Le Marxiste-Léniniste

Numéro 10 - 17 mars 2018

Supplément
135e anniversaire de la mort de Karl Marx

Les révolutionnaires utilisent
le marxisme comme guide pour l'action

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Karl Marx s'adresse à la réunion de fondation de l'Association internationale
des travailleurs à Londres le 28 septembre 1864.

135e anniversaire de la mort de Karl Marx
Les révolutionnaires utilisent le marxisme comme guide pour l'action
Discours sur la tombe de Karl Marx - Friedrich Engels,
Cimetière Highgate, Londres, 17 mars 1883

Les trois sources et les trois parties constitutives du marxisme - Lénine


135e anniversaire de la mort de Karl Marx

Les révolutionnaires utilisent le marxisme
comme pour l'action

« Qu'il en soit comme on voudra, l'humanité est diminuée d'une tête, et de la tête la plus importante qu'elle eût aujourd'hui. Le mouvement du prolétariat va poursuivre sa marche, mais c'en est fait du centre vers lequel se tournaient d'eux-mêmes Français, Russes, Américains, Allemands, dans les moments critiques, pour chaque fois recevoir le conseil clair irréfutable que seul pouvaient donner le génie et la compétence parfaite. Les grandeurs locales et les petits talents, quand ce ne sont pas les charlatans, vont avoir les mains libres. La victoire finale reste certaine, mais les déviations, les erreurs temporaires et locales -- comme cela déjà inévitables -- vont prendre maintenant de tout autres proportions. Eh bien -- il faudra les avaler, ou pourquoi serions-nous là ? Et nous ne perdrons pas pour cela, loin de là, le courage. » Friedrich Engels, 15 mars 1883 [1 ]

Beaucoup de choses se sont produites depuis que Friedrich Engels, le proche collaborateur et ami de longue date de Karl Marx, a écrit ces mots le lendemain de la mort de Marx. Et malgré tous les tours et détours qu'a dû traverser la classe ouvrière depuis dans sa lutte pour s'investir de pouvoir, la vie et l'oeuvre de Karl Marx demeurent le « centre » vers lequel doivent se tourner tous les révolutionnaires communistes et tous ceux et celles qui aspirent à bâtir une société nouvelle.

Aujourd'hui, comme il y a 135 ans, seul le marxisme peut donner le « conseil clair irréfutable que seul pouvaient donner le génie et la compétence parfaite ». Se tourner vers le marxisme signifie porter attention à l'analyse concrète des conditions concrètes, s'assurer que le « centre » du monde contemporain soit établi, un centre auquel tout le monde peut se rallier et s'unir.

Aujourd'hui, bien qu'il y ait un seul Mouvement communiste et ouvrier international, il n'y a pas un seul centre comme il en existait à l'époque de la Première Internationale, fondée par Karl Marx et Friedrich Engels le 28 septembre 1864, lorsque l'autorité du marxisme était établie, ou comme il en existait à l'époque de la Troisième Internationale, fondée par Lénine le 2 mars 1919, lorsque l'autorité du léninisme était établie. L'absence d'un seul centre aujourd'hui est un reflet du monde que nous vivons en conséquence du repli de la révolution, où les partis communistes partout dans le monde ont leur propre centre. Si cela reflète l'existence de différentes tendances dans ce mouvement, cela rappelle également le besoin d'élaborer la pensée marxiste-léniniste contemporaine en tant que centre qui se développe et s'approfondit uniquement dans la pratique.


Tableau de Karl Marx discutant avec des travailleurs 

À cet égard, la plus grande réalisation de Karl Marx était d'être un révolutionnaire qui ne pouvait poursuivre son action sans révolutionner la science sociale. La science sociale était un corps de connaissances éparpillées dans différents domaines et dont certains individus et certaines sectes réclamaient la propriété. Par ses deux découvertes -- la loi générale du mouvement de la nature et de la société, la théorie du matérialisme dialectique et historique, et la loi spécifique du mouvement de la société capitaliste, la théorie de la plus-value -- Karl Marx a révolutionné la science sociale en tant que corps de connaissances pour tous ceux dont l'intérêt est d'organiser la révolution prolétarienne socialiste. La science sociale révolutionnée ne pouvait plus être le domaine de certains philosophes ou d'une élite intellectuelle retirés dans leur tour d'ivoire. Elle devenait le bien de tous ceux qui veulent révolutionner la société.

