Le Marxiste-Léniniste

Supplément

Numéro 3
                2 février 2019

Des développements importants
en Amérique latine et dans les Caraïbes


Ne touchez pas au Venezuela!
La saisie de comptes bancaires du Venezuela par les États-Unis est dénoncée
Dystopie socialiste - Nicolás Maduro Moros, président du Venezuela
Les États-Unis contre le Venezuela au Conseil de sécurité de l'ONU - Arantxa Tirado y Silvina Romano
Pas de sanctions! Pas de coup! Pas de guerre! - Eduardo Correa père et James Patrick Jordan

Célébration du 60e anniversaire de la Révolution cubaine

Allocution de Son Excellence Josefina Vidal, ambassadrice de la République de Cuba au Canada

Hommage à José Marti à l'occasion du 166e anniversaire de sa naissance
Notre Amérique - José Marti


Dans ce numéro

Le Venezuela rejette les mesures
unilatérales des États-Unis

Ce supplément publie des informations sur la bataille en cours pour mener à bien et protéger les efforts des peuples de notre Amérique pour favoriser les relations amicales et de coopération entre les pays - indépendamment des différences de systèmes politiques, économiques et sociaux ou des niveaux de développement -, pratiquer la tolérance et coexister en paix en bons voisins. Avant tout, les gouvernements des États-Unis et du Canada, entre autres, doivent être tenus de reconnaître le droit inaliénable de chaque État de choisir son système politique, économique, social et culturel comme condition essentielle de la coexistence pacifique.

À la lumière de la réunion convoquée par le Canada à Ottawa le 4 février du Groupe de Lima, qui s'efforce de renverser le gouvernement de Nicolás Maduro Moro au Venezuela, LML publie également plusieurs articles pertinents, dont un intitulé « Pas de sanctions ! Pas de coup ! Pas de guerre ! Ne touchez pas au Venezuela ! » d'Eduardo Correa, professeur des droits de l'homme à l'Université autonome de Mexico, et James Patrick Jordan, cocoordinateur national de l'Alliance for Global Justice. L'article discute de la militarisation de l'Amérique latine et des Caraïbes par les États-Unis et ceux qui pratiquent la politique de l'apaisement envers eux et des scénarios en préparation pour une intervention militaire.

Un autre article est le discours prononcé par Son Excellence Josefina Vidal, ambassadrice de la République de Cuba au Canada, à l'occasion d'une réception donnée à l'ambassade à Ottawa le 30 janvier 2019. La réception avait lieu dans le cadre des célébrations du 60e anniversaire du triomphe de la Révolution cubaine.

Le 28 janvier a également marqué le 166e anniversaire de la naissance de l'apôtre de la Révolution cubaine, José Martí. À cette occasion et en raison de son importance pour la lutte qui se mène aujourd'hui, nous reproduisons le célèbre discours de Martí intitulé Notre Amérique.

Haut de page


Ne touchez pas au Venezuela!

La saisie de comptes bancaires du Venezuela
par les États-Unis est dénoncée

Le 29 janvier, la République bolivarienne du Venezuela a rejeté les mesures unilatérales prises par les États-Unis pour prendre le contrôle des comptes bancaires qui sont au nom de la Banque centrale du Venezuela (BCV) et du gouvernement vénézuélien, en tant que partie intégrante du coup d'État qu'ils exécutent contre ce pays.

Le Venezuela a qualifié ce geste de « vol flagrant d'une nation souveraine de ses ressources destinées au bien-être de son peuple, qui révèle un autre aspect du plan de coup d'État mis en oeuvre directement depuis la Maison-Blanche dans le but de renverser le président Nicolás Maduro et de s'emparer des moyens financiers et des ressources naturelles du peuple du Venezuela ».

« Ce geste ne peut être décrit autrement qu'un vol flagrant d'une nation souveraine de ses ressources destinées au bien-être de son peuple, qui révèle un autre aspect du plan de coup d'État mis en oeuvre directement depuis la Maison-Blanche dans le but de renverser le président Nicolás Maduro et de s'emparer des moyens financiers et des ressources naturelles du peuple du Venezuela, », a déclaré le gouvernement dans un communiqué.

« Des actions abusives de cette nature devraient alerter la communauté internationale au sujet de l'incertitude juridique du système financier américain, dans lequel les règles du jeu sont violées par le gouvernement lui-même, sans mécanismes en bonne et due forme ni garanties minimales pour le capital et les investissements internationaux », indique la déclaration qui se poursuit :

« Cet acte de piraterie commis par l'administration Trump s'ajoute à la liste grandissante d'erreurs commises par son gouvernement bizarre en ce qui concerne ses obligations internationales en matière commerciale, environnementale, nucléaire et désormais financière, un comportement qui sape sérieusement son engagement à réorganiser la géopolitique internationale selon son bon plaisir et par la force.

« Le Président de la République bolivarienne du Venezuela, Nicolás Maduro, évaluera et prendra les mesures juridiques correspondantes pour faire face à cette nouvelle agression et à cette obsession impériale non dissimulée de prendre le contrôle des ressources pétrolières, minérales et financières du Venezuela. Le peuple vénézuélien va continuer à défendre fermement sa Constitution, qui est la principale garantie de sa démocratie, de sa souveraineté et de sa liberté », conclut le communiqué.

« Pleine souveraineté pétrolière ! »

La veille, le département d'État américain avait mis en oeuvre de nouvelles sanctions unilatérales contre Venezuela, visant Citgo, la filiale américaine de la compagnie pétrolière d'État Petróleos de Venezuela (PDVSA).

Le ministre du Pétrole du Pouvoir populaire, Manuel Quevedo, a qualifié ce geste de « vol effronté » des ressources du peuple vénézuélien. Après une réunion avec les vice-ministres et le comité exécutif de PDVSA, Quevedo a souligné qu'ils agiront pour protéger les ressources de la nation, ainsi que les partenaires et les fournisseurs de la compagnie aux États-Unis, afin que ces sanctions aient le moins d'impact possible sur le marché pétrolier.

« Citgo est une société au capital vénézuélien que nous avons défendue, et nous ne pouvons pas permettre que le pétrole vénézuélien soit volé, nous ne pouvons pas permettre à l'opposition d'utiliser les ressources à des fins de conspiration », a déclaré Quevedo.

« Nous évaluons toutes les options. Parmi celles-ci, il y a une déclaration de force majeure avec le marché nord-américain. Nous avons la volonté de maintenir les relations avec les sociétés qui ont passé des contrats d'approvisionnement, mais nous voulons aussi protéger nos fournisseurs de matériaux qui ont des contrats avec PDVSA et qui pourraient être affectés », a-t-il dit.

Il a souligné que, dans ces conditions, PDVSA ne peut pas respecter certains engagements vis-à-vis de ce marché et qu'elle cherche donc à affecter le moins possible le marché du pétrole.

Quevedo a indiqué que Citgo est opérationnel et que tant qu'il le sera, PDVSA ne permettra pas que ses ressources soient volées à des fins de conspiration contre la République. « Nous avons déjà fait les premiers pas », a dit Quevedo. Désormais, « un navire chargé de nos ressources qui quitte un port vénézuélien ne pourra le faire avant que le prix de sa cargaison n'ait été payé ».


Dystopie socialiste
et la réalité de notre révolution démocratique


Les nombreuses missions bolivariennes inaugurées durant la présidence de Hugo Chávez qui affirment par des moyens pratiques les droits humains des Vénézuéliens

L'article qui suit est un texte d'opinion du président Nicolás Maduro publié dans le quotidien mexicain La Jornada le 19 janvier 2019.

***

Ils combattent un socialisme qui n'existe pas. Ils se battent contre une anti-utopie qui n'appartient à personne. Ils imaginent un monde sans famille, sans ordre, sans marché, sans liberté. Les libéraux de droite du monde ont inventé un fantôme, y ont accroché la pancarte « socialisme », et maintenant ils le voient partout, surtout, à chaque occasion, au Venezuela. Mais ça suffit.

Parce que ce socialisme qu'ils combattent n'est pas le socialisme dans lequel nous communions, nous, les démocraties inclusives, pleines de gens qui vivent au XXIe siècle. Notre socialisme est particulier, populaire et profondément latino-américain. Comme nous l'avons clairement dit lors de l'Assemblée des Nations unies en septembre dernier : notre projet est un projet autonome de révolution démocratique, de revendication sociale, c'est un modèle et une voie à part qui repose sur notre propre histoire et notre culture.

Et bien sûr, notre démocratie est différente parce qu'elle n'a été fondée ni par ni pour les élites, comme l'ont été les démocraties libérales d'Europe et des USA. Nous nous sommes révoltés contre ce modèle et c'est pourquoi nous avons proposé, il y a 20 ans, une démocratie à nous, fondée sur le coeur souverain du peuple vénézuélien.

Ce qui se passe, c'est qu'à la fin du XXe siècle, lorsqu'en Amérique latine nous sommes sortis de la période des dictatures promues par les USA, ils ont essayé, avec l'idée de « démocratie libérale », de nous refiler un paquet cadeau - comme un cheval de Troie - avec toutes les valeurs de leur propre concept de « modernité ». Mais nous voulons vous dire qu'ici en Amérique latine, nous avons aussi une identité et des valeurs, et que nous voulons impliquer nos propres valeurs dans notre démocratie, plutôt que celles des autres. Pas seulement celles de l'individu et du capital. Aussi celles de solidarité et de communauté. Pour nous, la patrie, c'est l'autre.

Nous avons appris la leçon, car cela nous est arrivé pendant des siècles. Au lieu d'enrichir leur propre culture avec celle de l'extérieur, les élites latino-américaines et leurs modes libérales ont cherché en permanence à refonder l'Europe au coeur de l'Amérique. Détruisant au passage et encore une fois tout ce qui semble différent. Des élites pour lesquelles nous autres, l'Indien et le noir, étions plus singe qu'humain.

Nous croyons fermement en notre démocratie latino-américaine, parce qu'au Venezuela nous croyons en trois principes fondamentaux que nous respectons comme essentiels et nécessaires : Premièrement, parce que nous organisons des élections de manière systématique, quotidienne et pacifique. Au cours des 20 dernières années, nous avons tenu 25 élections, toutes soutenues par des institutions et des acteurs politiques nationaux et internationaux. Nous en avons gagné certaines de manière écrasante, nous en avons perdu d'autres. Deuxièmement, parce qu'au Venezuela, les citoyens, par le biais de mécanismes de démocratie directe, fondamentalement avec les organisations de quartier et les partis politiques, ont accès aux ressources publiques et en ont le contrôle. Et troisièmement, parce qu'au Venezuela, c'est le peuple qui commande, pas les élites. Avant moi, Chávez , un soldat d'origine noire et indienne qui est devenu le père de la patrie, a gouverné. Aujourd'hui, le Venezuela est gouverné - et pour six ans - par un modeste syndicaliste et chauffeur de bus. Au Venezuela c'est le peuple qui se gouverne lui-même, car c'est son Assemblée constituante qui a conçu et rédigé sa propre constitution.

