23 juin 1990
Défaite de l’Accord de Meech
Le renouveau démocratique et une constitution moderne sont un besoin urgent
Le 23 juin 1990 échouait l’Accord du lac Meech, un ensemble d’amendements à la Constitution du Canada négocié en 1987 derrière des portes closes par le premier ministre du Canada, Brian Mulroney, et les premiers ministres des provinces. La défaite de Meech signalait un nouvel approfondissement de la crise constitutionnelle, laquelle est maintenant devenue une crise existentielle à cause de l’intégration du Canada à l’économie de guerre et aux arrangements étatiques des États-Unis.
L’Accord de Meech avait été signé à cause de la crise provoquée par le référendum de 1980 au Québec sur la place du Québec dans le Canada et du refus du Québec de signer la Constitution de 1982 rapatriée par le gouvernement de Pierre Trudeau. Trudeau avait promis de rédiger une nouvelle entente constitutionnelle après la défaite du référendum du Québec et cette promesse s’est soldée deux ans plus tard par l’ajout de la Charte des droits et libertés et d’une formule d’amendement à l’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1867 (AANB de 1867), une loi adoptée par le parlement impérial britannique qui a été appelée « Constitution du Canada ». Avec l’ajout de Pierre Elliot Trudeau, l’AANB de 1867 est devenue la Loi constitutionnelle du Canada (1982). C’était l’« équivalent canadien » de la Loi du Canada adoptée par le Parlement britannique le 29 mars 1982 et sur cette base on a prétendu que la Constitution était « rapatriée ».
On a dit que cela mettait fin à la dépendance du Canada de la Grande-Bretagne, mais en réalité la Reine d’Angleterre demeure le chef d’État du Canada et, plus important encore, les Canadiens n’ont jamais adopté leur propre constitution, pour enchâsser ce qu’ils considèrent être les principes qui guideront le Canada au XXIe siècle. En d’autres termes, la Constitution n’investit en aucune façon le peuple canadien de la souveraineté.
La Loi constitutionnelle de 1982 inclut une formule d’amendement et la Charte des droits et libertés. En plus de ne pas conférer la souveraineté au peuple, ce qui signifie qu’elle n’a pas consacré la conception moderne de l’égalité ou les droits et devoirs des citoyens sur une base moderne, elle n’a pas non plus réussi à établir des relations de nation à nation avec les peuples autochtones et ne reconnaissait pas le droit du Québec à l’autodétermination. Par conséquent, le Québec a refusé d’en être signataire. C’est pour tenter de résoudre la crise constitutionnelle que cela a provoquée que le gouvernement de Brian Mulroney a entamé en 1985 des négociations constitutionnelles qui allaient conduire à l’Accord du lac Meech deux ans plus tard le 23 juin 1987.
Le premier ministre du Québec de l’époque, Robert Bourassa, a dit que le Québec signerait la Constitution si cinq modifications étaient apportées à l’Accord.
L’Accord de Meech visait à déclarer le Québec « société distincte » au sein du Canada. Il donnait un veto constitutionnel au Québec, augmentait les pouvoirs des provinces en matière d’immigration, étendait et réglementait le droit à une compensation financière raisonnable pour toute province qui se retirerait de quelque programme fédéral futur dans un domaine de juridiction exclusivement provinciale et donnait voix au chapitre aux provinces dans la nomination des sénateurs et des juges de la Cour suprême.
Ainsi, au lieu de moderniser la constitution d’une manière qui favorise le peuple, l’Accord du lac Meech cherchait à maintenir le statu quo.
Puisque Meech aurait changé la formule d’amendement de la Constitution et apporté divers autres changements, en particulier modifiant le processus de la Cour suprême, il fallait obtenir le consentement de toutes les législatures provinciales et du parlement canadien dans un délais de trois ans. Les dix premiers ministres provinciaux s’étaient tout de suite mis d’accord mais le consensus ne dura pas les trois ans requis pour obtenir le consentement des assemblées législatives. Une Conférence des premiers ministres fut convoquée vingt jours avant l’échéance pour essayer de sauver Meech et il fut convenu que Meech devait être suivi d’une autre ronde de négociations constitutionnelles. Le premier ministre de Terre-Neuve, Clyde Wells, s’attaqua au secret du processus décisionnel. Le 23 juin 1990, date limite, Elijah Harper, député de l’assemblée législative du Manitoba membre des Premières Nations, signala, à son grand honneur, son refus de consentement en brandissant une plume d’aigle, rendant ainsi impossible l’unanimité requise de l’assemblée. Wells annula sa proposition de tenir un vote à l’assemblée de Terre-Neuve et l’Accord du lac Meech était officiellement mort.