Ces réalisations de Karl Marx, qui est resté un révolutionnaire dans tous les domaines, ont servi de guide pour l'action à Lénine, qui a révolutionné davantage la science sociale, confirmant ce que Marx avait déclaré : que sans théorie révolutionnaire, il ne peut y avoir de mouvement révolutionnaire. Ce problème se pose aujourd'hui de la même façon qu'il s'est posé à l'époque de Karl Marx et à celle de Lénine. Tous ceux qui veulent être révolutionnaires doivent suivre le marxisme pour guider leur pratique.

À l'occasion du 135e anniversaire de la mort de Karl Marx, Le Marxiste-Léniniste reprend ce qu'écrivait Engels le 15 mars 1883 : « La victoire finale reste certaine, mais les déviations, les erreurs temporaires et locales -- comme cela déjà inévitables -- vont prendre maintenant de tout autres proportions. Eh bien, il faudra les avaler, ou pourquoi serions-nous là ? Et nous ne perdrons pas pour cela, loin de là, le courage. »

Note

1. Karl Marx, Friedrich Engels, Correspondance, Édition du Progrès, Moscou 1971

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Discours sur la tombe de Karl Marx

Le 14 mars, à trois heures moins un quart de l'après-midi, le plus grand des penseurs vivants a cessé de penser. Laissé seul deux minutes à peine, nous l'avons retrouvé, en entrant, paisiblement endormi dans son fauteuil, mais pour toujours.

Ce qu'a perdu le prolétariat militant d'Europe et d'Amérique, ce qu'a perdu la science historique en cet homme, on ne saurait le mesurer. Le vide laissé par la mort de ce titan ne tardera pas à se faire sentir.

De même que Darwin a découvert la loi du développement de la nature organique, de même Marx a découvert la loi du développement de l'histoire humaine, c'est-à-dire ce fait élémentaire voilé auparavant sous un fatras idéologique que les hommes, avant de pouvoir s'occuper de politique, de science, d'art, de religion, etc., doivent tout d'abord manger, boire, se loger et se vêtir ; que, par suite, la production des moyens matériels élémentaires d'existence et, partant, chaque degré de développement économique d'un peuple ou d'une époque forment la base d'où se sont développés les institutions d'État, les conceptions juridiques, l'art et même les idées religieuses des hommes en question et que, par conséquent, c'est en partant de cette base qu'il faut les expliquer et non inversement comme on le faisait jusqu'à présent.

Mais ce n'est pas tout. Marx a également découvert la loi particulière du mouvement du mode de production capitaliste actuel et de la société bourgeoise qui en est issue. La découverte de la plus-value a, du coup, fait ici la lumière, alors que toutes les recherches antérieures aussi bien des économistes bourgeois que des critiques socialistes s'étaient perdues dans les ténèbres.

Deux découvertes de ce genre devraient suffire pour une vie entière. Heureux déjà celui auquel il est donné d'en faire une seule semblable ! Mais dans chaque domaine que Marx a soumis à ses recherches (et ces domaines sont très nombreux et pas un seul ne fut l'objet d'études superficielles), même dans celui des mathématiques, il a fait des découvertes originales.

Tel fut l'homme de science. Mais, ce n'était point là, chez lui, l'essentiel de son activité. La science était pour Marx une force qui actionnait l'histoire, une force révolutionnaire. Si pure que fut la joie qu'il pouvait avoir à une découverte dans une science théorique quelconque dont il est peut-être impossible d'envisager l'application pratique, sa joie était tout autre lorsqu'il s'agissait d'une découverte d'une portée révolutionnaire immédiate pour l'industrie ou, en général, pour le développement historique. Ainsi Marx suivait très attentivement le progrès des découvertes dans le domaine de l'électricité et, tout dernièrement encore, les travaux de Marcel Deprez.

Car Marx était avant tout un révolutionnaire. Contribuer, d'une façon ou d'une autre, au renversement de la société capitaliste et des institutions d'État qu'elle a créées, collaborer à l'affranchissement du prolétariat moderne, auquel il avait donné le premier la conscience de sa propre situation et, de ses besoins, la conscience des conditions de son émancipation, telle était sa véritable vocation. La lutte était son élément. Et il a lutté avec une passion, une opiniâtreté et un succès rares. Collaboration à la première Gazette rhénane en 1842, au Vorwärts de Paris en 1844, à la Deutsche Zeitung de Bruxelles en 1847, à la Nouvelle Gazette rhénane en 1848-1849, à la New York Tribune de 1852 à 1861, en outre, publication d'une foule de brochures de combat, travail à Paris, Bruxelles et Londres jusqu'à la constitution de la grande Association internationale des travailleurs, couronnement de toute son oeuvre, voilà des résultats dont l'auteur aurait pu être fier, même s'il n'avait rien fait d'autre.

