angola. Pourquoi pas ici ? »
Nelson Mandela, dans un message sorti clandestinement de Robben Island, a déclaré : « Les frontières de la suprématie blanche se réduisent. Le Mozambique et l’Angola sont libres et la guerre de libération s’amplifie en Namibie et au Zimbabwe. » Le Parti communiste sud-africain a déclaré : « Tandis que l’Angola a détruit le mythe de l’invincibilité militaire sud-africaine, Soweto a démoli le mythe selon lequel les forces de sécurité du gouvernement sont capables de détruire l’esprit révolutionnaire du peuple. » Oliver Tambo, alors président du Congrès national africain, a clairement associé l’Angola et le soulèvement de Soweto :
« Terrifié à l’idée de la victoire des forces de progrès dans le pays à la suite et dans le prolongement direct de la victoire du peuple en Angola, le régime de Vorster a déclenché la terreur sanglante qui aujourd’hui est symbolisée par Soweto. »
Les événements régionaux ont eu un effet de durcissement sur les jeunes sud-africains noirs et ont été un facteur pour raviver la lutte anti-apartheid en Afrique du Sud. L’assaut frontal ininterrompu contre l’apartheid, à l’intérieur et à l’extérieur de l’Afrique du Sud, a signalé l’écroulement de l’hégémonie régionale de Prétoria. En conséquence, l’existence et la survie du régime de l’apartheid reposaient désormais en premier et dernier ressort sur la répression et la violence de l’État ; sa domination a été exercée principalement par la militarisation de l’État, des townships et de la région.