Victoire sur le fascisme en Europe
9 mai 1945
Le complot anglo-américain contre la paix : Opération Sunrise
– Dougal MacDonald –
Selon les interprétations de l’histoire défendues dans un grand nombre de textes anglo-américains sur la Deuxième Guerre mondiale, la guerre contre l’Allemagne n’a pas pris fin le 9 mai lors de la capitulation allemande à Berlin, mais bien le 4, le 7 ou le 8 mai.
Le 4 mai 1945, une capitulation allemande a eu lieu, lors d’une cérémonie au quartier général du maréchal britannique, Bernard Montgomery, dans la lande de Lunebourg, au nord de l’Allemagne. Les Britanniques désignent cette date comme étant la fin de la guerre même si les combats continuaient de faire rage en Europe où les nazis combattaient toujours l’Armée rouge, tentant désespérément d’échapper au sort qui leur était réservé à Berlin. En fait, la reddition allemande dans la lande de Lunebourg ne représentait que les troupes allemandes qui combattaient le 21e groupe d’armées canado-britannique de Montgomery aux Pays-Bas et dans le nord-ouest de l’Allemagne. On dit que, pour des raisons de prudence, le commandement canadien avait accepté la capitulation de toutes les troupes allemandes le lendemain, le 5 mai, lors d’une cérémonie à Wageningen, dans la province de Gelderland dans l’est de la Hollande. Selon d’autres interprétations, cette cérémonie n’était qu’un prélude à la capitulation définitive de l’Allemagne, celle-ci ayant eu lieu au quartier général du général Dwight D. Eisenhower, le commandant suprême des forces alliées sur le front de l’est, dans une école de la ville de Reims, aux petites heures du matin du 7 mai 1945. Or, puisque cet armistice ne devait entrer en vigueur qu’à 23 h 01 le jour suivant, les cérémonies de commémoration aux États-Unis et en Europe de l’ouest ont lieu le 8 mai.
Toutes ces interprétations ne servent qu’à nier le fait que la capitulation définitive de l’Allemagne a eu lieu à Berlin où le plus haut représentant de l’Armée rouge était aussi présent. Cette capitulation définitive est reconnue partout dans le monde et est incarnée dans la photographie du drapeau de l’Armée rouge soviétique flottant sur le Reichtag, le parlement allemand. Aujourd’hui encore, ce drapeau est reconnu comme l’étendard de la victoire.
N’en demeure que les interprétations sur la date de la capitulation des fascistes allemands n’est pas qu’une question de date, d’heure ou d’endroit. Le 3 mars 1945, alors que la Deuxième Guerre mondiale faisait toujours rage, les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Allemagne nazie ont entamé une série de négociations en Suisse en vue d’une capitulation locale des forces allemandes en Italie du Nord. Ces négociations portent le nom d’ « Opération Sunrise », ou encore « Opération Crossbow ». Le principal négociateur pour les États-Unis était Allen Dulles, qui est devenu quelque temps plus tard le directeur de la CIA américaine. Le principal négociateur nazi était le général du Waffen SS, Karl Wolff, commandant suprême de toutes les forces SS en Italie. Celui-ci a travaillé pour la CIA après la guerre, comme ce fut le cas pour d’autres anciens nazis, qui ont tous continué de combattre la « menace du communisme ».[1] L’intermédiaire d’Opération Sunrise était l’industriel italien et sympathisant fasciste, le baron Luigi Parilli.[2] Wolff a eu des négociations secrètes avec le général américain Lyman Lemnitzer et le général britannique Terence Airey pour fixer les termes de la capitulation. En effet, les forces allemandes en Italie du Nord ont éventuellement capitulé de façon inconditionnelle le 2 mai 1945, seulement six jours avant que l’Allemagne nazie ne capitule à Berlin.
L’Union soviétique, qui avait porté le gros des combats contre l’occupant nazi depuis le 22 juin 1941 et qui avait battu de façon éclatante les forces nazies lors de l’héroïque bataille de Stalingrad le 2 février 1943 – le tournant décisif de la guerre – avait été informée de la tenue des négociations Opération Sunrise, mais on lui avait refusé le droit d’y participer. Le 22 mars 1945, le ministre soviétique des Affaires étrangères, Vyacheslav Molotov, écrivait à l’ambassadeur des États-Unis, Averell Harriman : « Depuis deux semaines maintenant, à Berne, et dans le dos de l’Union soviétique, des négociations ont lieu entre les représentants du commandement militaire allemand, d’une part, et les représentants du commandement américain et britannique, de l’autre. Le gouvernement soviétique est d’avis que ces négociations sont totalement inadmissibles. »
Le 29 mars, le dirigeant soviétique, Joseph Staline, écrivait une lettre au président des États-Unis, Franklin Roosevelt, exposant clairement le véritable objectif de ces négociations. Il a accusé à juste titre les États-Unis et le Royaume-Uni d’avoir conclu une entente avec le général allemand, Albert Kesselring, le principal commandant allemand en Méditerranée, afin d’ouvrir le front et permettre aux Allemands de concentrer leurs efforts contre l’Armée rouge. Il a noté qu’en fait les Allemands avaient cessé de combattre les forces anglo-américaines et que trois divisions de troupes allemandes avaient modifié leur position, passant de l’Italie du Nord au front soviétique. Les 3 et 7 avril, Staline avait à nouveau indiqué dans des lettres sans détour à Roosevelt (qui est décédé le 10 avril) que les négociations avec les nazis en Suisse avaient tout à voir avec la non-résistance à l’ouest et la résistance féroce contre l’Armée rouge à l’est.