Voilà pourquoi Marx a été l'homme le plus exécré et le plus calomnié de son temps. Gouvernements, absolus aussi bien que républicains, l'expulsèrent ; bourgeois conservateurs et démocrates extrémistes le couvraient à qui mieux mieux de calomnies et de malédictions. Il écartait tout cela de son chemin comme des toiles d'araignée, sans y faire aucune attention et il ne répondait qu'en cas de nécessité extrême. Il est mort, vénéré, aimé et pleuré par des millions de militants révolutionnaires du monde entier, dispersés à travers l'Europe et l'Amérique, depuis les mines de la Sibérie jusqu'en Californie. Et, je puis le dire hardiment : il pouvait avoir encore plus d'un adversaire, mais il n'avait guère d'ennemi personnel.

Son nom vivra à travers les siècles et son oeuvre aussi !


Dévoilement du monument à la mémoire de Karl Marx
au cimetière Highgate à Londres en 1956

(Karl Marx et Friedrich Engels, Oeuvres choisies, Tome II, Éditions du progrès, Moscou, 1978)

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Les trois sources et les trois parties
constitutives du marxisme


Marx et Engels à l'imprimerie de la Rheinische Zeitung à Cologne (Tableau de E. Chapiro)

La doctrine de Marx suscite, dans l'ensemble du monde civilisé, la plus grande hostilité et la haine de toute la science bourgeoise (officielle comme libérale), qui voit dans le marxisme quelque chose comme une « secte malfaisante ». On ne peut pas s'attendre à une autre attitude, car dans une société fondée sur la lutte des classes, il ne saurait y avoir de science sociale « impartiale ». Toute la science officielle et libérale défend, d'une façon ou de l'autre, l'esclavage salarié, cependant que le marxisme a déclaré une guerre implacable à cet esclavage. Demander une science impartiale dans une société fondée sur l'esclavage salarié est d'une naïveté aussi puérile que de demander aux fabricants de se montrer impartiaux dans la question de savoir s'il convient de diminuer les profits du Capital pour augmenter le salaire des ouvriers.

Mais ce n'est pas tout. L'histoire de la philosophie et l'histoire de la science sociale montrent en toute clarté que le marxisme n'a rien qui ressemble à du « sectarisme » dans le sens d'une doctrine repliée sur elle-même et ossifiée, surgie à l'écart de la grande route du développement de la civilisation universelle. Au contraire, Marx a ceci de génial qu'il a répondu aux questions que l'humanité avancée avait déjà soulevées. Sa doctrine naquit comme la continuation directe et immédiate des doctrines des représentants les plus éminents de la philosophie, de l'économie politique et du socialisme.

La doctrine de Marx est toute-puissante, parce qu'elle est juste. Elle est harmonieuse et complète ; elle donne aux hommes une conception cohérente du monde, inconciliable avec toute superstition, avec toute réaction, avec toute défense de l'oppression bourgeoise. Elle est le successeur légitime de tout ce que l'humanité a créé de meilleur au XIXe siècle : la philosophie allemande, l'économie politique anglaise et le socialisme français.

C'est à ces trois sources, à ces trois parties constitutives du marxisme, que nous nous arrêterons brièvement.

I

Le matérialisme est la philosophie du marxisme. Au cours de toute l'histoire moderne de l'Europe et surtout à la fin du XVIIIe siècle, en France, où se déroulait une lutte décisive contre tout le fatras du Moyen-Âge, contre la féodalité dans les institutions et dans les idées, le matérialisme fut l'unique philosophie conséquente, fidèle à tous les enseignements des sciences naturelles, hostile aux superstitions, au cagotisme, etc. Aussi les ennemis de la démocratie s'appliquèrent-ils de toutes leurs forces à « réfuter » le matérialisme, à le discréditer, à le calomnier ; ils défendaient les diverses formes de l'idéalisme philosophique qui de toute façon se réduit toujours à la défense ou au soutien de la religion.

Marx et Engels défendirent résolument le matérialisme philosophique, et ils montrèrent maintes fois ce qu'il y avait de profondément erroné dans toutes les déviations à l'égard de cette doctrine fondamentale. Leurs vues sont exposées avec le plus de clarté et de détails dans les ouvrages d'Engels : Ludwig Feuerbach et l'Anti-Dühring, qui, comme le Manifeste du Parti communiste, sont les livres de chevet de tout ouvrier conscient.