Une des principales caractéristiques de l’Accord de Meech était de ne pas clarifier ce que voulait dire « société distincte » en parlant du Québec. Il affirmait que le Québec était une « société distincte » et que « la législature et le gouvernement du Québec ont le rôle de protéger et de promouvoir la société distincte ». La « société distincte » est restée indéterminée dans les documents, les aspects « distincts » du Québec n’y étaient pas énumérés et il n’y avait pas de critères par lesquels les préserver et les promouvoir. Le terme « société distincte » a été le sujet de nombreuses interprétations mais celle qui a dominé les cercles politiques officiels était que le Québec est distinct en raison de la langue française uniquement. En faisant de la langue la seule question, la formulation de Meech sur la « société distincte » niait que le peuple québécois constituait une nation ayant évolué au fil de l’histoire avec une communauté d’économie et de territoire, une langue et une culture et une psychologie portant l’empreinte de cette histoire. Qui plus est, elle niait au peuple québécois le droit à l’autodétermination. Le fait de dire à l’Assemblée nationale ce qu’elle devait faire n’a pas été bien reçu non plus.
Un autre aspect important de l’Accord de Meech est la promotion qu’il faisait de la désunion et de l’inégalité. Le fait de définir une nation uniquement par sa langue mène à la théorie que le Canada est habité par un grand nombre de « nations ethno-linguistiques », toutes susceptibles d’un statut indépendant mais dont seulement l’« anglaise » et la « française » auraient une place d’honneur.
Meech encourageait la désunion également en dévoluant certains pouvoirs fédéraux aux provinces comme s’il s’agissait de dix petites nations (les provinces) regroupées dans une grande nation (le gouvernement fédéral). Les deux territoires (le Nunavut n’existait pas encore) ne furent pas invités au lac Meech (ils ont participé par téléconférence) parce que Mulroney considérait que leur pouvoir était insuffisant, établissant ainsi la possibilité de différents statuts selon la région. D’autre part, Meech accordait à chaque province un pouvoir de veto en matière législative et il était clair que chaque province s’en servirait pour avancer les intérêts étroits des regroupements économiques et politiques régionaux qui finançaient les gouvernements plutôt que de mettre de l’avant l’intérêt ou le but national d’ensemble.
Le troisième aspect de Meech était son refus d’affirmer ou même d’aborder le sujet des droits ancestraux des peuples autochtones, ce qui revenait à supprimer ces droits sur une base coloniale. Les droits ancestraux des peuples autochtones ne sont pas un élément périphérique, ils doivent être enchâssés dans la Constitution du Canada sur une base moderne, plutôt que par la Proclamation royale de 1763.
Le roi George III promulgua la Proclamation royale de 1763 pour revendiquer officiellement l’Amérique du Nord comme territoire britannique après que la Grande-Bretagne ait gagné la Guerre de sept ans. La proclamation dicte que seulement la Couronne peut acheter des terres des Premières Nations.
Les peuples autochtones ont le droit de ne pas être soumis au pouvoir décisionnel de la Couronne. Les autochtones ont le droit légitime de revendiquer les terres de leurs ancêtres et d’en disposer comme ils l’entendent. En tant que peuples souverains, ils ont le droit de décider de leurs affaires mais aussi de participer à la décision des affaires du Canada dans son ensemble. Aucune des modifications proposées par l’Accord de Meech n’abordait ces sujets. Les chefs autochtones présentèrent deux autres objections. La première concernait leur exclusion de l’ensemble des travaux de Meech. L’autre concernait le transfert possible de services fédéraux aux provinces prévu dans la clause sur le droit de retrait avec compensation, ce qui entraîne directement le démantèlement de programmes essentiels pour les peuples autochtones sur lesquels ils doivent pouvoir exercer un contrôle.
Le quatrième aspect principal de Meech était le caractère antidémocratique des procédures. Toutes les consultations eurent lieu derrière des portes closes. Elles furent caractérisées comme une rencontre de onze hommes blancs à cravate pour décider du sort du pays entre eux. Une fois l’accord conclu dans le secret, les onze premiers ministres tentèrent de l’imposer au peuple sans autre discussion ou délibération. Il n’y eut pas de consultation populaire, l’ordre du jour n’était pas établi suivant les désirs du peuple et les points discutés et inclus dans l’accord étaient ceux que les premiers ministres voulaient discuter et inclure au nom des intérêts privés étroits qu’ils juraient de servir et de protéger.