Nous ne sommes pas et ne voulons pas être un modèle de démocratie. Nous sommes, en revanche, la démocratie définie et défendue par son peuple, celle qu'il pétrit dans un effort quotidien contre les mensonges et les faux positifs. Une démocratie imparfaite qui travaille jour après jour pour être plus juste et pour tous.


Célébrations à la fin de la construction de 2,4 millions de logements pour la
classe ouvrière dans le cadre de la Grande Mission du Logement du gouvernement vénézuélien, en décembre 2018

(Traduction : Fausto Giudice pour Tlaxcala)

Haut de page


Les États-Unis contre le Venezuela au Conseil de sécurité de l'ONU

À la demande des États-Unis, le Venezuela a été inclus de façon extraordinaire à l'ordre du jour du Conseil de sécurité de l'ONU qui a eu lieu le 26 janvier à New York. Sous prétexte de la soi-disant « crise humanitaire » au Venezuela qui « empêche le peuple vénézuélien d'accéder à l'eau et aux aliments », le secrétaire d'État étasunien, Mike Pompeo, a basé l'inclusion de ce sujet sur l'article 54 de l'Organisation des États américains (OÉA) et l'a justifiée par la déstabilisation de la région que suppose cette situation. Cet argument a été réfuté, d'entrée, par le représentant de la Russie, Vassily Nebenzia, qui a déclaré que le Venezuela « n'est pas une menace pour la paix et la sécurité. Ce sont les actions des États-Unis qui sont une menace pour le Venezuela. »

Nebenzia a dénoncé le fait que l'inclusion de ce point viole l'article 24 de la Charte des Nations unies concernant l'interdiction de l'usage de la force contre l'intégrité territoriale ou l'indépendance publique d'un État. Les membres permanents et non permanents du Conseil de sécurité ont voté l'inclusion du Venezuela à l'ordre du jour. Le résultat a été 9 voix pour, 4 contre et 2 abstentions, ce qui donne lieu au débat sur la situation du pays.

Le Venezuela au Conseil de sécurité de l'ONU

Pour la première fois de l'histoire, le Venezuela a été acteur au Conseil de sécurité. À cette session ont participé 30 pays : les 15 membres permanents et non permanents et 15 États qui ont demandé à y participer parmi lesquels la République bolivarienne du Venezuela. Bien qu'il n'y ait pas eu de vote final car aucune résolution n'a été présentée, les positions sont restées divisées : 19 pays en faveur du dialogue et de la négociation (20 avec la République bolivarienne du Venezuela), 17 pour l'ingérence.

Les pays en faveur de l'ingérence ont parlé de « l'exode » de Vénézuéliens, de la déstabilisation de la région, de l'absence de légitimité du gouvernement de Maduro à cause de la non-reconnaissance des élections de mai 2018, de la soi-disant répression de l'opposition politique et du peuple par le gouvernement et du pari sur une « transition démocratique ». Se sont fait remarquer pour leur agressivité les représentants de la Colombie, du Pérou, du Brésil, du Chili et de l'Argentine. Le Chili a parlé « d'ouvrir un canal humanitaire » et le Pérou a demandé que l'ONU agisse en s'abritant derrière l'article 34 de la Charte. Les pays de l'Union européenne membres du Conseil de sécurité, le Royaume-Uni et la France, ont soutenu, avec l'Allemagne, la Belgique et la Pologne, l'ultimatum lancé par divers pays de l'Union européenne donnant 8 jours au gouvernement de Nicolas Maduro pour organiser des élections « libres ».

Les pays qui sont restés du côté du respect du droit international ont allégué que le fait que la communauté internationale reconnaisse un président qui s'autoproclame constitue un dangereux précédent et ont fait remarquer qu'il était nécessaire de sortir du conflit par le dialogue et par la recherche d'un accord pacifique. La Russie, qui s'est fait remarquer pour avoir fait une des défenses les plus claires de la légalité vénézuélienne avec Cuba et la Bolivie, a dénoncé, en outre, la déstabilisation que l'ingérence des États-Unis au Venezuela représente pour l'Amérique latine et les Caraïbes. Nebenzia a qualifié ironiquement les déclarations du conseiller à la Sécurité nationale, John Bolton, concernant la remise des biens du gouvernement vénézuélien au gouvernement parallèle de Juan Guaidó de « déclaration bolchevique » car elle suppose l'expropriation des biens du Venezuela.

Il a aussi dénoncé l'usage de la « diplomatie préventive » qui ramène à des justifications (défense préventive) utilisées par les États-Unis pour envahir l'Afghanistan.

Le représentant de la Bolivie, Sacha Llorenti, a énuméré les 3 axes qui sont derrière la déstabilisation du Venezuela par les États-Unis : l'intérêt pour le pétrole, le contrôle géopolitique et la punition des pays qui ne s'alignent pas sur leurs politiques.

Le blocus du Venezuela se resserre

Le secteur public-privé étasunien applique diverses tactiques pour en finir avec le chavisme depuis des années. Après l'échec de la tentative de coup d'État contre le président Hugo Chávez en avril 2002, ces derniers temps il a parié sur l'implosion du chavisme par la voie de l'étranglement économique grâce à des sanctions et à un blocus financier de fait qui, joint à une guerre économique, explique dans une bonne mesure les problèmes qu'affronte actuellement le Venezuela. C'est une stratégie qui comprend de multiples facteurs et à laquelle participent différents acteurs : elle passe par le discrédit du gouvernement vénézuélien dans les médias mondiaux et le refus croissant de reconnaître les lois vénézuéliennes face à l'impossibilité que son alliée sur le terrain, une opposition divisée et discréditée parmi la population vénézuélienne, renverse le chavisme dans des élections.

Le dernier chapitre de ce mode d'emploi a été d'avaliser un gouvernement parallèle dirigé par Juan Guaidó, président de l'Assemblée nationale dans l'illégalité. Mais certainement ce ne sera pas le dernier. Face à la récente investiture de Nicolás Maduro, les pressions ont redoublé, notamment avec la possibilité de plainte contre le président vénézuélien devant la Cour pénale internationale envisagée en septembre 2018 par divers pays et la distorsion du droit international pour qu'il coïncide avec l'imposition d'institutions parallèles sans fondement légal. Malgré la mention de l'article 233 de la Constitution de la République bolivarienne du Venezuela pour justifier l'ascension de Guaidó, on cache le fait que « l'abandon de poste » du président Maduro — que l'Assemblée nationale dans l'illégalité a déclaré en 2017 — n'est pas réel. L'annonce du transfert des actifs du gouvernement vénézuélien au gouvernement de Guaidó est un pas de plus dans l'escalade. Un autre est la négociation des États-Unis avec le gouvernement de Maduro pour installer un chargé d'affaires après le départ des diplomates du pays en même temps qu'ils reconnaissent un chargé d'affaires parallèle.

La tension augmente

Dans ce contexte d'extrême tension où les deux parties jouent à « tout ou rien » à chaque pas, il faudra être attentifs à l'usage qui pourrait être fait de la doctrine de la responsabilité de protéger (R2P), adoptée en 2005 et utilisée par le Conseil de sécurité de l'ONU comme couverture légale pour intervenir en Libye en mars 2011 grâce à la résolution 1973. Les États-Unis et leurs alliés parient sur l'ouverture d'un « corridor humanitaire » qui servirait à faire entrer les militaires pour des travaux soi-disant humanitaires qui auraient pour but ultime de prendre le contrôle du pays et en particulier des ressources pétrolières qui seraient réparties entre les compagnies étasuniennes qui se trouvent actuellement hors de ce négoce comme ExxonMobil. À cette répartition participeraient leurs partenaires européens et toute une pléiade d'entreprises sous-traitantes de différents rangs. Quelque chose d'identique à ce qui s'est passé en Irak. Les déclarations de John Bolton, de Marco Rubio et d'autres fonctionnaires étasuniens et l'annonce du gel des paiements et des actifs de PDVSA montrent le grand intérêt pour le pétrole brut vénézuélien.

Un autre point important : les provocations qui peuvent créer des étincelles dans les rues que l'opposition n'est pas encore arrivée à prendre. Ces provocations peuvent comprendre une sorte d'attentat contre Guaido qui favoriserait les intérêts de ceux qui tirent les ficelles et ne verraient pas d'inconvénient à sacrifier leur marionnette pour atteindre des objectifs plus importants reconnus par des milliers de millions de dollars. En ce sens, il est symptomatique que la Commission interaméricaine des droits de l'homme ait pris rapidement des mesures préventives pour protéger Guaido et sa famille alors que pendant le coup d'État contre le président Hugo Chávez en avril 2002, elle avait refusé de prendre ces mesures pour protéger le président légitime du pays.

Le rôle du Conseil de sécurité

Le Venezuela est l'expression de la lutte géopolitique d'aujourd'hui, mais ce ne sera pas la dernière. La réunion extraordinaire du Conseil de sécurité sur le Venezuela a démontré cependant que si les États-Unis veulent entreprendre des actions belliqueuses plus importantes contre le Venezuela, ils devront le faire avec l'opposition de la majorité de la communauté internationale. Samedi [26 janvier], à l'ONU, la décadence d'un monde occidental représenté par les États-Unis et les pays de l'Union européenne qui ne respectent même pas les règles qu'ils ont instaurées eux-mêmes après la Deuxième Guerre mondiale pour éviter de futurs conflits a été mise en scène.

L'émergence d'une nouvelle hégémonie dirigée par la Fédération de Russie, la Chine et d'autres pays non alignés sur les intérêts des États-Unis qui parient sur un nouvel ordre mondial qui soit plus représentatif que l'hégémonie actuelle a aussi été évidente. Pour le moment, ce pôle alternatif est en train de gagner la bataille dans les institutions multilatérales et rend plus difficile pour les États-Unis de faire approuver n'importe quelle sorte de résolution qui donne son aval à l'usage de la force envers le Venezuela dans le cadre de l'ONU ou au Conseil de sécurité (où deux partenaires commerciaux alliés du Venezuela ont le droit de vote, la Chine et la Russie) ou à l'Assemblée générale. Nous verrons combien de temps mettront les États-Unis pour refuser de la reconnaître afin d'imposer leur manuel préconçu pour amener « la démocratie et la liberté » au Venezuela.

(Centro Estratégico Latinoamericano de Geopolitica (CELAG). Traduction de Françoise Lopez pour Bolivar Infos)

Haut de page


Pas de sanctions! Pas de coup! Pas de guerre!


Manifestation en appui à la République bolivarienne et à son président
Nicolás Maduro le 23 janvier 2019

La menace est réelle...

Les trompettes du changement de régime résonnent et les tambours d'une guerre possible contre la démocratie vénézuélienne se font entendre. Des provocations d'un caractère sans précédent menacent de plonger la région entière dans le chaos et de frapper un coup sérieux contre toute démocratie populaire dans le monde. Le coup instigué de l'étranger contre le Venezuela a débuté par un appel téléphonique du vice-président Mike Pence au prétendant, Juan Guaidó, qui a reçu le feu vert en tant que « président » en attente qui n'a aucune légitimité. La perspective d'une intervention étrangère directe, peut-être même militaire, n'est plus simplement une option « sur la table ». Elle apparaît si menaçante que nous devons cesser de nous demander si l'impensable est possible. Nous devons plutôt arrêter l'impensable.