Mais Marx ne s'arrêta pas au matérialisme du XVIIIe siècle, il poussa la philosophie plus avant. Il l'enrichit des acquisitions de la philosophie classique allemande, surtout du système de Hegel, lequel avait conduit à son tour au matérialisme de Feuerbach. La principale de ces acquisitions est la dialectique, c'est-à-dire la théorie de l'évolution, dans son aspect le plus complet, le plus profond et le plus exempt d'étroitesse, théorie de la relativité des connaissances humaines qui nous donnent l'image de la matière en perpétuel développement. Les récentes découvertes des sciences naturelles -- le radium, les électrons, la transformation des éléments -- ont admirablement confirmé le matérialisme dialectique de Marx, en dépit des doctrines des philosophes bourgeois et de leurs « nouveaux » retours à l'ancien idéalisme pourri.

Approfondissant et développant le matérialisme philosophique, Marx le fit aboutir à son terme logique, et il l'étendit de la connaissance de la nature à la connaissance de la société humaine. Le matérialisme historique de Marx fut la plus grande conquête de la pensée scientifique. Au chaos et à l'arbitraire qui régnaient jusque-là dans les conceptions de l'histoire et de la politique, succéda une théorie scientifique remarquablement cohérente et harmonieuse, qui montre comment, d'une forme d'organisation sociale, surgit et se développe, par suite de la croissance des forces productives, une autre forme, plus élevée, - comment par exemple le capitalisme naît du féodalisme.

De même que la connaissance de l'homme reflète la nature qui existe indépendamment de lui, c'est-à-dire la matière en voie de développement, de même la connaissance sociale de l'homme (c'est-à-dire les différentes opinions et doctrines philosophiques, religieuses, politiques, etc.), reflète le régime économique de la société. Les institutions politiques s'érigent en superstructure sur une base économique. Nous voyons, par exemple, comment les différentes formes politiques des États européens modernes servent à renforcer la domination de la bourgeoisie sur le prolétariat.

La philosophie de Marx est un matérialisme philosophique achevé, qui a donné de puissants instruments de connaissance à l'humanité et à la classe ouvrière surtout.

II

Après avoir constaté que le régime économique constitue la base sur laquelle s'érige la superstructure politique, Marx réserve son attention surtout à l'étude de ce régime économique. L'oeuvre principale de Marx, le Capital, est consacrée à l'étude du régime économique de la société moderne, c'est-à-dire capitaliste.

L'économie politique classique antérieure à Marx naquit en Angleterre, pays capitaliste le plus évolué. Adam Smith et David Ricardo, en étudiant le régime économique, marquèrent le début de la théorie de la valeur-travail. Marx continua leur oeuvre. Il donna un fondement strictement scientifique à cette théorie et la développa de façon conséquente. Il montra que la valeur de toute marchandise est déterminée par le temps de travail socialement nécessaire à la production de cette marchandise.

Là où les économistes bourgeois voyaient des rapports entre objets (échange d'une marchandise contre une autre), Marx découvrit des rapports entre hommes. L'échange de marchandises exprime le lien établi par l'intermédiaire du marché entre les producteurs isolés. L'argent signifie que ce lien devient de plus en plus étroit, unissant en un tout indissoluble toute la vie économique des producteurs isolés. Le capital signifie le développement continu de ce lien : la force de travail de l'homme devient une marchandise. Le salarié vend sa force de travail au propriétaire de la terre, des usines, des instruments de production. L'ouvrier emploie une partie de la journée de travail à couvrir les frais de son entretien et de celui de sa famille (le salaire) ; l'autre partie, à travailler gratuitement, en créant pour le capitaliste la plus-value, source de profit, source de richesse pour la classe capitaliste.

La théorie de la plus-value constitue la pierre angulaire de la théorie économique de Marx.

Le capital créé par le travail de l'ouvrier pèse sur l'ouvrier, ruine les petits patrons et crée une armée de chômeurs. Dans l'industrie, la victoire de la grosse production est visible d'emblée ; nous observons d'ailleurs un phénomène analogue dans l'agriculture : la supériorité de la grosse exploitation agricole capitaliste augmente, l'emploi des machines se généralise, les exploitations paysannes voient se resserrer autour d'elles le noeud coulant du capital financier, elles déclinent et se ruinent sous le joug de leur technique arriérée. Dans l'agriculture les formes de ce déclin de la petite production sont autres, mais le déclin lui-même est un fait incontestable.

