La journée des martyrs, le 23 mars 2021
Bhagat Singh
– 27 septembre 1907 – 23 mars 1931 –
Au milieu de la nuit du 23 mars 1931, Bhagat Singh, Rajaguru et Sukhdev ont été exécutés par les dirigeants coloniaux britanniques du Raj britannique à la prison de Lahore. Beaucoup d’autres ont été emmenés à la potence, beaucoup comme eux au début de la vingtaine. Un à un, les jeunes révolutionnaires, les ouvriers et les paysans ont vu leurs héros martyrisés — pourtant le cri pour la liberté de leur peuple, qu’ils chantaient même en étant conduit à la potence, émeut encore aujourd’hui les esprits des révolutionnaires indiens.
Mahatma Ghandi, contrairement à tous les mythes à son sujet, a joué un rôle méprisable. Juste au moment où les dirigeants britanniques emprisonnaient les révolutionnaires indiens et les envoyaient à la potence, il a signé un accord avec les Britanniques qui leur a donné le feu vert pour exécuter les révolutionnaires. Le 5 mars 1931, après de longs entretiens entre Gandhi et Lord Irwin, vice-roi de l’Inde, l’Accord Gandhi-Irwin est signé. Le pacte stipulait que « les prisonniers politiques qui subissent une peine d’emprisonnement dans le cadre du mouvement de désobéissance civile pour des infractions qui n’impliquent pas de violence… ou d’incitation à une telle violence seront libérés. À la suite de cet accord, les plus grands héros du peuple indien devaient être massacrés par les bourreaux britanniques, tandis que les partisans de Gandhi étaient libérés.
À son procès Bhagat Singh a déclaré :
« Aucun de ceux dont le coeur saigne pour ceux qui donnent leur vie en silence à la construction de la structure économique de l’exploiteur, dont le gouvernement se trouve être le plus grand dans ce pays, ne pourrait réprimer le cri de l’âme dans une angoisse agonisante… D’autres ont ressenti aussi vivement que nous et, sous l’apparente sérénité de la mer de l’humanité indienne, une véritable tempête est sur le point d’éclater. Nous n’avons que lancé le signal pour avertir ceux qui foncent à toute allure sans tenir compte des graves dangers. Nous n’avons que marqué la fin de l’ère de l’utopique non-violence dont la génération montante s’est convaincue de la futilité sans l’ombre d’un doute. La révolution est le droit inaliénable de l’humanité. La liberté est le droit de naissance imprescriptible de tous. Le travailleur est le véritable soutien de la société. La souveraineté du peuple est le destin ultime des travailleurs. Pour ces idéaux et pour cette foi, nous accueillerons toute souffrance à laquelle nous pourrions être condamnés. Sur l’autel de la révolution, nous avons apporté notre jeunesse en guise d’encens, car aucun sacrifice n’est trop grand pour une cause aussi magnifique. Nous sommes satisfaits. Nous attendons l’avènement de la révolution. Inquilab Zindabad ! »
Ce sont les martyrs indiens qui, par leur sacrifice, ont immortalisé les idéaux progressistes et patriotiques du peuple indien, et aujourd’hui leur esprit appelle le peuple à mener la lutte jusqu’au bout.
Le camarade Hardial Bains a dédié en 1985 un livre complet à l’Appel des martyrs lorsqu’il a écrit à propos de la crise en Inde et de la situation au Pendjab à cette époque. Un extrait de la troisième partie de ce livre suit :
Shaheed Bhagat Singh, le brave et honorable martyr du peuple indien, lors de sa déclaration devant la cour coloniale britannique qui l’avait condamné à mort, a exprimé les sentiments pour et la sagesse d’un vrai patriote. « La lutte de l’Inde, dit-il, se poursuivra aussi longtemps qu’une poignée d’hommes au pouvoir continueront d’exploiter le travail du peuple à leurs propres fins. Que les exploiteurs soient indiens ou britanniques, ou les deux en alliance, rien n’arrêtera la lutte … »
L’histoire a confirmé à d’innombrables reprises la justesse de ces paroles prophétiques du patriote indien. La lutte dont il parlait avec grand courage et conviction profonde fait rage aujourd’hui encore ; que les exploiteurs soient indiens ou étrangers ou « les deux en alliance », comme c’est le cas aujourd’hui, « rien n’arrêtera la lutte… »
Le peuple indien voue un amour profond à Shaheed Bhagat Singh et à ses camarades, RaGuru et Sukhdev, qui sont tombés avec lui sous la potence pour la cause de la libération véritable de l’Inde. Dans le but de se parer de couleurs patriotiques, les exploiteurs aussi parlent de lui. Tous les partis politiques des grands capitalistes et propriétaires fonciers évoquent son nom. Mais s’ils se servent du nom de Shaheed Bhagat Singh, ils ne défendent pas la cause pour laquelle il a combattu. En fait, ils tentent en vain d’utiliser son nom pour donner un certain crédit à leur système barbare. Cependant, rien ne peut justifier le système capitaliste, la dépendance étrangère, les vestiges du féodalisme, l’exploitation et l’oppression qui pèsent sur le peuple aujourd’hui.