Dans son propre livre au sujet d’Opération Sunrise, The Secret Surrender (1966), Dulles affirme qu’il avait aussi préconisé une capitulation négociée avec les nazis en Italie du Nord parce qu’il pensait qu’en l’absence d’une capitulation rapidement négociée, les Allemands auraient continué de se battre en se repliant à l’ouest de Venise, permettant aux troupes soviétiques et à leurs alliés partisans d’atteindre Trieste, centre industriel italien névralgique. C’est ce que Dulles voulait éviter à tout prix. Dulles indique clairement que loin de chercher à aider l’Union soviétique, les arrangements négociés pour l’après-guerre étaient à l’avantage des États-Unis et du Royaume-Uni. C’était là l’objectif premier des négociations, mis en relief par le fait que les troupes américaines sont arrivées à Trieste avant les troupes soviétiques, menant à des disputes frontalières d’après-guerre acrimonieuses entre l’Italie et la Yougoslavie.
Aussi les machinations d’Opération Sunrise corroborent-elles entièrement le fait que les Anglo-Américains avaient refusé d’ouvrir un deuxième front en Europe, ce que Staline avait souvent demandé. Un débarquement anglo-américain en Europe aurait forcé Hitler à retirer ses forces militaires du front de l’est, accordant un répit à l’Union soviétique et menant plus rapidement à la défaite des nazis. Le premier ministre britannique, Winston Churchill, s’opposait ouvertement à l’ouverture d’un deuxième front. Il était heureux de voir Staline et Hitler aux prises dans un combat sans merci sur le front de l’est et encourant l’un l’autre de nombreuses pertes. Il croyait que les impérialistes anglo-américains avaient tout à gagner à laisser ce combat perdurer. Le sénateur et futur président des États-Unis Harry S. Truman s’opposait aussi à l’ouverture d’un deuxième front. Le 24 juin 1941, il déclarait : « Si nous constatons que l’Allemagne est en train de gagner, alors nous devons venir en aide à la Russie. Et si la Russie est en train de gagner, nous devons venir en aide à l’Allemagne, de sorte à ce qu’il y ait le plus de pertes possibles des deux côtés. »
Les Soviétiques ont éventuellement obtenu un deuxième front, mais beaucoup plus tard, avec le débarquement de Normandie le 6 juin 1944, près d’un an et demi après que les batailles décisives de Stalingrad et de Kursk avaient fait reculer les nazis, les forçant à battre en retraite jusqu’à Berlin. Aussi, en juin 1944 les Anglo-Américains avaient de bonnes raisons de débarquer sur la côte française, puisque les troupes soviétiques poursuivaient leur marche implacable vers Berlin et les Allemands étaient en pleine fuite. Il devenait urgent pour les Anglo-Américains de débarquer leurs troupes en France et de placer des troupes en Allemagne afin de préserver ce pays des « mains soviétiques ».
Dès que la défaite de l’Allemagne nazie est devenue un fait accompli, la propagande nazie aux États-Unis et au Royaume-Uni a monté d’un cran, attaquant l’Union soviétique et préconisant que les Anglo-Américains avaient davantage d’affinités avec les nazis en déroute et l’Allemagne d’après-guerre qu’avec leurs anciens alliés. Par exemple, le 22 janvier 1944, suite à l’accord historique de Téhéran, le Neue Volkszietung, le principal quotidien allemand-américain pronazi dont le siège était à New-York et qui publiait de la propagande continue pour monter les autres alliés contre l’Union soviétique, affirmait : « Toute l’Europe à l’ouest de la frontière russe aura un intérêt commun suite à cette guerre, et ce sera de préserver son indépendance devant un puissant voisin russe, ce qui sera impossible sans l’aide de l’Angleterre et des États-Unis. »
Tout au long de la Deuxième Guerre mondiale, la stratégie anglo-américaine a été de tenter de minimiser ses propres pertes militaires tout en intervenant dès que l’Allemagne et l’Union soviétique seraient épuisées. Les États-Unis et leur allié britannique pourraient alors créer une Europe d’après-guerre qui serait nettement à leur avantage économique et politique. Lorsque l’Opération Sunrise a eu lieu en mars et en avril de 1944, et lorsqu’un deuxième front a été enfin ouvert en Normandie en juin 1944, l’objectif principal des deux n’était pas de contribuer à établir une juste paix. Les deux opérations visaient avant tout à empêcher les Soviétiques de jouer un rôle décisif dans la guerre contre les hitlériens, bien que l’Union soviétique avait déjà joué ce rôle et s’était déjà méritée la reconnaissance indélébile des peuples du monde pour ses immenses victoires.
Notes
1. Wolff a sauvé sa propre peau grâce à ses liens anglo-américains. Il a passé moins de deux ans en prison à l’issue des procès de Nuremberg, pour ensuite purger une peine mineure suite à sa condamnation par le gouvernement allemand d’après-guerre en 1948. Après les révélations du procès Eichmann, Wolff a été accusé en 1964 d’avoir déporté 300 000 Juifs au camp d’extermination de Treblinka, des Juifs italiens à Auschwitz ainsi que du massacre de partisans en Biélorussie. Pour ces crimes de guerre haineux il n’a purgé que cinq ans sur une peine de prison de quinze ans.
2. Parilli devait à nouveau arriver sur l’avant-scène lorsqu’il a collaboré avec l’OSS/CIA pour empêcher l’avènement d’un gouvernement dirigé par les communistes en Italie.
(Archives du LML)
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