Nous devons arrêter ce coup. Nous devons arrêter cette guerre.

Le monde entier a été renversé par les mots inscrits sur la tablette jaune et exhibée « par inadvertance » lors d'un breffage à la Maison-Blanche par John Bolton. L'homme à la jaunisse a écrit ces mots de manière brouillonne sur une tablette de feuilles jaunes : « Afghanistan -> Bienvenue aux pourparlers », avec, en dessous, « 5000 soldats en Colombie ». Était-ce un incroyable bris de sécurité ? Ou un geste intentionnel ? D'une façon ou d'une autre, il s'agissait d'une menace à peine voilée que quiconque connaît le contexte de la période actuelle interprétera comme une menace contre le peuple du Venezuela. Il n'y a pas d'autre explication. Et ce n'est pas par erreur qu'une fin possible à la guerre en Afghanistan soit combinée à une discussion sur la possibilité de troupes en Amérique du Sud. L'Alliance pour la justice mondiale a publié un article le 23 janvier 2019, dans lequel on lit :

« Il existe certainement une connexion depuis longtemps entre les forces militaires de la Colombie et la guerre en Afghanistan. La Colombie a envoyé des conseillers, des entraîneurs et des troupes d'opérations spéciales en Afghanistan, et il existe une histoire de transferts de troupes étasuniennes entre les deux pays. En fait, l'application en Afghanistan des leçons apprises pendant des décennies de guerre prolongée en Colombie est un thème souvent mentionné par de hauts représentants militaires. En ce qui concerne la Syrie, l'expert vénézuélien en guerre non conventionnelle Jorgé Negrón Valera écrivait en octobre 2018 qu' 'il ne faut pas écarter l'hypothèse d'un conflit direct. Tout indique cependant que le premier ordre du jour du Pentagone sera la Syrie. Cependant, alors que nous entrons dans l'année 2019, la situation a changé. Si les troupes des États-Unis venaient à être retirées de l'Afghanistan et de la Syrie, elles pourraient bien être redéployées dans un conflit avec le Venezuela qui serait déclenché à partir de la Colombie. »

Depuis le début de l'année, des reportages allégués de témoins oculaires, comprenant des photos, ont circulé et fait état de la présence d'hélicoptères de l'armée des États-Unis et de déploiement de troupes plus grand que d'habitude au Panama, le long de la frontière colombienne. Au même moment, Bolton laisse les médias voir ses notes et le général Mark Stammer, le commandant des Forces armées américaines du sud est à Bogota pour discuter de questions frontalières. En ce moment même, la plus grande concentration de troupes colombiennes se trouve dans les régions productrices de coca dans le sud du pays et le long de la frontière avec le Venezuela. Les deux régions ont reçu la visite de l'ancien commandant du SOUTHCOM, l'amiral Kurt Tidd, deux fois l'an dernier, en février et en novembre. Un des premiers gestes du nouveau commandant, l'amiral Craig S. Faller, a été de visiter la Colombie, également en novembre, deux jours après qu'il ait assumé ses nouvelles fonctions. Dans la même veine, le nouveau président de la Colombie, Ivan Duque, a visité en juillet dernier les quartiers généraux du SOUTHCOM à Doral en Floride. Lors de la cérémonie de prise en charge du SOUTHCOM, l'amiral Faller a dit que « nous considérons l'hémisphère occidental comme faisant partie de notre voisinage. De bons voisins bénéficient toujours d'une forte surveillance du voisinage et, dans notre voisinage, la sécurité et la stabilité ne peuvent pas être tenues pour acquises. »

Si nous ne pouvons pas dire avec certitude qu'il y aura une intervention militaire étrangère, nous sommes témoins de mouvements et de plans qui pourraient laisser présager ce développement sinistre. Aujourd'hui plus que jamais, il faut prendre position et dire Pas de sanctions ! Pas de coup ! Pas de guerre ! Ne touchez pas au Venezuela !

De quoi aurait l'air une intervention militaire ?


Des détachements militaires à l'échelle du Venezuela réaffirment leur loyauté envers le gouvernement légitime du Venezuela, dirigé par le président Maduro, et envers la révolution bolivarienne, le 24 janvier 2019.

De quoi aurait l'air une intervention militaire ? Il existe plusieurs scénarios, depuis une invasion pure et simple jusqu'à la fermeture des frontières du Venezuela et aux frappes chirurgicales, et à l'appui logistique sur le terrain aux auteurs du coup. Nous devons nous préparer à toutes ces éventualités.

Les menaces d'action militaire sont elles-mêmes une forme d'intervention. Depuis le mantra de Trump que « toutes les options sont sur la table », jusqu'aux notes sur une tablette jaune exhibées par John Bolton, elles sont conçues pour intimider le gouvernement légitimement élu du Venezuela et tous les sympathisants du mouvement bolivarien. Elles sont à tout le moins des opérations psychologiques.

Avant d'examiner les différentes possibilités, nous devons traiter de l'affirmation voulant que l'intervention militaire soit peu probable parce que nous ne sommes pas témoins du type de mobilisation qui a précédé les guerres contre l'Irak. Le lieutenant-colonel Octavio Perez, un retraité de l'armée étasunienne, est maintenant analyste en matière militaire pour plusieurs réseaux dont CNN, NBC, Telemundo, et Univision. Il explique :

« Le président a dit que c'est vraiment une bonne chose que le Venezuela soit si proche. De nombreux amis journalistes me demandent où sont les porte-avions ? Où est la marine américaine ? Le fait est qu'à moins de sept heures du Venezuela se trouve la base militaire de Fort Bragg, en Caroline du Nord, qui abrite la 82e division de parachutistes et il sait bien [le président vénézuélien Nicolas Maduro] qu'en moins de huit heures, plus de 1200 parachutistes atteindront le Venezuela. Ils ne vont pas nécessairement atterrir à Caracas, ils peuvent le faire à Maracay, ou à la frontière avec la Colombie, établir une zone de confinement pour la 'république libre' du Venezuela et y amener Godoy [Guaidó], et à partir de là établir ce corridor humain pour Guaidó. C'est par là que les soldats entreraient, non pas pour envahir le pays, mais pour établir ce 'corridor humanitaire' ».

Les promoteurs du changement de régime ont essayé différentes méthodes sans réussir à renverser le gouvernement élu du Venezuela. Ils ont entre autres organisé des manifestations qui visaient à générer une grande déstabilisation politique, utilisé le sabotage économique par le biais des sanctions et infiltré les formes armées du Venezuela avec des collaborateurs. Ils ont aussi eu recours à la tactique de causer des pénuries de nourriture et de médicaments, en accompagnant cela d'une intense campagne de propagande qui dépeignait le Venezuela comme un pays qui n'est pas viable. Plus tôt cette année, une rencontre des sénateurs de presque tous les pays d'Amérique du Sud a été organisée à l'appel du sénat de la Colombie dont le but était d'adopter des mesures contre le gouvernement de Nicolás Maduro. Ces mesures comprenaient l'adoption de lois nationales interdisant des échanges monétaires ou commerciaux avec ce pays.

Ces tactiques ont causé un déplacement social massif depuis deux ans et un exode d'importants segments de la population comme réfugiés. Autrement dit, la crise humanitaire vénézuélienne est produite de l'extérieur. Elle sert aujourd'hui de justification à une éventuelle intervention « humanitaire ». Cet argument a été un argument des plus utiles lors de plusieurs invasions et de plusieurs guerres dans le monde d'aujourd'hui.

Les bases les plus dangereuses sont en Colombie

On sait quand une guerre commence, mais pas quand elle va se terminer et elle laisse toujours des séquelles qui ne se guérissent pas aisément. Une agression par la Colombie sera toujours considérée comme une trahison par les Vénézuéliens, même ceux qui appellent au renversement de Maduro. Une action militaire serait vraisemblablement organisée à partir des bases militaires en Colombie où les États-Unis sont présents, d'où les attaques les plus directes et les plus virulentes pourraient être déclenchées très rapidement. La base la plus dangereuse est peut-être la base Forward Operating Location (FOL) dans le département de Guajira, entre la capitale Riocha et la ligne de chemin de fer qui connecte la mine de charbon de Cerrajón et Bahia Portete. Les FOL ne possèdent pas de présence militaire physique directe, mais elles agissent comme des porte-avions sur le continent. Elles sont bien dissimulées et comprennent une grande piste d'atterrissage et tous les instruments nécessaires pour produire une attaque-surprise d'une grande magnitude. L'essence est stockée dans un souterrain et les FOL comprennent des systèmes de communication, des radars et l'arsenal nécessaire à la perpétration d'une telle attaque sans qu'il y ait besoin de retourner à une base alternative qui est située à des milliers de kilomètres de là. Dans ce cas-ci, la piste d'atterrissage est située sur la route qui relie Riocha et Maicao, directement à la frontière avec le Venezuela. La route est plate sur presque toute sa longueur. Dans un endroit stratégique, elle s'élargit à huit voies pendant environ 3000 mètres.

Seule se trouve à quelque 500 mètres de la route une rancheria autochtone Wayú. Elle semble inhabitée. Sous les constructions de la base se trouve un complexe militaire qui renferme l'arsenal, les instruments et l'essence nécessaire pour effectuer un bombardement sur le Golfe de Maracaibo, la région productrice de pétrole la plus importante du Venezuela. Cette base est à environ une minute du Golfe par un vol de basse altitude d'un F-16 ou d'un F-18.

Un peu plus au sud-ouest de cet endroit il y a la base navale de Cartagena qui peut recevoir des dizaines d'avions B-54 qui sont capables de transporter en quelques heures tout l'arsenal qui est requis pour soutenir un bombardement. En plus de cet aéroport, il y a le port de la base navale, qui a déjà fait l'objet de multiples exercices militaires « conjoints » avec la marine colombienne, afin d'identifier la capacité de soutien de plusieurs porte-avions, sous-marins et de centaines de navires de différents tonnages. Plus au sud, le long de la rivière Magdalena, entre la cordillère centrale et la cordillère de l'est, se trouve la base aérienne de Palanquero, entre La Dorada et Puerto Salgar. Elle est la base aérienne la plus importante de la Colombie. Elle comprend une piste et des hangars qui peuvent contenir des centaines de F-16, de F-18 et plusieurs B-52 en même temps. Cette base est à13 minutes de vol à basse altitude du Golfe de Maracaibo. Il n'y a pas de montagne qui nuit à la visibilité et requiert un vol de plus haute altitude pour une action militaire de ce type. Un peu plus au sud, presque dans le même canyon qui est formé entre les deux montagnes, se trouve la plus importante base d'infanterie de la Colombie, capable d'accueillir plusieurs milliers de soldats et comprenant suffisamment d'espace pour mobiliser des centaines d'hélicoptères pour le transport de troupes et de matériel militaire. Il s'agit de la base de Tolemaida qui est située en banlieue de la ville de Melgar. Il existe quatre autres bases militaires, qui comprennent toutes une présence étasunienne : Bahía Málaga, qui comprend un aérodrome de plus de 3000 mètres ; la base de Buenaventura, située au nord du seul port commercial de la Colombie sur le Pacifique ; la base militaire de Tres Esquinas dans le département de Caquetá, qui possède elle aussi une piste de plus de 3000 mètres à partir de laquelle un bombardement peut être organisé sur des points stratégiques de Caracas, notamment sur le Palais Miraflores ; et la base militaire de Larandia, plus au sud, en pleine jungle amazonienne.