Lénine indique :
« Du vivant des grands révolutionnaires, les classes d’oppresseurs les récompensent par d’incessantes persécutions ; elles accueillent leur doctrine par la fureur la plus sauvage, par la haine la plus farouche, par les campagnes les plus forcenées de mensonges et de calomnies. Après leur mort, on essaie d’en faire des icônes inoffensives, de les canoniser pour ainsi dire, d’entourer leur nom d’une certaine auréole afin de ‘consoler’, les classes opprimées et de les mystifier ; ce faisant, on vide leur doctrine révolutionnaire de son contenu, on l’avilit et on en émousse le tranchant révolutionnaire. »[1]
Toutes les personnalités révolutionnaires, les vrais patriotes qui ont combattu pour la libération des peuples, ont eu comme but ultime d’unir le peuple indien sans égard aux différences de religion, de langue, de région et de sexe. La littérature sociale et politique de l’Inde depuis l’époque de l’invasion de Mahomet Bin Kassem est remplie d’appels à l’unité du peuple. Un des dirigeants de la première guerre d’indépendance en a ainsi appelé au peuple : « Mettez de côté vos divergences et donnez-vous la main… Courez au champ de bataille, combattez sous un seul drapeau, et que le flux de votre sang lave les stigmates de la domination anglaise sur l’Hindoustan ». Après la libération de Delhi, le 16 mai 1857, Bahadar Shah Zafar a proclamé : « Il est donc absolument essentiel que les hindous et les musulmans s’unissent, travaillent et combattent non seulement pour gagner les guerres, mais aussi pour maintenir la paix et l’ordre au pays. Le contentement du pauvre doit aussi être assuré. »
C’est avec amour et respect qu’on donne le surnom de « Ghadri Babas » aux révolutionnaires à l’étranger qui ont combattu pour la libération et l’indépendance réelles de l’Inde et qui en 1913 ont fondé le Hindustani Ghadar Party. Ils se sont battus eux aussi pour l’unité du peuple, sans égard aux différences religieuses, linguistiques, raciales, régionales et de caste. Ils ont établi des temples sikhs à Vancouver et ailleurs non pas pour la promotion de telle ou telle religion ou secte, mais dans le but d’unir le peuple, indépendamment de la religion, dans la lutte sacrée pour la libération de l’Inde.
Shaheed Mewa Singh, qui a été exécuté par la bourgeoisie canadienne à Vancouver, et Shaheed Udham Singh, exécuté par les colonialistes britanniques à Londres, ne poursuivaient pas des buts religieux. Ils combattaient pour la véritable libération du peuple indien, pour la dignité et l’honneur de leurs frères vivant à l’étranger. Pas un seul martyr n’a combattu pour la suprématie d’une religion. Seuls les agents des exploiteurs étrangers et indiens ont mis de l’avant des buts sectaires, visant à détruire l’unité du peuple dans sa lutte de libération. Par le passé, c’était les colonialistes britanniques et leurs collaborateurs qui fomentaient la violence sectaire, et aujourd’hui c’est la bourgeoisie réactionnaire indienne ainsi que les impérialistes américains, britanniques et autres, y compris les socio-impérialistes soviétiques. Tous savent l’ampleur des ressources que la bourgeoisie canadienne déploie pour convaincre le peuple que l’Inde est divisée en groupes de fanatiques hostiles. Mais la lutte ne tient pas et n’a jamais tenu à telle ou telle religion ni à tel ou tel but religieux. Son objectif est la libération complète de l’Inde. En luttant pour l’unité du peuple, les martyrs ne visaient que cet objectif. Les ennemis du peuple ont toujours tenté d’imposer d’autres objectifs et d’utiliser la religion pour diviser le peuple de façon à détourner et à liquider sa lutte de libération. […]
Ce qui brille au firmament de l’histoire du peuple indien, c’est qu’indépendamment de la religion et des autres différences, il a toujours trouvé la force et l’unité pour poursuivre la lutte d’émancipation nationale et sociale. C’est bien cette tradition historique que les ennemis veulent déformer en attribuant au peuple tous les crimes qu’ils ont eux-mêmes commis.
Les soulèvements historiques des masses au fil des siècles ont formé la psychologie du peuple indien, une psychologie de révolte contre toute forme d’asservissement, de domination, d’exploitation, d’oppression, de retard et d’ignorance. L’histoire a montré que cette aspiration à la liberté, à l’indépendance et au progrès social est inextinguible ; elle a survécu aux assauts des plus formidables envahisseurs et de leurs collaborateurs indigènes.
Note
1. Vladimir Lénine, L’État et la révolution, Chapitre 1
(L’appel des Martyrs — À propos de la crise en Inde et de la situation actuelle au Pendjab, Hardial Bains, Extraits de la troisième partie, Toronto, 1985)