Dans l’actualité
Le mouvement courageux des fermiers en Inde
Trois fermières sont écrasées à mort par un camion qui a foncé sur des manifestants
– J. Singh –
Les fermiers et leurs alliés partout en Inde et dans le monde entier pleurent la mort des trois femmes qui ont été écrasées à mort par un camion qui a foncé sur un groupe de fermières lors de manifestations à la frontière de Tikri dans l’Haryana. Le Parti communiste du Canada (marxiste-léniniste) se recueille et exprime tout son respect devant leur courage, leur détermination et leur lutte exemplaire à la défense de leur juste cause. Il exprime ses profondes condoléances à leurs familles, à leurs villages et à tout le mouvement.
Les fermières se sont placées aux premiers rangs de cette lutte pour l’abrogation de trois lois qui portent atteinte aux intérêts des fermiers. Cette lutte met avant tout en lumière la nécessité du renouveau politique pour établir un gouvernement qui place les intérêts du peuple au centre des prises de décisions. Le système de gouvernance de type Westminster actuellement en place en Inde est celui de la société dite civile fondée sur le pouvoir de police. Le refus du gouvernement central de répondre aux justes revendications des fermiers montre ce qui se passe lorsque des criminels saisissent le pouvoir, trempent dans la corruption pour voler le peuple et encouragent des individus à commettre des crimes brutaux comme celui qui a mené à la mort des trois fermières écrasées.
Les fermiers indiens entament leur 12e mois dans les campements. Ces mois de résistance sans précédent leur ont donné une compréhension inestimable de comment les problèmes se posent et de ce qu’ils doivent faire pour obtenir la reconnaissance de leurs droits. Les attaques de l’élite dirigeante et de son État ont été odieuses et la cause des fermiers du Pendjab s’est répandue dans toute l’Inde. Le mouvement initié par les fermiers est devenu un mouvement populaire pour les droits de tous partout en Inde et il jouit de l’appui des Indiens non-résidents et des peuples partout dans le monde. Les campements autour de Delhi sont devenus des lieux d’apprentissage et des universités pour les fermiers qui peuvent se faire entendre sur les questions qui les préoccupent, partager leurs expériences et apprendre les uns des autres.
Aussi, les fermiers comprennent maintenant que l’abrogation des trois lois anti-fermiers n’est que la première étape. Le problème de la gouvernance anti-fermier et anti-peuple est beaucoup plus vaste. C’est un problème dont la solution réside dans la résolution de la crise agraire et de la crise de gouvernance anti-peuple qui doit céder à une rénovation de toutes les institutions et à un renouveau qui soit favorable au peuple.
Les fermiers font résolument valoir la gravité de la situation. Lors d’un des morchas (rassemblements de protestation), un fermier a expliqué : « Nos coûts continuent de grimper, ils ont augmenté de plus de 200 % mais nous n’obtenons pas les prix voulus pour nos produits, avec comme résultat que nous nous appauvrissons. Les gouvernements ne nous écoutent pas, peu importe le parti au pouvoir. Un grand nombre de personnes ont des petites exploitations et il y a aussi un grand nombre d’ouvriers agricoles sans terre. Puis, il y a le problème des traditions démodées et irrationnelles qui servent à nous empêcher d’avancer. Nous devons trouver des solutions à ces problèmes. Nous devons le faire nous-mêmes, à l’unisson avec tous les travailleurs de l’Inde et du monde. L’élite dirigeante tente de briser notre unité et pour y arriver, tous les prétextes sont bons. Mais nous devons rester unis. »
Les fermiers ont mis sur pied un Comité d’enquête pour faire la lumière sur un des meurtres qui ont eu lieu dans les campements. Le Comité enquêtera sur les forces responsables de telles provocations contre le mouvement des fermiers. Les fermiers ont souligné que l’élite dirigeante brandit une vieille arme, celle d’inciter la haine bestiale sur la base de la religion et de noyer la lutte dans le sang. Ils ont exhorté les fermiers et le peuple à la vigilance.
Une vidéo d’un membre du Congrès à l’Assemblée législative au Pendjab est devenue virale. Elle le montre avec ses acolytes en train de battre un jeune homme après que celui-ci lui ait demandé ce qu’il avait fait depuis cinq ans. Le député est devenu enragé qu’on ose lui poser une telle question. Le dirigeant d’un autre parti, à qui on a demandé ce qu’il avait accompli depuis cinq ans, a répondu : « Je vais faire la leçon à ceux qui posent de telles questions. » Les fermiers appellent les gens de poser des questions à tous les dirigeants élus lorsque ceux-ci viennent aux villages.
