Numéro 112 - 10
juillet 2013
Acte criminel à
Lac-Mégantic
Tragédie
ferroviaire
au
Québec
• Acte criminel à Lac-Mégantic
- Parti marxiste-léniniste du Québec, 7
juillet 2013
• Des faits
• La question des freins à air
- Entrevue avec Brian Stevens, représentant national des
Travailleurs canadiens de l'automobile
• Plus jamais
Lac-Mégantic! - Normand Chouinard
• De la boîte à courriel
Acte criminel à Lac-Mégantic
- Parti marxiste-léniniste du
Québec, 7 juillet 2013 -
Le Parti marxiste-léniniste du Québec
exprime son indignation face au crime commis à
Lac-Mégantic à cause du mépris total pour le
bien-être des populations lors du transport du pétrole
brut dans la région, en particulier dans les secteurs
habités.
Nous transmettons nos condoléances aux familles
qui ont perdu des leurs et notre sympathie aux blessés et
à toute la communauté qui a perdu ses
propriétés et son patrimoine historique.
C'est un crime aux proportions énormes pour
lequel les responsables devront rendre des comptes.
Des faits
La tragédie de Lac-Mégantic soulève
beaucoup de questions dont, comme plusieurs l'ont signalé, la
sécurité du transport de matières potentiellement
dangereuses sur les chemins de fer du Québec. Mais elle
soulève avant tout la question de l'emprise que ces monopoles
privés (dans ce cas-ci, un monopole ferroviaire) ont sur nos
vies, la liberté totale avec laquelle ils agissent au
détriment de la sécurité et de la vie des gens. Le
gouvernement canadien qui refuse d'exiger des comptes des monopoles qui
mettent en danger la vie des gens doit être tenu responsable. Au
lieu de cela, le ministre du Transport Denis Lebel a dit à la
télévision avec la plus grande nonchalance du monde que
« les accidents, ça arrive ». Il cite l'augmentation
fulgurante du transport de produits dangereux sur les rails, comme pour
dire que c'est donc normal de s'attendre à plus d'accidents. Le
fait que la technologie et la conscience sociale existent pour
prévenir les accidents est ignoré. Cette façon de
parler est inacceptable. Le gouvernement doit s'expliquer à la
fois pour le relâchement de la réglementation
sécuritaire sur les rails alors que le trafic augmente et pour
la complaisance dans l'application de cette réglementation
assouplie. Il doit agir en sa compétence d'instance publique,
non pas comme le représentant des intérêts des
monopoles qui n'interviennent que pour se disculper de toute
responsabilité et éviter les poursuites.
L'heure a sonné au Québec : nous
n'acceptons pas la logique des monopoles que nous ne sommes que des
« dommages collatéraux » dans la course
aux profits de compagnies qui ne contribuent en rien à la vie
des régions et des communautés et qui, lorsque des vies
sont détruites, ne s'intéressent qu'à sauver la
face pour ne pas payer des assurances. De pair avec nos gouvernements,
ils font preuve d'une grande fougue lorsqu'il s'agit de criminaliser
les travailleurs qui défendent leurs droits, comme ils l'ont
fait récemment pour les travailleurs de la construction. Que les
travailleurs fassent preuve de fougue et de détermination
lorsqu'il s'agit de forcer ces monopoles à rendre des comptes et
de prendre des mesures pour leur faire comprendre qu'ils n'ont pas le
droit de vie ou de mort sur les travailleurs et sur la population du
Québec!
Voici des faits à propos de cette tragédie:
- En date du 10 juillet, la Sûreté du
Québec confirme que les corps de 15 personnes ont
été trouvés sur un total de 50 personnes
portées manquantes suite aux explosions et incendies.
Une page Facebook a été créée avec les noms
des personnes manquantes pour aider à les retrouver ou
identifier. Voir www.supportlacmegantic.com
- 2000 des 6000 habitants de Lac-Mégantic ont
été évacués samedi et dimanche. La Croix
Rouge a établi un poste de commande et un centre
d'hébergement dans une polyvalente où les personnes
affectées par le déraillement et les explosions
reçoivent l'aide nécessaire. À partir de lundi,
1200 des 2000 personnes qui ont été forcées de
quitter leur demeure ont commencé à rentrer à la
maison quand les autorités municipales ont déclaré
que leurs quartiers étaient sécurisés. Les mesures
d'hébergement et d'aide aux sinistrés pour les gens qui
ne peuvent rentrer chez eux ou qui ont perdu leur maison dans les
explosions et les incendies sont maintenues.