Le capital qui bat la petite production, conduit à augmenter la productivité du travail et à créer la prépondérance des associations de gros capitalistes. La production elle-même devient de plus en plus sociale, - des centaines de milliers et des millions d'ouvriers sont réunis dans un organisme économique coordonné, tandis qu'une poignée de capitalistes s'approprient le produit du travail commun. L'anarchie de la production grandit, crises, course folle à la recherche de débouchés, existence non assurée pour la masse de la population.

Tout en augmentant la dépendance des ouvriers envers le capital, le régime capitaliste crée la grande puissance du travail unifié.

Marx a suivi le développement du capitalisme depuis les premiers rudiments de l'économie marchande, l'échange simple, jusqu'à ses formes supérieures, la grande production.

Et l'expérience de tous les pays capitalistes, vieux et neufs, montre nettement d'année en année, à un nombre de plus en plus grand d'ouvriers, la justesse de cette doctrine de Marx.

Le capitalisme a vaincu dans le monde entier, mais cette victoire n'est que le prélude de la victoire du Travail sur le Capital.

III

Lorsque le régime féodal fut renversé et que la « libre » société capitaliste vit le jour, il apparut tout de suite que cette liberté signifiait un nouveau système d'oppression et d'exploitation des travailleurs. Aussitôt diverses doctrines socialistes commencèrent à surgir, reflet de cette oppression et protestation contre elle. Mais le socialisme primitif était un socialisme utopique. Il critiquait la société capitaliste, la condamnait, la maudissait ; il rêvait de l'abolir, il imaginait un régime meilleur ; il cherchait à persuader les riches de l'immoralité de l'exploitation.

Mais le socialisme utopique ne pouvait indiquer une véritable issue. Il ne savait ni expliquer la nature de l'esclavage salarié en régime capitaliste, ni découvrir les lois de son développement, ni trouver la force sociale capable de devenir le créateur de la société nouvelle.

Cependant les révolutions orageuses qui accompagnèrent partout en Europe et principalement en France la chute de la féodalité, du servage, montraient avec toujours plus d'évidence que la lutte des classes est la base et la force motrice du développement.

Pas une seule liberté politique n'a été conquise sur la classe des féodaux sans une résistance acharnée. Pas un seul pays capitaliste ne s'est constitué sur une base plus ou moins libre, démocratique, sans qu'une lutte à mort n'ait mis aux prises les différentes classes de la société capitaliste.

Marx a ceci de génial qu'il fut le premier à dégager et à appliquer de façon conséquente l'enseignement que comporte l'histoire universelle. Cet enseignement, c'est la doctrine de la lutte de classes.

Les hommes ont toujours été et seront toujours en politique les dupes naïfs des autres et d'eux-mêmes, tant qu'ils n'auront pas appris, derrière les phrases, les déclarations et les promesses morales, religieuses, politiques et sociales, à discerner les intérêts de telles ou telles classes. Les partisans des réformes et améliorations seront dupés par les défenseurs du vieil ordre de choses, aussi longtemps qu'ils n'auront pas compris que toute vieille institution, si barbare et pourrie qu'elle paraisse, est soutenue par les forces de telles ou telles classes dominantes. Et pour briser la résistance de ces classes, il n'y a qu'un moyen : trouver dans la société même qui nous entoure, puis éduquer et organiser pour la lutte, les forces qui peuvent -- et doivent de par leur situation sociale -- devenir la force capable de balayer le vieux et de créer le nouveau.

Seul le matérialisme philosophique de Marx a montré au prolétariat la voie à suivre pour sortir de l'esclavage spirituel où végétaient jusque-là toutes les classes opprimées. Seule la théorie économique de Marx a expliqué la situation véritable du prolétariat dans l'ensemble du régime capitaliste.

Les organisations prolétariennes indépendantes se multiplient dans le monde entier, de l'Amérique au Japon, de la Suède à l'Afrique du Sud. Le prolétariat s'instruit et s'éduque en menant sa lutte de classe ; il s'affranchit des préjugés de la société bourgeoise, il acquiert une cohésion de plus en plus grande, il apprend à apprécier ses succès à leur juste valeur, il retrempe ses forces et grandit irrésistiblement.

(Cet article fut publié dans la revue Prosvéchtchénié (« L'Éducation ») à l'occasion du 30e anniversaire de la mort de Karl Marx. La revue fut interdite par le gouvernement tsariste en juin 1914, à la veille de la Première Guerre mondiale.)

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