Les fermiers de Maharashtra ont organisé une fermeture totale le 11 octobre, pour dénoncer le meurtre des quatre fermiers de la municipalité de Tikunia dans la ville de Lakhimpur Kheri, dans l’État d’Uttar Pradesh, par des fiers-à-bras du parti BJP au pouvoir, menés par le fils du ministre central du gouvernement Modi. Une cérémonie commémorative et des prières ont aussi eu lieu le 3 octobre pour ces fermiers de Lakhimpur Kheri. Les fermiers et les gens de tous les coins de l’Inde se sont rendus à Tikunia, Lakhimpur Kheri, pour participer à une antim ardas (cérémonie commémorative) avec des Indiens non-résidents provenant de l’étranger et pour exprimer leur aversion pour le gouvernement central anti-peuple et celui de l’Uttar Pradesh.
Une fois les hommages rendus, les fermiers ont exigé que le ministre, contre qui pèse une accusation criminelle, soit arrêté et congédié du cabinet. Les fermiers ont aussi transporté les cendres des martyrs de la lutte des fermiers dans tous les 600 000 villages de l’Inde, expliquant les enjeux de cette lutte à la population. Les cendres seront enterrées sur le site du monument commémoratif dédié à Bhagat Singh, Rajguru et Sukhdev à Hussainiwala.
Des effigies du premier ministre Modi et du ministre en chef d’Uttar Pradesh, Adityanath Yogi, ont été brûlés par les fermiers dans tout le pays, un symbole de protestation qui a été repris durant le festival de Dessehra. Les fermiers ont aussi lancé l’appel à bloquer les chemins de fer de l’ensemble de l’Inde le 18 octobre.
Le gouvernement Modi a décrété qu’une zone de 50 kilomètres longeant les frontières du Pendjab, du Bengal et d’Assam tombait sous son contrôle direct par le biais des Forces de sécurité frontalières sous commandement central. Toute question de loi et d’ordre sera laissée à la discrétion des forces paramilitaires qui peuvent détenir des gens sans procès. Les fermiers ont dénoncé cette mesure comme étant une grave atteinte aux droits du Pendjab, du Bengale et d’Assam, et un pas de plus pour écraser le Pendjab.
La décision du gouvernement central de placer la zone frontalière sous son contrôle direct est également une autre manoeuvre de l’élite dirigeante visant à démanteler les accords de partage du pouvoir établis lors de l’adoption de la constitution d’inspiration britannique. Cette manoeuvre a pour but de faciliter le vol de terres pour le compte d’intérêts privés étroits. L’Assemblée du Pendjab a adopté une résolution condamnant cette saisie des terres frontalières.
Les autorités indiennes ont également expulsé Darshan Singh Dhaliwal, un résident américain, pour avoir organisé une langar (cuisine communautaire) pour les agriculteurs au campement de Sidhu à la frontière de Delhi. « Je gère une langar à Singhu depuis janvier et je leur rends visite tous les trois mois, explique-t-il. Samedi [23 octobre], lorsque j’ai atterri à l’aéroport [international Gandhi], l’entrée m’a été refusée alors que j’avais des documents valides. Ils ne m’ont pas donné de raison. Ils m’ont fait attendre pendant cinq heures et m’ont mis dans un vol de 1 h 30 pour Chicago. ». Les fermiers dans les campements ont condamné ce geste du gouvernement indien.
Autres activités en octobre
Le 7 octobre, les fermiers ont célébré le 114e anniversaire de naissance de Durgavati Devi, connue sous le nom de Durga Bhabhi, grande révolutionnaire et camarade de Rajguru, Sukhdev et Bhagat Singh. Elle était un membre actif du Naujawan Sabha et a mené de nombreuses actions révolutionnaires avec ses camarades, notamment en se faisant passer pour l’épouse de Bhagat Singh afin de faciliter son évasion de Lahore et en menant la marche du cortège funéraire de Jatin Nath Das de Lahore à Kolkata. Elle a été emprisonnée pendant trois ans.
Lors des morchas, les fermiers ont discuté de questions de fond qui concernent le peuple et la société. Ils ont déclaré que l’abrogation des lois anti-fermiers n’est pas une fin en soi. C’est le minimum qu’ils doivent atteindre pour aller de l’avant. La question fondamentale, ont-ils dit, est de savoir comment mettre fin à la crise agraire et à la concentration des ressources dans les mains d’une petite minorité. Ils discutent des mesures nécessaires pour répondre aux besoins de tous les membres de la société et comprennent l’importance des formes qui affirment le droit d’être de tous et chacun. Un fermier âgé a déclaré qu’une année de discussions dans les morchas nous a appris plus que les écoles et les universités en 70 ans.