- La cinquantaine d'entreprises et d'usines
situées à Lac-Mégantic ont été
fermées depuis le début et le resteront jusqu'à
nouvel ordre pour des raisons de sécurité, notamment
à cause de l'état des égouts.
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|
- Le déversement de pétrole dans le lac
Mégantic et la rivière Chaudière suite aux
explosions est considéré comme étant
sérieux, mais contrôlé et des mesures ont
été prises pour prévenir la contamination de l'eau
potable. Des estacades ont été placées sur la
rivière Chaudière pour bloquer le chemin au
pétrole déversé dans l'eau. Les autorités
de Saint-Georges de Beauce à 80 km en aval de
Lac-Mégantic ont décidé comme mesure temporaire de
puiser leur eau potable dans un lac voisin plutôt que dans la
rivière Chaudière, comme cela se fait normalement.
Plusieurs autres municipalités se trouvent en aval du lac en
direction du fleuve Saint-Laurent. La ville de Lévis qui
s'alimente normalement en partie à la rivière
Chaudière vient de terminer la construction d'une canalisation
temporaire pour s'approvisionner dans d'autres réserves d'eau
potable.
- L'aide est venue de partout au Québec, du reste
du Canada et du nord des États-Unis : des pompiers, des
bénévoles, des gens offrant de l'aide psychologique, de
l'aide financière et autre.
- La chronologie des faits connus est la suivante: Le
train de 72 wagons contenant chacun 100 tonnes de pétrole brut
et 5 locomotives de la Montreal, Maine and Atlantic Railway (MMA) s'est
arrêté à 23 h à Nantes pour la nuit.
C'est à ce moment que l'ingénieur-conducteur a
quitté à la fin de son quart pour aller se reposer
à l'hôtel, comme cela était prévu. Il n'est
pas clair encore quelle responsabilité a la compagnie pour la
surveillance du train entre les deux quarts de travail des
ingénieurs-conducteurs. Vers 23 h 30 un incendie à bord
d'une des locomotives du train a été signalé et
une douzaine de pompiers étaient sur les lieux à 23 h 42.
Un
contrôleur de la MMA a été appelé pour
informer l'entreprise de l'incendie et deux employés de la
compagnie sont venus à la rencontre des pompiers de
Nantes. Un peu après minuit, le feu a été
éteint
et le moteur de la locomotive a été coupé. Le
directeur du service des incendies de la Ville de Nantes, Patrick
Lambert, dit que les pompiers, qui étaient accompagnés
d'un agent de la Sûreté du Québec lors de leur
intervention, ont respecté le protocole. En entrevue à
RDI, M. Lambert a répété que l'officier
responsable de l'intervention avait contacté MMA. Deux
employés de la compagnie travaillant dans le secteur de
Lac-Mégantic se sont rendus sur place et ont confirmé que
tout était sécurisé avant que les pompiers
puissent partir. M. Lambert confirme que ce sont les pompiers qui ont
arrêté la locomotive. « C'est dans le protocole et
même dans le protocole de MMA », a-t-il
déclaré, précisant que « ce sont les
compagnies de chemin de fer qui écrivent les protocoles ».
Rien n'a encore été dit à propos de la cause du
feu.
- À une heure du matin, le train a descendu la
pente qui relie Nantes au centre-ville de Mégantic à une
vitesse croissante, peu de temps après le départ des
pompiers et des employés de la MMA. Le déraillement s'est
produit à 1 h 14 du matin, lorsque le train en
descente libre à plus de 100 km / heure est arrivé
à une courbe, à Lac-Mégantic, conçue pour
une vitesse maximale quatre fois moins grande.
- Le président de la société Rail
World, maison-mère de la compagnie Montreal, Maine and Atlantic
(MMA) Railway, Ed Burkhardt, a dit en entrevue à la CBC lundi
que lorsque les pompiers ont éteint la locomotive à la
tête du train, cela a « fait en sorte que les freins
à air ont commencé à lentement perdre de la
pression, ce qui explique pourquoi le train ne s'est pas mis en marche
dès que la locomotive a été éteinte. La
pression a plutôt diminué pendant environ une heure,
jusqu'à ce que le train roule par lui-même. » Il a
plus tard confirmé que deux employés de sa compagnie
étaient sur les lieux un peu après que l'incendie fut
éteint pour confirmer que le train était
sécurisé avant le départ des pompiers. Il ajoute
qu'« ils auraient dû savoir » que l'arrêt de la
locomotive avait pour effet de libérer les freins.
