Dépôt du rapport de l'Enquête nationale sur les femmes et les filles
autochtones disparues et assassinées

Un urgent appel à l'action


Rassemblement à Vancouver le 14 février 2019, avant la marche commémorative pour les femmes et filles autochtones disparues et assassinées cette année

L'Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées affirme dans son rapport que les éléments de preuve recueillis l'ont amenée à conclure que les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées sont les victimes d'un génocide canadien.

Dans l'introduction du rapport on lit ceci: « Ces massacres sont les fruits des affirmations coloniales de souveraineté sur les territoires et les peuples autochtones, comme en témoignent la Loi sur les Indiens, la rafle des années 1960, les pensionnats indiens, les atteintes aux droits de la personne et aux droits des Autochtones, de même que les politiques actuelles, qui marginalisent ces derniers et entraînent une augmentation directe de l’incidence de la violence, des décès et du suicide chez leurs populations. » Dans les conclusions il est écrit: « Les femmes, les filles et les personnes 2ELGBTQQIA autochtones continuent d’être marginalisées et exclues sur le plan social et économique, une situation qui découle directement du colonialisme ainsi que des politiques gouvernementales racistes et sexistes. Cette marginalisation et cette exclusion sont les objectifs des politiques coloniales de l’État canadien, qui portent atteinte aux droits sociaux, économiques et politiques des femmes, des filles et des personnes 2ELGBTQQIA autochtones, en plus de menacer leurs droits à la sécurité humaine et, par conséquent, leur sûreté. Il s’agit d’outils génocidaires. »

L'enquête cite des études contemporaines sur le génocide pour étayer ses conclusions. Elle publie sur son site Web un rapport complémentaire sur la définition juridique du génocide et son application au Canada.

Il y a des éditorialistes, commentateurs, experts et politiciens qui contestent cette conclusion. Leur réponse est troublante à plusieurs niveaux, mais rien de plus troublant que l'angoisse qu'elle suscite en détournant le discours dans le bourbier du racisme, qui consiste à blâmer le peuple pour tous les problèmes et à l'accuser de racisme. Une certaine couverture médiatique de la publication du rapport final de l'Enquête nationale met en lumière l'échec du gouvernement libéral à s'attaquer aux crimes historiques commis par l'État canadien contre les peuples autochtones. D'autre part, la réponse du gouvernement Trudeau s'appuie également sur les relations coloniales qui demeurent à ce jour et sur les tentatives continuelles d'imposer un processus décisionnel aux peuples autochtones. Le Canada refuse de renoncer aux pouvoirs de prérogative usurpés par la Couronne et d'établir des relations de nation à nation. Il refuse également d'offir des réparations pour les torts et les crimes commis et de mettre en place les conditions requises pour que les peuples autochtones puissent exercer leur droit d'être.

Ainsi, le gouvernement Trudeau continue de recourir à la rhétorique et de prendre des mesures symboliques qui peuvent ou non atténuer les problèmes, tout en maintenant les relations et les structures coloniales qui sont les instruments du génocide. La raison en est que les intérêts multinationaux privés et étroits qu'il sert exigent la suppression finale des droits des peuples autochtones sur l'utilisation des terres et des ressources.

Pour ce qui est des conservateurs, le bilan du gouvernement Harper et son approche « ouverte aux affaires » adoptée en Alberta, en Ontario, au Québec et ailleurs montrent que tout ce qui a trait aux droits est considéré comme « mauvais pour les affaires » et doit être éliminé par la conclusion d'accords dans le dos des personnes concernées. Bernard Valcourt, ministre des Affaires autochtones de 2013 jusqu'à la défaite du gouvernement Harper à l'automne 2015, refuse même d'admettre que les actions du Canada contre les peuples autochtones constituent un génocide. Il a répondu à la conclusion de génocide de l'Enquête nationale en la qualifiant de « propagandiste ».

En ce qui concerne les autres partis qui forment le système de cartel de partis, l'expérience montre qu'il n'y a aucun moyen de les obliger à rendre des comptes eux non plus en ce qui concerne leur prétention de gouverner au nom du peuple. L'établissement de relations de nation à nation avec les peuples autochtones et la réparation des torts qui leur ont été infligés est une affaire d'humanisation de l'environnement naturel et social en tant qu'expression de l'affirmation du pouvoir du peuple. C'est la nécessité historique à laquelle sont confrontés les Canadiens et l'ensemble de l'humanité aujourd'hui.