Le mécontentement de la population face aux procédés de Meech fut capté par le Forum des citoyens sur l’unité nationale de 1990, appelé Commission Spicer, que Mulroney fut forcé d’établir après la défaite de Meech, disant que son gouvernement voulait entendre les opinions des Canadiens. Le rapport de la Commission Spicer publié en 1991 permet de constater que de nombreux Canadiens et Québécois étaient très conscients que quelque chose manquait dans le processus politique canadien, qu’on ne pouvait pas faire confiance aux hommes et aux femmes politiques et qu’il manquait les mécanismes nécessaires pour habiliter le peuple. Beaucoup ont réclamé la convocation d’une assemblée constituante qui permettrait au peuple de délibérer et de décider de la constitution qu’il veut.
Toutes les recommandations et propositions de la Commission Spicer ont par la suite été ignorées par le Gouvernement du Canada.
La signification de Meech aujourd’hui est qu’à l’époque actuelle les peuples veulent être les arbitres et les décideurs. C’est le travail pour le renouveau démocratique qui va ouvrir la voie au progrès de la société et non le réaménagement du statu quo au nom du changement, de la modernisation et de faire en sorte que chaque vote compte.
Le lac Meech a confirmé l’émergence au Canada d’une forme de pouvoir politique où le pouvoir absolu est entre les mains d’oligopoles mondiaux et où ceux qui se disent les représentants politiques du peuple agissent en fait au service de leurs cartels et coalitions. La notion que le premier ministre et les dix premiers ministres provinciaux pouvaient décider à eux-seuls de la Constitution, et que le peuple devrait être exclu du processus, a été rejetée fermement parce qu’aujourd’hui l’histoire exige que le pouvoir soit transféré au peuple qui agit de son propre chef et dans son propre intérêt. Celui-ci veut retirer la politique des mains des intérêts privés étroits en place et la mettre entre les mains de ceux qui s’attaqueront aux problèmes que le peuple veut régler, comme l’insécurité économique qui est devenue la plus grande priorité à l’heure actuelle, de pair avec l’intégration du Canada à la machine de guerre des États-Unis.
L’échec de Meech a également mené à la disparition de la configuration du parlement jadis fondé sur l’existence du « parti au pouvoir » (libéraux ou conservateurs) et du « parti de l’opposition ». Le Parti conservateur a été à toute fin pratique radié de la carte à l’élection de 1993 et le Parti libéral est dans un triste état depuis le « scandale des commandites » de 1995, qui a permis de concentrer toujours plus de pouvoir dans un nombre de mains toujours plus petit. Depuis, les partis politiques siégeant à la Chambre des communes ont formé un cartel de type mafieux qui sert à maintenir le peuple sans pouvoir et où ceux qui s’appellent les partis politiques sont élus grâce à des banques de données destinées à leur permettre de microcibler des électeurs. Ce qui fait que le fossé continue de grandir entre les gouvernants et les gouvernés. Aujourd’hui, aucun gouvernement n’a le consentement des gouvernés et la nécessité d’un renouveau démocratique est plus urgente que jamais.
Les causes de la crise constitutionnelle méritent qu’on s’y penche. Il s’agit notamment de :
– la nécessité de garantir des relations de nation à nation avec les peuples autochtones afin de mettre fin à l’injustice coloniale et de réparer tous les torts commis contre eux ;
– la nécessité d’enchâsser l’égalité d’appartenance au corps politique en mettant fin à toutes les notions de droits fondées sur le privilège et les limites dites raisonnables et d’enchâsser des droits égaux pour tous les citoyens et résidents ;
– la nécessité d’investir le peuple et non une personne fictive de l’État de la souveraineté, encore moins d’en investir un monarque étranger.
– enfin, la nécessité de reconnaître la création d’une union libre et égale en reconnaissant le droit du peuple du Québec à l’autodétermination, y compris la sécession s’il en décide ainsi, ce que l’Accord du lac Meech a refusé de faire.
À moins que le Canada ne soit constitué en union libre et égale, une partie restera supérieure aux autres et régnera sur tous ceux qui sont citoyens et résidents et toutes ses parties constituantes, y compris les nations autochtones et toutes les minorités nationales, en faisant appel aux pouvoirs de police chaque fois qu’elle n’arrive pas à ses fins.
Le temps est venu de moderniser la constitution !
(Archives du Centre de ressources Hardial Bains)