- Selon Doug Finnson,
vice-président de la Conférence du rail du syndicat des
Teamsters, un train comporte quatre systèmes de freinage
différents, mais un seul est utile lorsque le convoi est
à l'arrêt sans surveillance. C'est le frein manuel, a-t-il
dit en entrevue avec La Presse.
«
Il
y
en
a sur chaque wagon et chaque locomotive, explique-t-il.
Il est actionné manuellement. Il n'est aucunement
dépendant du compresseur de la locomotive. C'est le seul frein
qui est vraiment fiable à l'arrêt, c'est celui qu'on
utilise si on laisse le train sans surveillance. »
- Les trains de la MMA transportant du pétrole
vers le Nouveau-Brunswick sont opérés par un seul
ingénieur-conducteur. La compagnie avait obtenu l'autorisation
de Transports Canada en 2012 d'opérer ses trains au Canada
avec un seul ingénieur-conducteur et la justification
donnée par l'organisme fédéral était que
l'entreprise utilisait une technologie de pointe permettant le pilotage
à distance des locomotives. Seulement deux compagnies de chemin
de fer auraient obtenu cette exemption. Au Canada, les principaux
transporteurs comme le CN et le CP utilisent des équipages de
deux personnes. Le directeur québécois du Syndicat des
Métallos, Daniel Roy, a expliqué en entrevue à La Presse que cette
réduction des équipages sur les trains avait
été l'objet d'un bras de fer entre la MMA et le syndicat
lors du dernier renouvellement de la convention collective et ce sont
finalement les autorités fédérales qui ont
approuvé la demande de la MMA. Or, de l'aveu même de
Transports Canada, le gouvernement s'en est remis à une analyse
faite par la compagnie privée elle-même. « Les
compagnies de chemin de fer doivent démontrer à
Transports Canada qu'elles peuvent être en conformité avec
les règles en vigueur, a expliqué le responsable de la
sécurité ferroviaire au ministère, Luc Bourdon.
Dans le cas de MMA, c'est une compagnie qui nous a fourni une analyse
qui permettait d'évaluer que c'était
possible. » Selon Daniel Roy, « s'il y avait eu deux
personnes, lorsque le train s'est arrêté, une personne
aurait pu aller dormir, l'autre aurait pu rester à bord. [...]
C'est sûr que s'il y avait eu une autre personne à bord
qui connaît le système, qui aurait fait un quart de
travail, tout cela ne serait pas arrivé. » Selon un
ex-employé de MMA interviewé par Radio-Canada, les tests
de vérification de l'immobilisation d'un train
nécessitent au moins deux personnes, soit un conducteur qui
actionne le moteur d'un coup pour « étirer » le
train et une autre personne qui fait une vérification visuelle
de la traction des wagons au même moment. Si les wagons se
précipitent les uns sur les autres au premier mouvement de la
locomotive, c'est que les freins ne fonctionnent pas.
- Le train transportait du pétrole du Dakota du
Nord en direction de la raffinerie Irving Oil de Saint-Jean au
Nouveau-Brunswick, la plus grande raffinerie du Canada avec une
production quotidienne de plus de 300 000 barils (48 000
m3)
de
produits
pétroliers.
Le
pétrole brut provenait des champs
pétrolifères de Bakken dans le Dakota du Nord, où
il est extrait par fracturation, une méthode toxique à
haute pression qui libère le pétrole de la roche de
schiste, ce qui pollue l'air et l'eau des communautés
avoisinantes.
- Le transport de matériel dangereux, dont le
pétrole brut et le diesel, à travers des zones
habitées augmente constamment. Le transport par train de
produits pétroliers est aujourd'hui 25 fois plus important
qu'en 2008. Les pipelines existants sont saturés à cause
de l'augmentation rapide de l'exploration pétrolière des
dernières années, en partie à cause de la
fracturation pétrolière au Dakota du Nord. Les chemins de
fer sont devenus par défaut le moyen de transport
privilégié du pétrole.
- Selon un rapport de la Banque Scotia sur le transport
de marchandises par train, environ 300 000 barils de pétrole
sont transportés par train chaque jour en Amérique du
Nord. Selon un rapport de la banque CIBC, le CN est en train d'examiner
comment profiter du transport accru de pétrole par train sans
faire les améliorations nécessaires dans ses
équipements. Le CN vise à doubler son transport du
pétrole brut et du charbon dans les années à
venir.
- Le 11 juin, MMA a déversé
13 000 litres de diesel dans l'environnement lorsqu'un de ses
trains a déraillé à Frontenac à quelques
kilomètres de Lac-Mégantic.
- En mai 2012, un train de 64 wagons du CN a
déraillé près de Saskatoon, déversant
575 barils de pétrole brut dans l'environnement.
C'était le troisième déversement du genre en un
mois dans cette province.
Barrage de chemin
de fer à Fairfield dans le Maine le 29 juin contre le transport
de pétrole brut par les régions habitées.
|
- Parmi les actions de protestations qui se sont tenues
aux États-Unis contre le transport de produits dangereux dans
les zones habitées, on compte une campagne de barrages
ferroviaires. Le 29 juin dernier, l'organisation
environnementaliste 350 Maine a organisé le barrage d'un train
Pan Am qui passait dans la ville de Fairfield dans le Maine
transportant environ 70 000 barils de pétrole brut en direction
encore une fois de la raffinerie Irving de Saint-Jean au
Nouveau-Brunswick.
- Le train et les rails sont la propriété
de Montreal, Maine and Atlantic Rail (MMAR) basé à Hermon
dans le Maine, une filiale de Rail World Inc. Montreal, Maine and
Atlantic Railway (MMAR) opère un chemin de fer de 820
kilomètres qui traverse le Québec, le Vermont et le
Maine. La compagnie a 170 employés et elle exploite une flotte
de 26 locomotives.
- Rail World Inc., qui a créé MMAR en
2002, est « une entreprise de gestion, de consultation et
d'investissement dans les chemins de fer, spécialisée
dans les privatisations et les restructurations »
opérant aux États-Unis, au Canada, en Estonie et en
Pologne. Son but est « de promouvoir la privatisation de
l'industrie ferroviaire en réunissant les organismes
gouvernementaux qui souhaitent vendre leurs participations au capital
d'investissement et leur expertise ».
- Selon Stephen Guilbeault du groupe environnementaliste
Équiterre, les clauses grands-pères des règlements
fédéraux autorisent les entreprises à utiliser de
vieux trains qui ne correspondent plus aux standards d'aujourd'hui.
« On a connu une vague de déréglementation
dans ce secteur comme dans plusieurs autres, a dit Guilbeault, et le
gouvernement fédéral a agi en complice en laissant les
entreprises dicter les règles du jeu. »
(Sources :
Sûreté du Québec, Ville de Mégantic, Urgence
Québec, Maine 350, Rail World Inc, Irving Oil, Radio-Canada, La
Presse)
La question des freins à air
- Entrevue avec Brian Stevens,
représentant national des
Travailleurs canadiens de l'automobile -
Le Bureau de la sécurité des transports du
Canada enquête sur la cause de la tragédie de
Lac-Mégantic. Le PDG de la Montreal, Maine & Atlantic
Railway (MMA) dit que selon lui les freins à air du train ont
flanché, alors que le train était stationné dans
la municipalité avoisinante de Nantes, après que les
pompiers aient éteint le moteur de la locomotive pour y
éteindre un feu vendredi soir. LML s'est entretenu
avec Brian Stevens, un représentant national des Travailleurs
canadiens de l'automobile, qui a plus de 35 ans d'expérience
dans les inspections de train et a fait ses premières armes au
Ontario Northland dans le nord de l'Ontario. Il clarifie la situation
en ce qui concerne le rôle des freins à air sur les trains
de marchandises et sur les règlements qui en gouvernent
l'utilisation.
Le Marxiste-Léniniste : Dans
la tragédie ferroviaire de Lac-Mégantic, on a dit
beaucoup de choses sur les freins à air comme facteur pouvant
expliquer que le train se soit mis en mouvement de lui-même sur
la voie ferrée sur une pente menant de Nantes à
Lac-Mégantic. Pouvez-vous nous dire ce qui a pu se passer selon
vous ?
Brian Stevens : Ce qui semble s'être
passé, et ce n'est pas inhabituel par les temps qui courent,
c'est que lorsqu'ils stationnent un train, généralement
ils activent les freins à air seulement sur la locomotive et pas
sur les wagons. Puis ils enclenchent les freins manuels qui sont de
gros freins mécaniques.
Je pense que la pratique établie chez MMA est de
simplement activer le frein qu'on appelle le frein indépendant
sur la locomotive et les freins manuels sur 10 des wagons. Je pense que
lorsque le service des incendies est intervenu pour éteindre
l'incendie dans la locomotive, les pompiers ont probablement
pressé sur le bouton d'urgence de la locomotive sur lequel est
écrit « Arrêt d'urgence ». Je
soupçonne que les pompiers ont pesé sur ce bouton pour
arrêter l'écoulement du carburant qui alimentait le feu.
Le moteur a été coupé en quelques minutes ou
peut-être même en quelques secondes. Ce qui s'est
probablement produit, et le Bureau de la sécurité des
transports du Canada (BST) va faire son enquête là-dessus,
c'est qu'une fois le moteur coupé et le compresseur d'air
arrêté, il n'y avait plus d'air pour garder en fonction
les freins à air. Il semble que les freins à air se
soient relâchés. À un certain moment, quelque chose
a mis le train en mouvement. Ça peut-être la force du
train en pente, ou peut-être qu'il ventait fort ce
soir-là. Ça peut être beaucoup de choses. Un train
n'est pas construit pour se mettre en mouvement de lui-même et
c'est pourquoi ce qui s'est produit est si bizarre et si tragique. Les
freins à main n'ont pas pour fonction d'arrêter le train.
Ils sont là pour le maintenir en position d'arrêt. Il y a
un frein à mains par wagon, il n'y a pas de frein à main
qui contrôle les 72 wagons.
Avant ce qui se produisait c'est qu'on amenait le train
à la gare de triage ou on le stationnait sur une route
secondaire et on activait les freins à air sur tous les wagons.
On appelait cela procéder à un freinage d'urgence. Cela
ne voulait pas dire qu'il y avait une urgence. Cela voulait dire qu'on
appliquait tous les freins pour qu'ils exercent le maximum de pression.
En situation de freinage d'urgence, la seule façon de
relâcher les freins est de mettre le moteur et le compresseur
d'air en marche et de pomper l'air au maximum dans le train. Cela
signifie faire une grande poussée d'air dans le train afin que
les freins à air puissent se relâcher.
Ce n'est pas cela que l'industrie ferroviaire fait
maintenant. Les pratiques ont changé. Maintenant on n'applique
les freins à air que sur la locomotive et on s'appuie pour le
reste sur les freins à main. Cela a probablement
été un facteur qui a contribué aux
événements. Si les freins à air avaient
été appliqués sur les 72 wagons, probablement
que le train ne se serait pas mis en mouvement même avec le
moteur coupé. Si les freins à air sont appliqués
sur les 72 wagons, le train ne se mettra pas en mouvement à
moins que quelqu'un n'intervienne pour les désactiver.
C'est ce qui se faisait autrefois mais aujourd'hui
l'industrie fait tout pour que les trains aillent plus vite, pour
accroître ce qu'elle appelle la vélocité des
trains, et cela comprend tout faire pour remettre les trains en
mouvement le plus vite possible lorsqu'ils sont arrêtés.
Pour un train de 72 wagons, il faudrait environ 5-10 minutes pour
désactiver les freins à air. L'équipage arriverait
vers 7 heures du matin, il désactiverait les freins
à air, ce qui se fait en envoyant le maximum d'air dans les
réservoirs au moyen du compresseur à air afin que les
freins se relâchent. Cela se fait en 5-10 minutes. Mais selon
l'industrie, ces 10 minutes sont de l'argent perdu. Selon les
entreprises ferroviaires, ce sont 10 minutes pendant lesquelles le
train aurait dû être en mouvement. Malheureusement, c'est
ce qui se produit chez toutes les grandes entreprises ferroviaires.
Elles ont toutes le désir d'accroître la
vélocité des trains pour améliorer leur
performance opérationnelle pour leurs actionnaires. Elles
veulent garder les trains en mouvement et les faire repartir aussi vite
que possible quand ils s'arrêtent. Dix minutes d'arrêt,
c'est 10 minutes pendant lesquelles le train devrait rouler
plutôt que d'être arrêté. Il semble que les
freins à air n'étaient pas activés sur les
72 wagons et cela aurait été très facile de
le faire. Ce n'est pas seulement le MMA qui ne le fait pas. Le CN, le
CP, ils font tous la même chose.
Le service des incendies, et encore là il faut
attendre le rapport du BST, n'a rien fait d'anormal en arrêtant
l'écoulement du carburant pour éteindre le feu. J'ai
entendu le chef du service dire qu'une ligne de carburant
s'était rompue. Ces choses-là sont en métal alors
ce qui brûle, c'est le carburant. Le chef du service a dit qu'il
a fallu éteindre le moteur pour arrêter
l'écoulement du carburant.
LML : On parle beaucoup
également du rôle de Transports Canada dans la
sécurité ferroviaire et des problèmes qu'on
rencontre dans le travail de Transports Canada. Quel est le
problème selon vous ?
BS : Une fois de plus, c'est le rapport du
BST qui va expliquer ce qui s'est produit. Mais c'est un
problème réel que, bien qu'institutionnellement nous
ayons la Loi sur la sécurité ferroviaire qui
est très bonne et robuste, que le cadre réglementaire
soit lui aussi très bon, l'industrie ferroviaire se
réglemente elle-même. Transports Canada a un rôle
à jouer, un rôle plus important qu'il ne joue en ce
moment : il doit avoir plus d'inspecteurs sur le terrain, il doit
arrêter les trains dans leur course et faire des inspections
complètes sur place. Ceux qui sont chargés d'inspecter
les trains, et aux Travailleurs canadiens de l'automobile nous avons
des membres dont le rôle est de les inspecter, doivent avoir le
temps qu'il faut pour faire leur inspection sans pression avant que les
trains ne prennent la route.
Encore une fois, nous avons affaire ici à un
train qui s'est mis en mouvement de lui-même, quelque chose qui
n'est jamais censé arriver. La technologie a son rôle
à jouer. Si le système qu'on appelle le Système de
commande intégrale des trains (le PTC en anglais) était
en vigueur au Canada, comme il l'est chez certains transporteurs
ferroviaires aux États-Unis et dans d'autres pays, le mouvement
du train sans personne à bord aurait immédiatement
envoyé un signal à quelqu'un qui aurait pu stopper le
train à distance. Les entreprises ferroviaires au Canada ne
veulent rien savoir de ce système parce qu'il coûte trop
cher. Ils disent que l'expérience américaine n'est qu'un
demi-succès, mais le statu quo lui, ne rien faire, est
dangereux, comme on l'a vu à Lac-Mégantic. D'autres pays
utilisent le PTC, mais l'industrie ferroviaire du Canada n'y voit aucun
intérêt pour les actionnaires.
Dans le cadre réglementaire, il y a ce qu'on
appelle le système de gestion de la sécurité
(SGS). Le SGS dit en fait que l'industrie ferroviaire va dire aux
services de réglementation ce qu'ils doivent faire. Et ils ont
un groupe de lobby assez puissant, l'Association des chemins de fer du
Canada, qui fait pression auprès Transports Canada. Ils disent
à Transports Canada que s'il est vrai que les règlent
précisent telle ou telle chose, cela ne s'applique pas vraiment
à eux. Telle ou telle règle est là pour une
question de sécurité, mais la sécurité
publique et la perception publique ne seront pas vraiment
affectées si les compagnies sont exemptées.
Pour l'industrie, la sécurité c'est
s'assurer que le mécanicien du rail porte un casque de
protection, que l'autre porte ses chaussures de sécurité,
que les inspecteurs des rails portent des lunettes de
sécurité. Ce qu'il faut faire, c'est voir quels appareils
de sécurité sont présents sur les trains, s'ils
ont besoin de réparation et si c'est le cas les réparer
au prochain arrêt. Donner au mécanicien suffisamment de
temps pour faire l'inspection du train. Les inspecteurs de Transports
Canada sont effectivement sur le terrain, mais pas de la même
façon qu'en Ontario ou au Québec où ils font des
inspections surprises, demandent à des remorqueurs ou autres
véhicules de s'arrêter pour s'assurer que tout est en
ordre. Ils ne font pas cela dans l'industrie du chemin de fer.
À Transports Canada, ils aiment dire qu'ils ont
le même nombre d'inspecteurs qu'il y a cinq ans. Très
bien, mais leur rôle n'est plus le même, ils ne sont pas
sur le terrain comme avant. Ils devraient aller sur le terrain pour
appuyer ceux qui font les inspections des trains. