Grande-Bretagne

L'exacerbation de la crise du Brexit et
le déni du gouvernement

La première ministre de Grande-Bretagne, Theresa May, répète à qui veut l'entendre que puisqu'elle respecte prétendument la décision du référendum de juin 2016 de quitter l'Union européenne (UE), le seul choix qui reste est entre « son » entente, « pas d'entente » et pas de Brexit. En conséquence, chaque mesure qu'elle prend face au Brexit ne fait qu'exacerber la crise, le chaos et la tourmente. Le plus récent développement est le « vote significatif » qui devait avoir lieu le 29 janvier et qui a été reporté. Il n'était pas, semble-t-il, aussi significatif qu'on le prétendait. Le résultat est que la motion contient maintenant les amendements des députés qui la rendent contradictoire, mais qui permettent à Mme May de dire qu'elle retournerait à Bruxelles pour obtenir d'autres modifications à l'Accord de retrait. Les dirigeants de l'UE ont immédiatement dit que ce n'était pas possible, ce qui a mené le chef de l'opposition Jeremy Corbyn à dire qu'il parlerait à la première ministre puisque l'option « pas d'entente » serait maintenant éliminée.

May a fixé plusieurs « lignes rouges » qu'elle appelle des « principes » auxquelles elle tient mordicus pour résoudre la crise. Entretemps, les principes concrets qui permettraient de trouver une solution favorable au peuple ne sont jamais considérés.

Jeremy Corbyn, de son côté, se positionne face à cette situation en exigeant que May retire l'option du « pas d'entente ». Il l'oblige à le faire sans quoi il refuse de la rencontrer. Quant au Parti national écossais, à Plaid Cymru et aux autres qui ont réagi aux ouvertures du 10, rue Downing, y compris les secrétaires généraux des principaux syndicats tels que Len McCluskey de Unite et Dave Prentis d'Unison, ils ont compris que pour May la négociation n'est qu'une tactique pour les forcer à appuyer son entente. L'objectif de May est de se servir de leur influence pour tenter de faire adopter, même de justesse, son entente, son Plan B (très semblable au Plan A), à la Chambre des communes.

Comme Corbyn et d'autres l'ont souligné, Theresa May refuse de reconnaître l'ampleur de l'impasse politique engendrée entre autres par l'infime marge de manoeuvre offerte par les dirigeants et les négociateurs de l'Union européenne. Aussi refuse-t-elle de tenir compte du dommage causé par cette impasse et du chaos politique subi par le corps politique. Et ce dommage se manifeste principalement dans les tentatives de polariser le corps politique et de le diviser entre « ceux qui veulent rester » et les « Brexiteers ». Dans une analyse de Workers' Weekly, il est dit : « Corbyn a fait valoir de façon convaincante lors de son discours à Wakefield que les conditions concrètes auxquelles font face ceux qui veulent rester et les Brexiteers sont les mêmes, et qu'elles ne peuvent être résolues par l'éclatement de ce qui pourrait être une guerre civile entre les deux. En effet, Theresa May, bien qu'elle prétende chercher la 'cohésion sociale', attise la flamme du désordre. Aussi est-il clair que May n'hésitera pas à avoir recours aux pouvoirs de police pour affirmer que l'État doit être préservé face au rejet du peuple et de son mot d'ordre 'Pas en notre nom !' ».

Selon Workers' Weekly  :

« Pour May, une élection générale n'offre aucune perspective de se sortir de l'impasse, et pendant ce temps elle s'accroche au pouvoir, ayant été échaudée lorsqu'elle a tenté, suivant les conseils qu'on lui a prodigués, de se tourner vers la nation. Jeremy Corbyn et le Parti travailliste qu'il dirige ont recours aux tactiques qui se trouvent dans la Loi du parlement à mandat fixe de 2011, adoptée sous David Cameron, pour maximiser la possibilité d'une élection générale imminente. Assurément, l'élite dirigeante ne considère pas l'élection générale comme lui étant favorable. Il semblerait plutôt en ce moment que l'élection générale favoriserait l'avènement au pouvoir d'un gouvernement travailliste, ou, dans l'occurrence d'un parlement non majoritaire, permettrait au Parti travailliste de former des alliances avec d'autres partis de l'opposition pour former un gouvernement. La crise politique serait-elle ainsi résolue ? Bien que Jeremy Corbyn et ses alliés prétendent que oui, il y a toujours ses propres intérêts et ceux des bureaucrates de l'Union européenne dont il devra tenir compte.

« Corbyn a l'avantage d'avoir les mouvements sociaux de son côté — mouvements dont il est lui-même issu -, ce qui constitue non seulement un appui politique, mais un important bassin d'activistes et d'électeurs. Cela suffira-t-il pour mettre en oeuvre ses politiques de 'Pour le plus grand nombre, et non seulement pour les quelques-uns' advenant une élection générale où le Parti travailliste assumerait le rôle de gouvernement ?

« Et qu'en est-il de cette Union européenne ? L'UE elle-même est rongée par les crises, en particulier le projet européen qui vise à faire de l'UE une seule entité politique. Mettre l'accent sur les soi-disant 'quatre libertés'[1], comme si les 28 États membres de l'UE partageaient une seule vision, est illusoire. Ce projet est en situation de crise depuis quelque temps déjà, en grande partie en raison de l'opposition du peuple à son ordre du jour néolibéral. Et la perspective d'une 'Europe sociale' au sein du statu quo est de plus en plus illusoire. L'impasse dans laquelle se trouve l'UE est le fruit de plusieurs facteurs : elle est en partie le résultat de contradictions internes entre les grandes puissances de la 'Vieille Europe' elle-même, des efforts déployés par ces puissances pour dominer les autres États membres et des mouvements des peuples contre l'austérité, pour leurs droits et pour avoir voix au chapitre sur la direction de la société. Aussi, les oligarques financiers veulent marauder où bon leur semble et les États-Unis eux-mêmes cherchent à dominer en Europe et lui dicter son ordre du jour, ce qui éveille aussi la résistance.

« Dans ce contexte, que devraient faire la classe ouvrière et le peuple de la Grande-Bretagne ? Nous pensons que le peuple ne doit pas tomber dans le piège de se ranger du côté de l'une ou l'autre des factions rivales, quitter ou rester, comme s'il s'agissait d'une question de principe d'appuyer un camp ou l'autre, tant et autant que la classe ouvrière elle-même ne fait pas partie des démarches pour établir l'ordre du jour de ce que cela signifie — quitter ou rester — et des conséquences de chacune des options. L'élite dirigeante ne réussit pas à trouver un champion qui peut convaincre le peuple d'aller dans un sens ou dans l'autre, ou qui soutient les intérêts privés qui dominent la vie économique et politique, ou qui propose un plan d'action qui est favorable au peuple.

« Aussi rejetons-nous toute suggestion par l'élite dirigeante que le peuple serait responsable d'une facette ou d'une autre de cette crise, que ce soit par des manifestations de xénophobie, de racisme ou de chauvinisme, une réaction qui est imposée au peuple. »

Workers' Weekly conclut :

« Dans ce contexte, la classe ouvrière et le peuple doivent participer eux-mêmes à l'élaboration de ce qui est favorable à leurs intérêts. Nous sommes d'avis que la perspective à adopter doit être celle qui nous permet de constater que la lutte qui existe dans le monde réel est entre les forces qui représentent l'Ancien et ce qu'il y a de plus réactionnaire, et celles qui représentent le Nouveau et un avenir progressiste où les intérêts du peuple sont prioritaires. La bataille du Brexit telle qu'elle est menée, les profondes divisions qu'elle engendre dans le corps politique, le manque d'information qui permettrait au peuple de saisir les enjeux et la création de toutes sortes de diversions pour empêcher le peuple d'avoir sa propre conception du monde — se dresse en obstacle pour empêcher le peuple de prendre position et de déclarer : Rejetons comme la peste les deux camps de l'élite dirigeante ! Prenons position à la défense de nos propres intérêts !

« À notre avis, c'est ce que le Brexit incite la classe ouvrière à faire : lutter pour le Nouveau. Aux prises avec une crise globale, nous devons nous organiser pour l'alternative, ce qui veut dire, entre autres, reconnaître que le parlement est devenu totalement dysfonctionnel, qu'il fait fi de ses propres normes et qu'il ne peut aucunement trouver le moyen de se sortir de l'impasse. »

Cette prise de position doit être à la défense de tous et doit donner au peuple la capacité de s'investir du pouvoir.

Note

 1. La libre circulation des biens, des services, de capital et de personnes (ou de travailleurs) au sein de l'UE constitue les « quatre libertés » mentionnées dans le Traité de Rome. Ces mêmes principes font maintenant partie des règlements du « marché intérieur » de l' Acte unique européen. Les quatre libertés sont aussi enchâssées dans le Traité de Lisbonne, ainsi que dans une entente spéciale (Protocole numéro 27).

(Sources: Workers' Weekly et  euABC.com)


Cet article est paru dans

Volume 49 Numéro 3 - 2 février 2019

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