Un fermier a souligné qu’en 2008, Adani a construit un entrepôt de 200 000 tonnes à Moga, au Pendjab, pour y stocker des produits agricoles. « Ces lois ont été faites l’année dernière, mais les grandes entreprises avaient déjà fait des préparatifs, a-t-il dit. J’ai vu cette énorme unité de stockage. Elle n’est pas loin de mon village. Le gouvernement a donné à Adani des terres pour quelques centimes afin de construire cette unité de stockage géante. L’élite dirigeante le planifie depuis longtemps, quel que soit le parti au pouvoir. »
Un jeune fermier a déclaré : « L’assemblée de l’État et le parlement central ne représentent pas les intérêts des travailleurs. Pendant les élections, ils font des promesses et lorsque nous leur demandons de les tenir, ils nous attaquent et ouvrent le feu sur nous. Lorsque nous demandons des comptes, ils nous traitent de terroristes, d’extrémistes et d’anti-nationaux. Nous, qui nourrissons toute la société, sommes vus avec mépris par les dirigeants des partis politiques. Après les élections, ils disparaissent, et maintenant ils viennent dans nos villages. Lorsque nous les interrogeons, ils nous menacent. C’est ce que nous avons vécu. Quel que soit le parti au pouvoir. » Il a ajouté qu’« aucun de ces partis ne s’intéresse à nos problèmes ; ils ne sont intéressés que d’accéder au pouvoir et par le fait de servir les riches. »
Un autre fermier de Tikri Morcha a souligné qu’« il y a ceux qui essaient de nous tromper en disant que tout est la faute du BJP et que si aux prochaines élections d’autres députés comme les ‘camarades’ d’Akalisor du parti du Congrès sont élus, les conditions des fermiers s’amélioreront. Ils nous disent d’oublier notre propre expérience : quel que soit le parti au pouvoir ou dans l’opposition au cours des 75 dernières années, ils nous ont volé et pillé. »
« Quelle est la voie vers l’avant ? », demandent les fermiers. « Nous devons changer le tantra (système) de pillage et de spoliation, le système de la domination des partis. Nous devons créer un nouveau système dans lequel nous devenons nous-mêmes des dirigeants, des législateurs et des personnes qui font respecter les lois. C’est ainsi que s’expriment les fermiers. L’un d’eux a dit : « De même qu’on ne peut pas mettre des pierres dans une bouteille, de même dans ce système de parti et de parlement, les intérêts des fermiers et des peuples ne peuvent pas être servis. Même si nous élisons une majorité de députés, ce tantra ne nous servira pas. Il a ajouté : Des réformes et des transformations fondamentales sont nécessaires pour que nous, les producteurs de toutes les richesses, puissions réellement devenir des décideurs et des gouvernants, comme l’envisageait Bhagat Singh. »
Le 13 octobre, lors du shahidi samagam (hommage aux martyrs) en mémoire des fermiers tués à Lakhimpur Kheri, le gouvernement de l’Uttar Pradesh a menacé les fermiers d’expulsion, affirmant que leurs titres de propriété ne sont pas valides. Un grand nombre des familles de fermiers qui y vivent sont arrivées avec Rani Jinda dans les années 1840, après la chute du Pendjab aux mains des Britanniques. Elles ont joué un rôle important dans la guerre contre les Britanniques en 1857 et dans le mouvement d’indépendance. Dans les années 1950, le gouvernement central a fait venir des fermiers du Pendjab pour défricher la jungle et coloniser cette région. Aujourd’hui, le gouvernement de l’Uttar Pradesh affirme que les titres de propriété de ces terres ne sont pas en règle et menace d’expulser les Pendjabis.
Alors que les fermiers examinent leur situation et tirent des conclusions, l’élite dirigeante essaie toutes les méthodes de subterfuge, de tromperie et de fraude pour faire dérailler le mouvement. Elle présente de nouveaux visages pour tromper les fermiers. Elle prévoie également de noyer les luttes des fermiers dans un bain de sang. L’attaque de Lakhimpur Kheri et maintenant le meurtre des trois fermières sont les derniers exemples de ce que les dirigeants ont l’intention de faire. Pour leur part, les fermiers sont prêts pour les batailles décisives en cours et celles qui les attendent. C’est pourquoi ils chantent Ya Jit Ke Jawange Ya Laashan Jaangiyan (Soit nous reviendrons victorieux, soit nos cadavres reviendront).
Que les fermiers gagnent ou perdent cette bataille, cette lutte courageuse changera l’Inde à jamais.
Partout dans le monde, un problème commun se dessine : comment les citoyens participent-ils au processus de prise de décisions qui affecte leur vie ? Qui décide ? Qui fixe l’ordre du jour ? Les réponses à ces questions amènent de plus en plus de personnes à prendre conscience que leur manque de pouvoir est dû au système de partis et au gouvernement soi-disant représentatif qui représente les riches et non le peuple.
Les conditions appellent au renouveau et à la rénovation, mais l’autorité veut perpétuer le système anachronique basé sur l’exploitation des personnes par les personnes et les rapports basés sur l’oppression. Les fermiers et les autres travailleurs appellent à la rénovation et au renouveau ; les représentants de l’élite dirigeante ne peuvent dire la vérité sur rien. La rénovation et le renouveau sont devenus la nécessité de notre époque.