Est-ce que l'OTAN fait partie de la stratégie ?

Un des derniers gestes du gouvernement de Juan Manuel Santos, gagnant du Prix Nobel de la Paix, a été de signer un accord faisant de la Colombie un partenaire de l'OTAN.

En vertu de l'accord, toutes ses bases militaires sont mises à la disposition des besoins militaires de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord. Ce partenariat avec l'OTAN resserre l'étau sur le Venezuela. En plus, compte tenu d'un possible appui militaire de la Russie advenant le déclenchement d'une invasion et de l'attitude belligérante de l'OTAN envers la nation russe, on peut aisément imaginer qu'un engagement militaire pourrait être perçu comme une menace envers l'OTAN, et pourrait enclencher le même type de guerres chaudes par procuration qui se sont produites si souvent et ont été une caractéristique de la guerre froide. Cette spéculation est renforcée par l'ultimatum que les partenaires de l'OTAN, que sont la Grande-Bretagne, la France, l'Allemagne et l'Espagne ont lancé au président vénézuélien élu démocratiquement Nicolas Maduro, lui demandant d'appeler de nouvelles élections.

Le Brésil est lui aussi en train de mobiliser une bonne partie de son armée à la frontière avec le Venezuela au nom du contrôle des réfugiés qui arrivent du pays bolivarien. La base militaire et spatiale d'Alcántara a mené, depuis la fin de 2017, des opérations militaires conjointes avec le Pérou, la Colombie et les États-Unis. La stratégie d'une invasion sur une vaste échelle est déjà conçue et prête. Ce pourrait être une invasion effectuée par plusieurs armées : celles de la Colombie, du Brésil, de l'Argentine, du Pérou, du Chili et même des forces de l'OTAN. La présence de l'armée des États-Unis apparaîtrait alors comme modeste.

Une invasion de grande envergure n'est pas la seule possibilité

Une intervention militaire directe, de grande envergure et belligérante par des puissances étrangères n'est pas le seul scénario possible. Un de ces scénarios pourrait être semblable à ce que nous avons vu lors de différents conflits, que ce soit en Syrie, en Libye et en Irak entre les guerres. Il pourrait y avoir une combination de soi-disant « frappes chirurgicales » sur des cibles spécifiques, dont le but principal serait d'appuyer les auteurs du coup sur le terrain ou des engagements limités pour renforcer les zones d'interdiction de vol.

Il y a d'autres options qui conviendraient probablement mieux à cet hémisphère. Il s'agit du modèle que nous avons vu à l'oeuvre lors du renversement du gouvernement élu de Jean Bertrand Aristide en Haïti. Les comploteurs putschistes ont été financés, formés, et dirigés par le gouvernement des États-Unis et ses agents, mais ils ont agi de manière « indépendante ». Ils ont ensuite été appuyés par des interventions faites au nom de l'aide humanitaire, élargies plus tard par des « réponses humanitaires » aux désastres. Un facteur central a été l'établissement d'une présence militaire internationale de l'ONU, qui a été justifiée comme une intervention de « maintien de la paix » bien qu'elle ait exercé une répression de masse sur les mouvements populaires.

Le premier objectif d'une telle intervention militaire serait de mettre en place des mesures de confinement. Est-ce que les activités des États-Unis visant à étendre leur modèle de militarisation des frontières et à développer des mesures de déploiement militaire rapide sur le plan international sont liées d'une manière ou d'une autre aux tentatives de coup d'État au Venezuela ?

L'armée américaine est la plus experte en construction de bases militaires temporaires mobiles, officiellement à des fins d'aide humanitaire, de réponse aux crises naturelles ou de guerre aux narcotrafiquants. En réalité, il s'agit d'exercices de déploiement rapide et de contrôle à grande échelle des populations. En 2017, au Brésil, Amazonlog a été le plus important exercice militaire international jamais tenu. Des troupes des États-Unis, de la Colombie, du Brésil et du Pérou y ont participé. Un aspect important de ces exercices était de coordonner le contrôle et l'opération des frontières internationales par les militaires. Les États-Unis ont déjà accès à des bases militaires dans chacun de ces pays et d'autres doivent être construites au Brésil, au Pérou et en Argentine.

Certains pourraient dire que des frontières militarisées et des bases temporaires autour du Venezuela, mais pas à l'intérieur de ses frontières, ne constituent pas une intervention militaire directe. Ils se trompent. D'abord, ces frontières et ces bases agiraient en coordination avec des agents militaires et paramilitaires et d'autres participants au coup d'État. La capacité souhaitée d'absorber les réfugiés et de contenir le Venezuela à ses frontières seraient des éléments importants du succès d'un coup d'État.

Le coup d'État en Haïti en 2004 a été perpétré par des dirigeants paramilitaires qui avaient été financés et formés dans un camp de la République dominicaine géré par le gouvernement des États-Unis et financé par l'Institut républicain international. Ils ont réussi à commettre le coup en dépit de l'immense popularité du président Aristide. La crise de violence et des réfugiés a servi à justifier l'occupation militaire internationale. Pendant ce temps, Lavalas, le plus grand parti politique en Haïti, a été interdit et n'a pas pu participer aux élections.

Nous constatons la mise en oeuvre de certains éléments du modèle haïtien au Venezuela : le sabotage économique, une opposition dont le financement et la formation proviennent de l'étranger, et l'utilisation de la Colombie, comme la République dominicaine avant elle, comme base pour la formation et les opérations paramilitaires. On peut aisément imaginer que ces bases temporaires et que ces concentrations de troupes colombiennes, brésiliennes et péruviennes aux frontières de la Colombie pourraient servir à contenir les réfugiés, peu importe le bain de sang que la droite pourrait organiser. Et ce bain de sang, ainsi que le chaos économique, social et politique, pourraient susciter des appels mondiaux à une soi-disant « mission de maintien de la paix », laquelle serait fournie par quelque organisme respecté, sous forme de troupes d'occupations qui appuient le nouveau gouvernement issu du coup.

Cependant, à la différence d'Haïti, qui n'avait pas sa propre armée avant le coup, le Venezuela bolivarien et son peuple sont armés et organisés et ont de puissants alliés. La situation en Colombie est instable et pourrait nuire aux plans d'intervention.

Arrêter la menace de guerre

La situation se résume à ceci : personne d'entre nous ne peut prévoir l'avenir. Nous ne savons tout simplement pas ce qui va arriver. Mais nous savons comment influencer le cours des choses et comment arrêter certaines choses. Nous devons bâtir un mouvement international pour la paix qui réclame la fin des sanctions, la fin du coup, et dit PAS DE GUERRE CONTRE LE VENEZUELA !

Pour terminer, examinons les observations de l'analyste colombien Douglas Hernandez. Hernandez est le fondateur du site web Fuerzasmilitares.org et un collaborateur du Air and Space Power Journal de l'armée de l'air américaine et du périodique militaire brésilien Segurança & Defesa. Dans un article de Colombie Reports [daté du 27 septembre 2018], il dit :

« Les guerres modernes sont multidimensionnelles et elles ne requièrent pas nécessairement le déploiement de navires, de chars d'assaut et d'avions, pour soumettre l'adversaire à votre volonté. Comme la panoplie d'opérations politiques, diplomatiques, économiques et psychologiques n'ont pas réussi à renverser le 'régime vénézuélien', il se peut qu'on ait maintenant recours à des méthodes directes comme l'intervention militaire. »

Plus loin dans l'article, Hernandez laisse entendre que la crise au Venezuela pourrait être à l'aube d'un tournant, quelque chose que ses ennemis ne veulent surtout pas et qui serait une gifle internationale pour eux. Il écrit :

« La confiance est de retour, au point où plusieurs milliers de Vénézuéliens à l'étranger ont demandé à leur gouvernement de les aider à retourner chez eux et, dans ce contexte, le 'Projet retour à la maison' a été mis en marche pour organiser leur retour et leur accorder des mesures pour faciliter leur réajustement social et économique.

« Jusqu'à ce jour et en moins d'un mois, 3 364 Vénézuéliens sont retournés au Venezuela. C'est le seul exemple où des personnes qui ont quitté un pays socialiste retournent vivre sous une 'dictature' de leur plein gré.

« Les mesures prises par le Venezuela sont peu orthodoxes, de nature divergente, et contribuent généralement à sa souveraineté économique. Maintenant, avec la question du Petro, la seule crypto monnaie appuyée par un État et par les réserves de pétrole et d'or avec lesquelles le Venezuela va mener ses affaires internationales, le pays a la possibilité de reprendre la voie de la prospérité.[...]

« Avec sa richesse qu'il pourrait convertir en mesures sociales pour sa population, et en vertu d'un différent modèle idéologique, politique et économique, le Venezuela pourrait devenir un « mauvais exemple » pour le reste du monde, et les peuples pourraient vouloir suivre ce modèle.

« [...] Conséquemment, une vague d'attaques et d'accusations a été lancée pour justifier une intervention militaire et chasser les Chavistas du pouvoir. Je crois que c'est là que réside le problème.

« Il me semble qu'une guerre entre la Colombie et le Venezuela peut être évitée si la société dans son ensemble la rejette sur la base d'une connaissance plus globale de la situation. »

Y aura-t-il une invasion, une occupation ou une guerre ouverte contre le Venezuela ? Nous ne le savons pas. Mais pour l'arrêter, il faut se faire entendre, se lever - l'arrêter avant qu'elle commence. Nous, la société internationale, devons la rejeter complètement.

Eduardo Correa père est un professeur de Droits humains à l'Université autonome de la ville de Mexico. James Patrick Jordan est le coordonnateur national de l'Alliance pour la justice mondiale.

(Alliance pour la Justice mondiale, 19 janvier 2019 - Traduit de l'anglais par LML)

Haut de page


Célébration du 60e anniversaire de la Révolution cubaine

Allocution de Son Excellence Josefina Vidal, ambassadrice de la République de Cuba au Canada

Prononcée à l'ambassade de Cuba le 30 janvier 2019

***

Honorable Alaina Lockhart, secrétaire parlementaire du ministre du Tourisme, des Langues officielles et de la Francophonie,

Monsieur le sous-ministre adjoint chargé des Amériques, Michael Grant,

Honorable sénateur Peter Boehm,

Distingués sénateurs, députés, représentants du gouvernement canadien, ambassadeurs, hauts commissaires et collègues du corps diplomatique,

Compatriotes cubains qui vivent et travaillent au Canada, que ce soit à Cuba ou à l'étranger qui portent toujours Cuba et son peuple dans leur coeur,

Chers amis,

Mesdames et messieurs,

Tout d'abord, je voudrais exprimer ma profonde gratitude à ceux qui ont envoyé leurs messages de condoléances et de solidarité aux victimes des dommages causés par la tornade qui a frappé La Havane dimanche dernier [27 janvier]. Je suis confiante que Cuba va rebondir.

