Que signifie la descente de la GRC en territoire Wet’suwet’en?
Écrit par Kai Nagata

(Photo : M. Toledano)
Le 8 janvier 2019 — Des milliers de personnes à travers le Canada et dans le monde surveillent et échangent les mises à jour en ligne alors que les agents de la GRC démantèlent un barrage pour empêcher le passage d’un gazoduc en territoire Wet’suwet’en dans le nord de la Colombie-Britannique.
Les Gidimt’en sont un des cinq clans Wet’suwet’en qui s’opposent tous à la construction d’oléoducs et de gazoducs en territoire Wet’suwet’en. En décembre, les Gidimt’en ont érigé une barrière pour appuyer fermement une résolution pacifique au campement Unist’ot’en à 20 kilomètres de là, où Coastal Gaslink veut faire passer le gazoduc.
Hier après-midi, la police a démantelé une barrière de bois et arrêté plusieurs personnes au poste de contrôle des Gidim’ten, un campement situé sur un chemin de service forestier couvert de neige le long de la rivière Morice au sud-ouest de Houston. Les Gidim’ten ou Gitdumden sont l’un des cinq clans qui composent la nation Wet’suwet’en.
Un peu plus haut sur la route se trouve le campement Unis’tot’en, une ferme maintenue depuis neuf ans par des membres du groupe de la maison Unis’tot’en, qui fait partie d’un clan.
Wet’suwet’en différent vivant sur un territoire adjacent. La police a rassemblé des véhicules tactiques et de l’équipement de terrassement mais elle doit passer par le point de contrôle des Gidem’ten pour atteindre le campement des Unis’tot’en.
Les chefs héréditaires des cinq clans n’ont pas donné leur consentement à la construction du nouveau gazoduc sur les territoires Wet’suwet’en, ce qui a motivé la descente.
Les alliés ont organisé des actions de solidarité mardi le 8 janvier dans des dizaines de communautés partout au Canada pour dénoncer ce recours aux forces policières contre les peuples autochtones qui affirment leurs droits sur leurs propres terres.
Plusieurs Canadiens ont entendu parler de la décision Delgamuukw rendue en 1997 par la Cour suprême du Canada, qui a reconnu que le titre aborigène existe toujours dans les endroits où les nations autochtones n’ont jamais signé de traité avec la Couronne. En fait, la court se référait au territoire même où cette descente a lieu en ce moment.
Delgamuukw est un nom de chef chez la nation Gitxsan voisine qui est transmis de génération en génération. Delgamuukw faisait partie des dizaines de plaignants dans cette affaire, parmi lesquels se trouvaient des chefs héréditaires des nations Gitxsan et Wet’suwet’en.
Ces chefs ont franchi ensemble un jalon extraordinaire en forçant les tribunaux canadiens à affirmer la légitimité de leurs histoires orales, de leurs lois traditionnelles et de leur gouvernance ininterrompue de leurs terres. Il a fallu cependant attendre la décision Tsilhqot’in en 2014 pour que la Cour suprême aille plus loin en reconnaissant le titre aborigène sur une terre en particulier.
Si les chefs Wet’suwet’en devaient retourner devant les tribunaux après toutes ces années, plusieurs experts en droit disent que la force de leur réclamation sur leurs territoires pourrait éventuellement forcer le gouvernement canadien à remettre des milliers de kilomètres carrés de terre des bassins hydrologiques des rivières Bulkley et Skeena et cesser de les appeler « terres de la Couronne ».
C’est la raison pour laquelle l’entreprise de pipeline TransCanada a agi rapidement afin d’obtenir une injonction contre les membres Wet’suwet’en qui bloquent la construction, avant que le terrain juridique sur lequel repose leur projet Coastal Gaslink ne s’effondre.
Le gazoduc de 670 kilomètres lierait les champs gaziers issus de la fracturation hydraulique du nord-ouest de la Colombie-Britannique à un terminal géant d’exportation de gaz liquéfié qui serait construit à Kitimat. Ce projet, appelé LNG Canada, comprend des compagnies pétrolières et gazières de Chine, du Japon, de Corée et de Malaisie de même que Royal Dutch Shell.
Les gouvernements provinciaux libéraux et NPD et le gouvernement fédéral ont tous courtisé le projet LNG Canada par des exemptions fiscales, de l’électricité à bon marché, des exemptions de tarifs et d’autres incitatifs afin de convaincre le consortium de construire le terminal en Colombie-Britannique. Christy Clark et le premier ministre John Horghan ont tous deux célébré la décision finale d’investissement de LNG Canada l’automne dernier, la qualifiant de grande victoire pour la province.
Cependant, sans un gazoduc de quatre pieds de diamètre (122 cm) qui amène le gaz fracturé au terminal maritime, le projet LNG Canada est mort-né.
Cela nous ramène à la rivière Morice, ou Wedzin Kwa en langue Wet’suwet’en. C’est là ou le bât blesse en ce qui concerne la « réconciliation ». Les politiciens raffolent de ce mot mais ils semblent mal à l’aise en ce qui a trait à ses implications.
Les politiciens parlent également beaucoup de la Déclaration de l’ONU sur les droits des peuples autochtones et de comment elle doit être enchâssée dans la législation de la Colombie-Britannique. On lit à l’article dix de la déclaration que « les peuples autochtones ne peuvent être enlevés de force à leurs terres ou territoires ». Il est difficile de voir comment ces arrestations peuvent être conformes à ce droit fondamental.
Les experts en faveur du gazoduc sont déjà en train de travailler d’arrache-pied pour qualifier cette descente d’affirmation de la suprématie de l’ « État de droit » face aux objections de « protestataires ». Ils font remarquer que des ententes sur des retombées ont été signées entre TransCanada et plusieurs gouvernements de bandes le long de la route du gazoduc.
En vertu de la Loi sur les Indiens cependant, les conseillers élus exercent leur compétence seulement sur les terres des réserves, ces parcelles minuscules qui sont mises de côté pour les communautés des Premières Nations et sont largement administrées comme des municipalités.
Ce n’est pas sur ces terres que le gazoduc va passer.
Ce qui est en jeu ici dans la lutte plus vaste sur les droits et titres autochtones, ce sont les vastes terres que la Couronne réclame mais qui n’ont jamais été achetées, conquises ou acquises par traité. Sur le territoire des Wet’suwet’en, ces terres, ces lacs et ces rivières sont sous la responsabilité des chefs héréditaires et des membres de leur famille en vertu d’un système de gouvernance qui remonte avant la fondation du Canada.
Voici ce que je prédis. L’histoire ne va pas être tendre pour les politiciens qui cautionnent le recours à la force contre les populations locales au nom d’un consortium pétrolier et gazier multinational. J’espère que la réponse donnée par les Britanno-Colombiens à ces événements fournira une pause à nos dirigeants alors qu’ils envisagent leur prochain geste.
(dogwoodbc.ca)