L'objectif de la couverture médiatique courrante est de détourner l'attention de cette nécessité historique. Mais pendant que les s'affairent à détourner l'attention avec un faux débat sur la définition du « génocide » et si elle est appropriée dans les circonstances, l'insistance des peuples autochtones à exiger que le gouvernement remédie à la situation immédiatement et respecte leurs droits ancestraux et issus de traité montre que les enquêtes et les rapports passés et les promesses d'action antérieures n'ont pas mené à l'élimination des structures coloniales qui sont la source du problème. Ces faits importants sont clairement mis en évidence dans le rapport de l'enquête.

Ce rapport est le résultat de la persistance des peuples autochtones à affirmer leur droit d'être, en opposition aux tentatives pluriséculaires de les manipuler et de les détourner et de finalement éliminer leurs droits une fois pour toutes, en plus de l'opposition à la négation directe, ouverte. C'est aussi le produit du soutien de l'ensemble des Canadiens et pour ces derniers c'est une occasion de discuter de ces questions, de faire le point sur la situation aujourd'hui et de trouver une voie vers l'avant. Les peuples autochtones ont non seulement fait preuve de résilience et de « patience » tout au long de l'histoire récente de leur affirmation, ils ont aussi acquis une aversion pour les mots creux, et cela est très inspirant et c'est au cœur de la situation actuelle.

À cet égard, un aspect positif du rapport de l'Enquête nationale est qu'il a permis dans une certaine mesure de faire entendre la voix des victimes du système de « justice » coloniale, raciste et misogyne du Canada. Sont également remarquables à cet égard les « appels à la justice » qui servent de recommandations et sont appelés « impératifs juridiques ». Ce sont les voix du peuple qui doivent prévaloir pour définir 1) ce qui constitue la justice et 2) ce qu'il faut entendre par « impératif juridique ». C'est là que doivent prévaloir les définitions modernes du peuple, et non celles imposées par l'héritage colonial, celles utilisées par ce qu'on appelle les institutions démocratiques libérales pour priver le peuple de ce qui lui appartient de plein droit.

Comment intervenir dans les prochaines élections fédérales d'une manière qui favorise l'avancement des droits des peuples autochtones et les intérêts des travailleurs canadiens est devenu un important sujet de préoccupation pour le corps politique. C'est un problème difficile et troublant pour les Canadiens précisément parce que les institutions dites démocratiques ne les représentent pas, elles représentent la Couronne et les relations coloniales qu'elle maintient à ce jour. Prenez l'exemple de la question de savoir si l'un ou l'autre des partis cartellisés constitue un meilleur choix lorsqu'il s'agit de redresser les torts historiques causés aux Autochtones. Les gens sont confrontés à des choix qui divisent le corps politique d'une manière à empêcher la résolution de tout problème en leur faveur. Il y a d'un côté ceux qui défendent ou cherchent à perfectionner les défuntes institutions démocratiques libérales pour lesquelles les conditions n'existent plus, puis il y a ceux, comme Trump et ses semblables au Canada et dans le monde,  dont les actions laissent peu de doute sur leur déterminer à carrément détruire ces institutions pour complètement éliminer le peuple de l'équation. Ni l'une ni l'autre de ces positions n'est une option véritable. Nous devons continuer de faire valoir nos réclamations à la société, comme les peuples autochtones l'ont fait si vaillamment dans la mesure du possible durant cette Enquête nationale. Ce faisant, la voie vers l'avant pour bâtir le genre d'institutions démocratiques que l'époque réclame, si absentes aujourd'hui, continue de se dessiner.

La parole et les autres formes d'action pour faire leurs réclamations à la société sont des moyens sur lesquels les peuples autochtones et l'ensemble des Canadiens peuvent et doivent compter. Ils peuvent compter sur eux-mêmes et c'est cela la voie vers l'avant aujourd'hui.

Avec un profond respect





(Photos: LML, M. Horel, J. Stayshyn, Leveller, I. Wurmann)


Cet article est paru dans

Volume 49 Numéro 22 - 8 juin 2019

Lien de l'article:
Dépôt du rapport de l'Enquête nationale sur les femmes et les filles : Un urgent appel à l'action - Pauline Easton


    

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