C'est un grand honneur pour nous de vous accueillir tous ce soir à l'ambassade de Cuba. Nous vous sommes très reconnaissants que vous ayez bravé le temps particulièrement froid d'aujourd'hui pour célébrer avec nous la Fête nationale de Cuba.

Pour mon peuple, cette célébration revêt une signification particulière, car nous commémorons le 60e anniversaire du triomphe de la Révolution cubaine, une révolution qui, comme l'a récemment déclaré le dirigeant du Parti communiste de Cuba, Raul Castro, reste jeune parce que comme dès son origine les jeunes en ont été les protagonistes.

Le chemin parcouru jusqu'à présent n'a pas été facile, bien au contraire, comme Fidel Castro l'avait prédit à son arrivée à La Havane le 8 janvier 1959 quand il a averti que tout pourrait être plus difficile à l'avenir.

À l'époque, nous devions non seulement supprimer les fondements de la société cubaine et transformer radicalement le système politique et économique du pays ; mais nous avons également dû faire face à tous les types d'agressions et de menaces, tant intérieures qu'extérieures, dont certaines se poursuivent encore aujourd'hui, comme le blocus économique, commercial et financier imposé par les États-Unis, et les campagnes pour dénigrer la Révolution et ses dirigeants.

Malgré ce contexte défavorable, le peuple cubain a fait des progrès importants dans ses efforts pour bâtir une société de plus en plus juste, inclusive, bienveillante, libre et démocratique.

Maintenant, nous pouvons dire avec fierté que Cuba a atteint toute la justice sociale possible en dépit de circonstances nationales et étrangères défavorables ; elle a offert sa solidarité désintéressée aux autres pays dans le besoin et elle a contribué de façon décisive à la paix et à la stabilité dans notre région et dans le monde, obtenant ainsi une reconnaissance internationale.

Aujourd'hui, Cuba peut présenter des réalisations majeures dans le domaine des services de santé, de l'éducation, de la sécurité sociale, du sport, de la culture, de la sécurité publique, dont les indicateurs sont analogues et parfois plus élevés que ceux des pays développés. Cela est possible grâce à la volonté de l'État cubain et au fait que plus de la moitié du budget national est allouée aux secteurs de la santé et de l'éducation.

Cuba a conquis des droits non seulement pour son propre peuple ; elle a également apporté une contribution précieuse à la promotion des droits humains des autres peuples. Les 407 000 collaborateurs cubains, principalement des médecins et des infirmières, qui, au cours des 55 dernières années, ont offert leur assistance dans 164 pays, et les 56 000 étudiants étrangers de 137 pays qui ont étudié à Cuba, la plupart en médecine, en sont un témoignage vivant.

Bien que modeste, l'économie cubaine croît chaque année à mesure que progresse la modernisation de notre modèle économique et social, avec la détermination résolue de réaliser une économie plus efficace et d'améliorer le niveau de vie de la population.

L'année 2018 a été marquée par l'élection de notre nouveau président, Miguel Diaz-Canel, avec le transfert réussi des principales fonctions et responsabilités de l'État et du gouvernement aux nouvelles générations de Cubains.

Un autre événement d'une importance primordiale a été l'approbation par le Parlement cubain, en décembre dernier, du projet révisé de la nouvelle Constitution, à la suite d'une vaste consultation populaire qui a donné près de 800 000 propositions, conduisant à des modifications dans 60 % des articles du projet initial.

Ces chiffres témoignent du caractère démocratique authentique du processus de réforme constitutionnelle - auquel tous les Cubains ont eu l'occasion de participer et d'apporter leur contribution aux décisions les plus importantes pour la vie de la nation - qui conduira à un référendum le 24 février prochain.

Sur la scène internationale, Cuba a continué de jouer un rôle clé dans la défense de la paix et de la stabilité dans notre région et dans le monde entier, sur la base des principes du respect de la souveraineté, du droit à l'autodétermination, de la non-intervention et de la non-ingérence dans les affaires intérieures des États, qui sont inscrits dans la Charte des Nations unies.

La politique étrangère de Cuba a également été guidée par la Proclamation de l'Amérique latine et des Caraïbes comme zone de paix, signée par tous les chefs d'État et de gouvernement de la région à La Havane en 2014.

Cette proclamation exprime notre engagement à favoriser des relations d'amitié et de coopération entre les pays - quelles que soient les différences entre nos systèmes politiques, économiques et sociaux ou nos niveaux de développement - et à pratiquer la tolérance et à coexister en paix comme de bons voisins. Elle reconnaît également le droit inaliénable de chaque État de choisir son système politique, économique, social et culturel comme condition essentielle pour assurer une coexistence pacifique.

Dans les circonstances actuelles, ces principes sont très pertinents, alors que les actes d'agression et d'ingérence s'intensifient dans notre région qui visent à provoquer un changement de régime au Venezuela et au Nicaragua et alors que le gouvernement étasunien semble prendre la voie de la confrontation avec Cuba, présentant notre pays pacifique et solidaire comme une menace pour la région, ce qui n'est pas le cas.

En ce qui concerne nos relations bilatérales avec le Canada, il y a des faits que j'aimerais souligner aujourd'hui. Il y a 115 ans, dans la ville de Yarmouth, en Nouvelle-Écosse, Cuba ouvrait son premier consulat dans ce vaste pays. En 2020, nous célébrerons 75 ans de relations diplomatiques ininterrompues, qui ont résisté à l'épreuve du temps depuis leur établissement en 1945.

Elles sont une expression des relations positives de longue date entre Cuba et le Canada, qui sont renforcées par des échanges de peuple à peuple et également par des relations politiques, commerciales, économiques et culturelles.

Des étudiants du Grand Orchestre Grande Rivière de Gatineau interprètent les hymnes nationaux de Cuba et du Canada à l'ouverture de la rencontre.


Des résidents cubains à Ottawa


Des représentants d'organisations de solidarité de la région

Nos relations sont un bon exemple et un modèle des liens qui peuvent exister entre deux pays avec des systèmes politiques, sociaux et économiques différents et à une étape différente de développement.

En fait, les relations de Cuba avec le Canada et ses provinces sont une priorité pour Cuba et notre objectif est de les promouvoir davantage.

En 2018, des consultations politiques bilatérales entre Cuba et le Canada ont eu lieu, qui nous ont permis de continuer de travailler ensemble sur des questions d'intérêt commun afin de renforcer nos relations, d'avoir des échanges constructifs sur la façon de relever les défis communs et d'échanger les vues sur les questions bilatérales et internationales, pour lesquelles nous avons des opinions et des approches différentes, d'une manière franche et respectueuse.

Nous avons maintenu des échanges gouvernementaux de haut niveau, par exemple les visites à Ottawa du ministre cubain du Commerce extérieur et de l'Investissement Rodrigo Malmierca, du ministre du Tourisme Manuel Marrero et du vice-président de la Banque centrale de Cuba, Arnaldo Alayón, qui a dirigé une délégation bancaire et financière.

De plus, les échanges interparlementaires se sont poursuivis avec la visite à Ottawa de la présidente du Groupe d'amitié Cuba-Canada au Parlement cubain, Mme Gladys Bejerano.

Nous apprécions particulièrement le vote du Canada à l'Assemblée générale des Nations unies en faveur du projet de résolution cubain exigeant la fin du blocus américain contre notre pays. Le blocus est aujourd'hui le principal obstacle au développement de tout le potentiel de l'économie cubaine et, de par sa nature extraterritoriale, il constitue un obstacle majeur aux efforts déployés par Cuba pour renforcer ses relations économiques, commerciales et financières avec le reste du monde. Parlant de notre dialogue politique, je voudrais évoquer brièvement les problèmes de santé signalés par le personnel diplomatique canadien à La Havane.

Cuba comprend que le gouvernement du Canada a l'obligation de protéger son personnel diplomatique en poste partout dans le monde et d'essayer de trouver des réponses aux symptômes signalés à Cuba, mais elle considère incompréhensible la décision du Canada rendue publique aujourd'hui par Affaires mondiales Canada.

Réduire le personnel du Canada à son ambassade à Cuba et ajuster les programmes de la mission sont des actions qui ne permettent pas de trouver des réponses aux symptômes de santé signalés par les diplomates canadiens et qui auront un impact sur les relations.

Cette décision contraste avec le niveau, le statut et la présence du personnel diplomatique canadien dans d'autres capitales du monde où il ne jouit pas autant de sécurité, de tranquillité, d'un environnement sain et de l'hospitalité qu'à Cuba.

Depuis que l'ambassade du Canada a signalé le premier cas, Cuba a offert de coopérer et a collaboré avec de nombreuses entités du gouvernement canadien. Elle a demandé des informations et a fourni toutes les preuves disponibles et a mis à leur disposition les meilleurs experts cubains dans les domaines les plus divers.

Au cours des échanges qui ont eu lieu, il est devenu évident qu'il n'y avait aucune preuve pouvant révéler des lésions cérébrales, ni expliquer les divers symptômes signalés, ni pouvant indiquer que ces symptômes s'étaient produits du fait du séjour des diplomates concernés à Cuba.

Malgré la décision du gouvernement canadien, Cuba reste déterminée à maintenir le bon état des relations bilatérales et à renforcer les liens avec un pays avec lequel nous entretenons des liens étroits d'amitié et de coopération.

Dans le domaine économique, Cuba est resté le plus grand marché d'exportation du Canada en Amérique centrale et dans les Caraïbes. Le Canada demeure le quatrième partenaire commercial de Cuba. Le commerce total de marchandises a atteint près d'un milliard de dollars en 2018, ce qui représente une augmentation d'environ 25 % par rapport à 2017.

Le Canada est également un investisseur étranger clé à Cuba, au deuxième rang, en raison du nombre d'entreprises établies à Cuba. Nous souhaitons toutefois que davantage d'entreprises canadiennes investissent à Cuba, et la récente décision de mon gouvernement d'engager la négociation d'un accord bilatéral sur la promotion et la protection réciproques des investissements constitue un pas important dans cette direction.

Les Canadiens ont continué de manifester leur intérêt à faire affaire avec Cuba. En novembre dernier, plus de 70 entreprises et représentants de l'Ontario, du Québec et du Canada atlantique ont assisté au Salon international de La Havane. Nous accueillons aujourd'hui des hauts dirigeants et des représentants de sociétés et d'entités qui travaillent avec Cuba depuis de nombreuses années, tels que Sherritt International, la Banque nationale du Canada, Exportation et développement Canada, la Chambre de commerce et d'industrie Canada-Cuba, la CCC, Terracam, Transat, Air Canada, Vacances Air Canada, l'Institut de tourisme et d'hôtellerie du Québec, entre autres.

Cuba a toujours été une destination accueillante et sûre pour les touristes, en particulier pendant les rudes mois d'hiver canadien. En 2018, par exemple, plus d'un million de Canadiens ont visité notre île pour la huitième année consécutive.

Le Canada est également l'un des principaux fournisseurs d'aide au développement à Cuba dans des secteurs prioritaires, tels que la sécurité alimentaire, la modernisation de l'économie et le développement durable.

En même temps, Cuba se félicite du renforcement des relations avec la province de Québec, qui a joué un rôle important dans la promotion des affaires, la coopération mutuellement bénéfique et les échanges culturels. L'ouverture du bureau du Québec à l'ambassade du Canada à La Havane et la création d'un groupe de travail Québec-Cuba illustrent bien la façon dont les liens avec les autres provinces de ce grand pays peuvent être développés.

Cependant, il existe encore un potentiel énorme et inexploré pour renforcer et élargir les relations bilatérales dans les domaines les plus divers, en tirant parti des nouvelles opportunités qui existent à Cuba en matière d'investissement et de commerce dans des secteurs prioritaires tels que le tourisme et les sources renouvelables de l'énergie, de l'agriculture, de l'agro-industrie et de la biotechnologie.

À l'avenir, il sera essentiel pour Cuba de mettre en place une économie efficace qui réponde aux besoins de développement du pays et aux besoins croissants de la population. Et dans ce domaine, le Canada peut jouer un rôle important.

Cuba a hâte de voir le Canada devenir un acteur clé du développement de son économie au cours des prochaines années, pour lequel les conditions sont réunies, compte tenu de la stabilité de nos relations bilatérales, des potentiels du marché canadien et des opportunités commerciales que Cuba offre aujourd'hui.

En résumé, il existe un énorme potentiel pour continuer de construire ensemble une relation bénéfique à la fois pour les pays et les peuples, à laquelle notre ambassade est totalement dévouée.

Au nom de notre personnel et en mon nom personnel, je voudrais remercier les fonctionnaires d'Affaires mondiales Canada (y compris Affaires étrangères, Commerce international et Développement) et d'autres ministères canadiens, comme Agriculture et Agroalimentaire Canada et Infrastructure Canada, le gouvernement du Québec et d'autres entités canadiennes, qui se joignent à nous aujourd'hui, pour leur soutien continu afin d'assurer l'exécution efficace de nos tâches.

La route qui nous attend est complexe et nous sommes pleinement conscients des défis auxquels nous sommes confrontés au niveau national, principalement pour mener à bien la modernisation de notre économie. Nous sommes également conscients des menaces extérieures auxquelles Cuba est confrontée et sommes prêts à y faire face, ces menaces que font planer ceux qui, malgré les échecs répétés, ne comprennent pas qu'il n'y a aucun moyen de démolir un peuple généreux, courageux et solidaire, qui s'est battu pendant près de 100 ans pour parvenir à une indépendance et une souveraineté totales, et qui a résisté et est sorti vainqueur pour continuer de jouir de sa liberté.

Comme l'a déclaré le président cubain Diaz-Canel en décembre dernier, « 2019 sera une année de défis, de luttes et de victoires, nous irons de l'avant et nous surmonterons les défis, et nous en affronterons d'autres ».

Les Cubains qui sont avec nous ce soir et tous nos amis, nous continuerons à nous battre, nous résisterons et nous gagnerons dans nos efforts pour continuer à édifier un pays de plus en plus juste, inclusif, démocratique et prospère.

Thank you very much.

Merci beaucoup.

Muchas gracias.

(Photos : LML, Ambassade de Cuba. Traduction LML)

Haut de page


Hommage à José Marti à l'occasion du 166e anniversaire de sa naissance

Notre Amérique

José Marti
28 janvier 1853 - 19 mai 1895

Le villageois vaniteux croit que le monde entier se réduit à son village, et pourvu qu'il en soit le maire, ou qu'il mortifie le rival qui lui a pris sa fiancée, ou encore que ses économies grossissent dans sa tirelire, le voilà qui tient pour parfait l'ordre de l'univers, sans rien savoir des géants aux bottes de sept lieues qui peuvent l'écraser sous leur botte, ni du combat des comètes dans le ciel qui traversent les airs, endormies, engloutissant des mondes. Tout ce qui en Amérique tient encore du village doit se réveiller. Notre temps n'est pas de ceux où l'on peut se coucher la tête dans un foulard, mais où les armes doivent tenir lieu d'oreiller, comme au temps des guerriers de Juan de Castellanos[1] : les armes de l'intelligence, qui triomphent des autres. Des tranchées d'idées ont plus de valeur que des tranchées de pierre.

Aucune proue n'est capable de fendre une nuée d'idées. Une idée énergique, déployée au bon moment à la face du monde, stoppe, comme la bannière mystique du jugement dernier, une escadre de cuirassés. Les peuples qui ne se connaissent pas doivent se hâter de faire connaissance, comme des futurs compagnons de combat. Ceux qui se montrent les poings, comme des frères jaloux qui convoitent tous deux la même terre, lorsque l'un d'eux, pourvu d'une modeste demeure, envie celui qui en a une plus grande, doivent joindre, pour n'en faire qu'une, leurs deux mains. Ceux qui, prenant appui sur une tradition criminelle, ont mis en pièces, d'un sabre coloré par le sang de leurs propres veines, la terre du frère vaincu, le frère châtié bien au-delà de ses fautes, s'ils ne veulent pas que le peuple les qualifie de voleurs, doivent restituer ses terres à leur frère. L'homme d'honneur ne fait point payer en argent, à tant le soufflet, les dettes d'honneur. Nous ne pouvons plus désormais être ce peuple de feuilles, qui vit dans les nuages, la cime chargée de fleurs, craquant ou bruissant selon qu'il est caressé par les fantaisies de la lumière, ou qu'il est fouetté et saccagé par les tempêtes ; les arbres doivent former les rangs, pour barrer la route au géant des sept lieues ! C'est l'heure de l'appel, et de la marche à l'unisson, et il nous faut avancer en formation serrée, comme les filons d'argent au coeur des Andes.

Le courage ne manquera qu'aux avortons. Ceux qui n'ont pas foi en leur terre sont des avortons. Parce que le courage leur fait défaut, ils le refusent aux autres. Parce qu'ils ne peuvent atteindre l'arbre malaisé de leur bras débile, de leur bras qui arbore bracelets et ongles vernis, de leur bras de Madrid ou de Paris, ils disent qu'atteindre l'arbre est impossible. Il faut charger les bateaux de ces insectes nuisibles qui rongent le coeur de la partie qui les nourrit. S'ils sont Parisiens ou Madrilènes, qu'ils aillent sur le Prado, jouer les poseurs, qu'ils aillent au Tortoni manger des sorbets. Ah ! ces fils de menuisiers, qui ont honte de ce que leur père soit menuisier ! Ces hommes, nés en Amérique, qui ont honte, parce qu'elle porte le tablier indien, de la mère qui les a élevés, qui renient, les vauriens, leur mère malade, et l'abandonnent, seule, sur son lit de douleur ! Eh ! bien, qui donc se conduit en homme ? Celui qui reste avec sa mère, la soignant lorsqu'elle est malade, ou bien celui qui la fait travailler loin des regards, et vit, ainsi entretenu, dans des pays de corruption, parmi la vermine en cravate, disant du mal du sein qui l'a porté, et promenant l'étiquette de traître sur le dos de sa casaque de papier ? Ah ! ces fils de notre Amérique, — laquelle ne se sauvera qu'avec sesIndiens et dont la marche va de bas en haut ; — Ah ! ces déserteurs qui demandent un fusil dans les armées de l'Amérique du Nord, — laquelle noie dans le sang ses propres Indiens, et dont la marche va de haut en bas ! Ah ! ces délicats, qui sont hommes et ne veulent pas faire leur travail d'hommes ! Et ce Washington qui leur créa cette nation est-il donc parti vivre avec les Anglais au temps où il les voyait marcher contre sa propre patrie ? Ces « incroyables » de l'honneur, qui le traînent sur le sol étranger, comme les incroyables de la Révolution française traînaient les r, en dansant et en faisant des mines !

Et pourtant, dans quelle patrie un homme peut-il éprouver plus d'orgueil que dans nos républiques douloureuses d'Amérique, élevées au milieu des masses muettes des Indiens, au bruit du combat entre le livre et le cierge, sur les bras ensanglantés d'une centaine d'apôtres ? Jamais, à partir d'éléments aussi disparates, en si peu de temps historique, ont été créées des nations aussi avancées et aussi compactes. L'orgueilleux se figure que la terre a été faite pour lui servir de piédestal, parce qu'il a la plume facile et le verbe coloré et, sans appel, il accuse d'incapacité la République où il est né, parce que ses forêts vierges ne lui fournissent pas les moyens continuels de parcourir le monde comme un notoire bon vivant, menant des chevaux persans et faisant ruisseler le champagne.[2] L'incapacité n'est pas le fait du pays qui vient au monde, qui réclame des formes adaptées et une grandeur utile, mais bien de ceux qui prétendent régir des peuples originaux, à la composition singulière et violente, au moyen de lois héritées de quatre siècles de libre gouvernement aux États-Unis, de dix-neuf siècles de monarchie en France. Ce n'est pas avec un décret de Hamilton que le paysan vénézuélien stoppe le coup de poitrail d'un poulain. Ce n'est pas avec une phrase de Siéyès que l'on redonnera vie au sang figé de la race indienne. C'est ce qui existe, là où l'on gouverne, qu'il faut prendre en considération, pour gouverner correctement ; et le bon gouvernant en Amérique, n'est pas celui qui sait comment se gouvernent les Allemands ou les Français, mais celui qui sait de quels éléments est fait son pays et comment il peut les orienter tous à la fois, pour parvenir, grâce à des méthodes et des institutions nées du pays lui-même, à cet état souhaité de tous où chaque homme se connaît et agit en conséquence, et où tous jouissent de l'abondance que la Nature a disposée pour tous, dans le peuple qu'ils enrichissent de leur travail et qu'ils défendent de leur vie. Le gouvernement doit naître du pays. L'esprit du gouvernement doit être celui du pays. La forme du gouvernement doit s'ajuster à la constitution propre du pays. Le gouvernement n'est que l'équilibre des éléments naturels du pays.[3]

C'est pourquoi le livre importé a été vaincu en Amérique par l'homme naturel. Les hommes naturels ont vaincu les lettrés artificiels. Le métis autochtone a vaincu le créole exotique. Il n'y a pas de lutte entre la civilisation et la barbarie, mais bien entre la vaine érudition et la nature.[4]

L'homme naturel est bon, et il respecte et donne sa faveur à l'intelligence supérieure, tant que celle-ci ne met pas à profit sa soumission pour lui nuire, ou ne l'offense en l'ignorant, chose que ne pardonne pas l'homme naturel enclin à recouvrer par la force le respect de celui qui blesse sa susceptibilité ou lèse son intérêt. C'est pour s'être conformés aux éléments naturels, trop dédaignés, que les tyrans d'Amérique se sont hissés au pouvoir ; mais ils ont connu la chute dès qu'ils les ont trahis. Les républiques ont expié dans la tyrannie leur incapacité à connaître les éléments authentiques du pays, à en déduire la forme de gouvernement et à gouverner avec eux. Gouvernant, pour un peuple neuf, signifie créateur.

Chez des peuples composés d'éléments cultivés et incultes, ces derniers gouverneront, car ils sont rompus à faire face aux doutes et à les surmonter à la force du poignet, chaque fois que les premiers n'auront pas appris l'art de gouverner. La masse inculte est nonchalante, elle est timide en matière d'intelligence, et elle souhaite être bien gouvernée ; mais si le gouvernement lui est contraire, elle le jette à bas, et gouverne elle-même. Comment les gouvernants sortiront-ils des universités, s'il n'est pas en Amérique d'université où l'on enseigne les rudiments de l'art de gouverner, à savoir l'analyse des éléments propres aux peuples d'Amérique ? Les jeunes gens vont par le monde comme des devins, pourvus de lunettes yankees ou françaises, et ils aspirent à diriger un peuple qu'ils ne connaissent pas. On devrait refuser l'entrée dans la carrière politique à ceux qui méconnaissent les rudiments de la politique. Les prix des concours ne doivent pas revenir à la plus belle ode, mais à la meilleure étude des facteurs concrets du pays dans lequel on vit. Dans les journaux, les chaires universitaires, les académies, il faut poursuivre sans relâche l'étude des éléments de la réalité du pays. Ce qu'il faut, c'est les connaître, sans oeillères ni ambiguïtés ; car celui qui écarte, volontairement ou par omission, une partie de la vérité finit par être abattu par la vérité qu'il a méconnue et qui, grandissant dans l'oubli, vient détruire ce qui prétend s'ériger sans elle. Résoudre le problème après en avoir étudié les éléments est plus facile que le résoudre sans les connaître. L'homme naturel apparaît, indigné et fort, qui démantèle l'échafaudage de la justice livresque, du moment qu'elle n'est pas administrée en conformité avec les besoins manifestes du pays. Connaître, c'est résoudre. Connaître le pays, et le gouverner en fonction de la connaissance qu'on en a, est l'unique moyen de le préserver des tyrannies. L'université européenne doit céder le pas à l'université américaine. L'histoire de l'Amérique, des Incas jusqu'à nous, doit être enseignée sur le bout du doigt, quand bien même on n'enseignerait pas celle des archontes de la Grèce. Notre Grèce est bien préférable à la Grèce qui n'est pas la nôtre. Elle nous est bien plus nécessaire. Les politiciens nationaux doivent prendre la relève des politiciens exotiques. Que l'on greffe sur nos Républiques le monde entier ; mais que le tronc soit celui de nos républiques.[5] Et que se taise le pédant vaincu ; car il n'est pas de patrie où l'homme puisse éprouver plus d'orgueil que dans nos douloureuses républiques américaines.

Les pieds sur le rosaire, le visage blanc et le corps panaché d'indien et de créole, nous sommes apparus, intrépides au monde des nations. Brandissant l'étendard de la Vierge, nous nous sommes lancés à la conquête de la liberté. Un curé, une poignée de lieutenants et une femme élèvent, au Mexique, la République sur les épaules des Indiens.[6] Un chanoine espagnol, à l'ombre de sa cape, instruit dans la liberté à la française, un groupe de magnifiques bacheliers, qui désignent comme chef d'Amérique centrale, contre l'Espagne, le général envoyé par l'Espagne.[7] Vêtus des habits de la monarchie, et le Soleil au coeur, Vénézuéliens au Nord et Argentins au Sud se lancèrent et soulevèrent les populations. Quand les deux héros se heurtèrent, et que le continent faillit trembler, l'un d'eux — qui ne fut pas le moins grand — tourna bride.[8] Et comme l'héroïsme en temps de paix est plus rare, pour être moins glorieux que celui des temps de guerre ; comme il est plus facile à l'homme de mourir avec honneur que de penser de façon logique ; comme gouverner quand les sentiments sont exaltés et unanimes est plus aisé que diriger, quand la guerre est finie, les pensées diverses, orgueilleuses, exotiques ou ambitieuses ; comme les puissances, foulées aux pieds dans l'assaut épique, travaillaient à saper, avec la ruse féline de l'espèce et en utilisant le poids des réalités, l'édifice qui avait arboré, dans les contrées rudes et originales de notre Amérique métisse, sur ces peuples de va-nu-pieds à casque parisienne, l'étendard des peuples nourris de sève politique dans la pratique constante de la raison et de la liberté ; comme la constitution hiérarchique des colonies contrariait l'organisation démocratique de la République, comme les capitales à faux-col délaissaient dans les antichambres la campagne en botte de cheval, comme les rédempteurs « bibliogènes » la campagne pas que la révolution, qui avait triomphé grâce à l'âme du pays qu'avait libérée la voix du sauveur, devait être menée en s'appuyant sur cette âme du pays, et non pas contre elle ni sans elle, l'Amérique se mit à souffri, et souffre toujours, de la difficulté d'accommodation entre les éléments discordants et hostiles, hérités d'un colonisateur despotique et perfide, et les idées et structures importées qui n'ont fait que retarder, par leur ignorance de la réalité locale, le gouvernement conforme à la logique. Le continent, désarticulé trois siècles durant par une autorité qui refusait le droit de l'homme à l'exercice de sa raison, entra, en négligeant ou sans vouloir écouter les ignorants qui l'avaient aidé à se libérer, dans un mode de gouvernement dont le fondement aurait dû être la raison : la raison de tous appliquée aux choses de tous, et non pas la raison universitaire des uns imposée à la raison rustique des autres. Le problème de l'indépendance n'était pas le changement de formes, mais le changement d'esprit.

Avec les opprimés il y avait lieu de faire cause commune, pour affermir le système opposé aux intérêts et aux habitudes de domination des oppresseurs. Le tigre, effrayé par les coups de feu, revient pendant la nuit vers sa proie. Il meurt en jetant des flammes par les yeux et battant l'air de ses griffes. On ne l'entend pas approcher, car il progresse avec des griffes de velours. Lorsque la proie se réveille, le tigre est sur elle. La colonie a continué à vivre dans la République ; et notre Amérique se rachète progressivement de ses grandes erreurs — de la superbe de ses grandes capitales, du triomphe obscur de ses paysans dédaignés, de l'importation excessive des idées et des formules étrangères, du mépris inique et impolitique de la race aborigène —, par la vertu supérieure, fécondée par le sang nécessaire, de la République en lutte contre la colonie. Le tigre est à l'affût, derrière chaque tronc d'arbre, tapi à chaque coin de rue. Il mourra, les griffes battant les airs, jetant des flammes par les yeux.

Mais « ces pays se sauveront », ainsi que l'annonça Rivadavia, qui fut par trop délicat en des temps fort rudes ; à la machette ne convient guère un fourreau de soie, et dans le pays que l'on a conquis par la lance, il n'est pas possible de reléguer la lance, sous peine de la voir réapparaître, peu amène, à la porte du Congrès d'Iturbide[9] exigeant « qu'on fasse empereur l'homme blond ». Ces pays se sauveront parce que grâce au génie de la modération qui semble prévaloir, grâce à la sereine harmonie de la Nature, sur ce continent de la lumière, et grâce à l'influence de la lecture critique qui a succédé en Europe à la lecture de tâtonnement et de phalanstère dont s'est imprégnée la génération antérieure, l'Amérique voit apparaître, en cette époque de réalité, l'homme réel.

Nous étions un épouvantail, avec un torse d'athlète, des mains de petit-maître et un front d'enfant. Nous étions une mascarade, avec nos culottes d'Angleterre, notre gilet parisien, la jaquette d'Amérique du Nord et le bonnet espagnol. L'Indien muet, tournait autour de nous, puis partait dans la montagne, au sommet de la montagne baptiser ses enfants. Le Noir, traqué, chantait dans la nuit la musique de son coeur, solitaire et méconnu, entre les vagues et les bêtes sauvages. Le paysan, ce créateur, se retrouvait, aveuglé d'indignation, contre la ville méprisante, sa propre créature. Nous n'étions qu'épaulettes et toges dans des pays qui venait au monde la sandale au pied et la tête serrée d'un bandeau. Le génie eût consisté à marier, avec la charité du coeur et la témérité des fondateurs, le bandeau et la toge ; à redonner vie à l'Indien ; à donner peu à peu au Noir une place satisfaisante ; à adapter la liberté au corps de ceux qui s'étaient soulevés et avaient triomphé en son nom. Nous gardâmes l'auditeur, le général, l'homme de loi et le prébendier. La jeunesse angélique, comme hors des tentacules d'un poulpe, dressait vers le Ciel sa tête couronnée de nuées, et la voyait retomber chargée d'une gloire stérile. Le peuple naturel, avec l'énergie de l'instinct, mettait en pièces, aveuglé par le triomphe, les cannes à pommeau d'or. Le livre européen, pas plus que le livre yankee, ne fournissait la clef de l'énigme hispano-américaine. On fit épreuve de la haine et les pays, au fils des ans, se mettaient à déchoir. Fatigués de la haine inutile, de la résistance opposée par le livre face à la lance, par la raison face au cierge, et par la ville face à la campagne, de l'impossible domination des castes urbaines divisées sur la nation authentique, qu'elle tempête ou reste inerte, les peuples commencent comme inconsciemment à pratiquer l'amour. Ils se lèvent et se saluent. « Comment vivons-nous ? » se demandent-ils. Et peu à peu, ils se disent les uns aux autres comment ils vivent. Quand à Cojimar[10] surgit un problème, ils ne vont pas chercher la solution à Dantzig. Les redingotes sont encore françaises, mais la pensée commence à être américaine. Les jeunes d'Amérique retroussent leurs manches jusqu'aux coudes, plongent leurs mains en pleine pâte, et la font lever avec le levain de leur sueur. Ils comprennent que l'on imite beaucoup trop, et que le salut est dans la création. Créer, tel est le mot de passe de cette génération. Le vin, du bananier ; et s'il est amer, au moins c'est notre vin ! On comprend que les formes de gouvernement d'un pays doivent s'accorder avec ses éléments naturels ; que les idées absolues, pour ne pas être anéanties par un vice de forme, doivent s'exprimer sous des formes relatives ; que la liberté pour être viable doit être sincère et totale ; que si la République n'ouvre pas le bras à tout et n'avance pas avec tous, c'est la mort de la République. Le tigre de l'intérieur pénètre par la fissure, ainsi que le tigre du dehors. Le général, pendant la marche, règle la cavalerie sur l'allure de l'infanterie. Ou bien, s'il laisse en arrière les fantassins, la cavalerie est encerclée par l'ennemi. La stratégie, c'est la politique. Les peuples doivent vivre en se critiquant, car la critique est une garantie de santé ; mais, avec un seul coeur et un seul esprit. Qu'on se baisse jusqu'aux malheureux et qu'on les lève entre ses bras ! Il faut que jaillisse, bouillonnant et bondissant, le sang naturel du pays ! Debout, avec le regard joyeux des travailleurs, se saluent, d'un peuple à l'autre, les hommes nouveaux d'Amérique. Les hommes d'État naturels sortent de l'étude de la Nature. Ils lisent pour mettre en pratique, et non pas pour copier. Les économistes étudient la difficulté dans ses origines. Les orateurs commencent à être sobres. Les dramaturges portent à la scène les caractères locaux. Les académies débattent de sujets réalistes. La poésie coupe sa crinière à la Zorrilla et accroche à l'arbre glorieux le gilet écarlate. La prose, étincelante et passée au crible, se charge d'idées. Les gouverneurs, dans les républiques indiennes, apprennent les langues indiennes.

De tous les dangers, peu à peu se sauve l'Amérique. Sur quelques républiques, le poulpe est encore couché, endormi. D'autres, par la loi folle et sublime, les siècles perdus. D'autres, oubliant que Juarez allait dans une voiture tirée de mules, veulent un carrosse aérien et une bulle de savon comme cocher ; le luxe empoisonné, ennemi de la liberté, pourrit l'homme futile et ouvre la porte à l'étranger. D'autres purifient, dans l'esprit épique de l'indépendance menacée, leur caractère viril. D'autres encore nourrissent en leur sein, dans la guerre de rapine contre le voisin, la soldatesque qui peut les dévorer. Mais c'est un autre péril qui guette peut-être notre Amérique ; il ne vient pas d'elle-même, mais de la différence d'origines, de méthodes et d'intérêts qui existe entre les deux éléments du continent : l'heure est proche où va s'avancer vers elle, pour exiger des relations plus étroites, un peuple entreprenant et puissant qui la méconnaît et la méprise. Et comme les peuples virils qui se sont faits eux-mêmes, à coups de carabine et de lois, aiment, et aiment exclusivement, les peuples virils ; comme l'heure du débordement et de l'ambition (qu'évitera peut-être, grâce à l'empire de ce que son sang a de plus pur, l'Amérique du Nord, ou bien vers laquelle pourraient la précipiter ses masses vindicatives et sordides, sa tradition de conquête et l'intérêt de quelque chef habile) n'est pas encore si proche, même aux yeux du plus timoré, qu'elle ne laisse le temps d'éprouver, avec persévérance et discrétion, sa fierté, grâce à quoi il serait possible de faire face et de dévier le danger ; comme sa dignité de république impose à l'Amérique du Nord, sous les regards attentifs des peuples de l'Univers, un frein que ne doit point supprimer la puérile provocation ou l'ostentatoire arrogance, ou encore les discordes parricides de notre Amérique, le devoir urgent de celle-ci est de se montrer telle qu'elle est, une en esprit et en dessein, en prompte triomphatrice d'un passé suffocant, tachée du seul sang fécondant que la lutte contre les ruines fait couler de ses mains, et de celui qui jaillit des veines ouvertes par nos anciens maîtres. Le dédain du voisin formidable, qui ne la connaît pas, est le péril le plus grand pour notre Amérique ; et il est urgent, parce que le jour de la visite est proche, que le voisin la connaisse, qu'il la connaisse vite, afin qu'il ne la dédaigne plus. Par ignorance, il en viendrait peut-être à porter sur elle son avidité. Grâce au respect qu'il éprouverait après l'avoir connue, ses mains s'écarteraient d'elle. Il faut avoir confiance en ce que l'homme a de meilleur et se méfier de ce qu'il a de pire. Il faut fournir au meilleur l'occasion de se révéler et de prendre l'avantage sur le pire. Dans le cas contraire c'est la domination du pire. Les peuples doivent avoir un pilori à l'intention de ceux qui les poussent aux haines inutiles ; et un autre pour ceux qui ne leur disent pas à temps la vérité.

Il n'y a pas de haine de races parce qu'il n'y a pas de races. Les penseurs débiles, les penseurs en chambre ressassent et réchauffent des races de bibliothèque, que le voyageur honnête et l'observateur généreux cherchent en vain dans la justice de la Nature, où apparaît d'abord dans l'amour triomphant et les appétits turbulents, l'identité universelle de l'homme. L'âme émane, égale et éternelle, des corps différents en forme et en couleur. Il pèche contre l'Humanité celui qui fomente et propage l'opposition et la haine des races. Mais dans l'amalgame des peuples se manifestent, au voisinage d'autres peuples différents, des caractéristiques particulières et actives dans les idées et les habitudes, une propension à l'extension et à l'appropriation, à la vanité et à la cupidité qui, d'un état latent de préoccupations nationales pourraient bien, lors d'une période de désordres intérieurs ou d'accélération des tendances accumulées du pays, se transformer en une grave menace pour les pays voisins, isolés et faibles, que le pays puissant qualifie de décadents et inférieurs. Penser c'est servir. N'allons point non plus supposer, par antipathie de clocher, une malignité innée et fatale chez le peuple blond de ce continent, parce qu'il ne parle pas notre langue, qu'il ne conçoit pas sa maison comme nous concevons la nôtre, et qu'il ne nous ressemble pas dans ses vices politiques qui sont différents des nôtres, qu'il ne considère pas d'un bon oeil les hommes bruns et bilieux, et ne regarde point avec bonté, du haut de son piédestal encore mal assuré, ceux qui, moins favorisés par l'Histoire, gravissent par héroïques échelons le chemin des républiques ; il ne faut pas non plus escamoter les données concrètes du problème qu'il est possible de résoudre, en vue d'une paix séculaire, grâce à l'étude opportune et l'union tacite et urgente de l'âme continentale. Et déjà, en effet, retentit l'hymne de l'unanimité ; la génération actuelle porte sur ses épaules, sur le chemin ensemencé par ses sublimes aïeux, l'Amérique des travailleurs ; du Rio Bravo au détroit de Magellan, assis sur le dos du condor, le Grand Semi a répandu, par les nations romantiques du continent et par les îles douloureuses de l'océan, la semence de l'Amérique nouvelle.[11]

El Partido Liberal, Mexico (30-1-1891)

Notes

1. Juan de Castellanos est l'auteur des Elegías de varones ilustres de Indias, publiés en 1589. Dans ce poème, qui est certainement l'un des plus longs qui aient jamais été écrits, il brosse un tableau très coloré et détaillé de la Conquête et de la colonisation de l'Amérique, notamment en Nouvelle-Grenade. Il semble bien avoir connu les débuts de l'histoire de l'île Fernandine, c'est-à-dire Cuba.

2. C'est un coup de cravache qui cingle ici le dos des intellectuels et artistes latino-américains qui préfèrent le confort des capitales européennes, au lieu de partager avec leurs compatriotes d'Amérique le rude travail de la reconstruire. Ce sont ceux aussi qui courbent le dos et baissent la tête devant le puissant voisin du Nord.

3. Passage capital où Martí réagit contre la tendance des nouvelles républiques américaines à copier ingénument les institutions européennes ou nord-américaines. Manuel Galich note que « nos constitutions de la première heure sont, presque toutes, et à une variante près, des copies de la constitution des États-Unis, et dans toutes, la base est la Déclaration française des Droits de l'Homme ». Il s'agissait ainsi pour Martí de combattre aussi le « colonialisme des institutions ». On trouvait ce thème chez Bolivar (Discours de Angostura, 1819) : « N'est-il pas dit dans l'Esprit des lois que celles-ci doivent être propres au peuple qui est en cours de formation ?...que les lois doivent se faire en fonction de la réalité physique du pays, du climat, de la qualité de sa terre, de sa situation, de son étendue, du genre de vie de sa population ? »

4. Allusion très claire au titre de l'ouvrage de Sarmiento, Facundo (1845). Roberto Fernández Retamar souligne l'impossibilité qu'il y a à être à la fois d'accord avec Facundo et avec Nuestra América . L'article de Martí est un dialogue implicite avec les thèses de Sarmiento. Sur la notion de « civilisation » chez Martí, on peut lire notamment : « Una distribución de diplomas en un colegio de Estados Unidos » (1883), O.C., t. 8, p. 442. Sur Sarmiento vu par Martí, voir la lettre à F. Valdés Domínguez du 7 avril 1887 (O.C., t.20, p.325). Mais il ne publia rien sur lui lorsqu'il mourut en 1888, sauf quelques mots dans une lettre à E. Estrázulas du 26 octobre 1888. En revanche, Sarmiento avait écrit la même année et publié à Buenos Aires une lettre élogieuse sur Martí. En reversant la célèbre dichotomie de Sarmiento, Martí prend la défense des Indiens, et cela fait penser au génocide ordonné par Rosas, que Sarmiento justifie théoriquement. Sur les thèses ethnocides de Sarmiento, lire : Conflicto y armonías de las razas en América, justification préalable de ce qu'on a appelé « l'héroïque conquête du désert ». Voir à ce sujet l'essai de Manuel Galich : Acotaciones a Nuestra América (in Casa, no. 68).

5. Il est intéressant de noter le point de vue similaire de José Carlos Mariátegui qui écrivait dans Aniversario y balance (in Ideología y política, Lima, 1969) : « Nous ne souhaitons certainement pas que le socialisme en Amérique soit une copie ou un calque. Ce doit être une création héroïque. Nous devons donner vie, avec notre réalité propre, dans notre langue propre, au socialisme indo-américain. »

6. Allusion au « cri de Dolorès » (15 septembre 1810). Dans l'Age d'Or, Martí écrit : « Le Mexique possédait des femmes et des hommes courageux qui n'étaient pas nombreux, mais valaient bien davantage : une demi-douzaine d'hommes et une femme préparaient les moyens de libérer leur pays. » Il s'agit du curé de Dolorès, Don Miguel Hidalgo y Castilla, des officiers espagnols soulevés avec lui, Abasolo, Allende, Aldama, etc., et de l'épouse du Corregidor Domínguez.

7. Le 15 septembre 1821, le parti créole du Guatemala poussa le capitaine général Don Gabino Gaínza à convoquer une Assemblée qui décida la séparation d'avec la Couronne espagnole. Gaínza fut designé chef du nouveau gouvernement ; de là, la formule de Martí : « contra España (el) general de España ».

8. « Les deux héros » sont évidemment Bolivar et San Martín. C'est à la suite de l'entrevue de Guayaquil qui dura deux jours (26-27 juillet 1822) que San Martín laissa le champ libre à Bolivar. On ne doit pas oublier ce que Martí écrit dans l'Age d'Or : « Ces trois hommes sont sacrés : Bolivar, du Venezuela ; San Martín, du Río de la Plata ; Hidalgo, du Mexique. » Lire à cet égard, les chroniques qu'il leur a consacrées.

9. Sur Rivadavia et Iturbide, on peut se reporter à la note, très pertinente et dense, d'A. Joucla-Ruau dans José Martí — Notre Amérique, op. cit., pp. 161-162.

10. Cojimar est une localité située à quelques kilomètres au nord-est de La Havane.

11. Se reporter pour l'ensemble de l'argumentation de cet essai fondamental, au Prologue de Cintio Vitier.

(Traduit par Jean Lamore)

Haut de page


Lisez Le Marxiste-Léniniste
Site web:  www.pccml.ca   Courriel: redaction@cpcml.ca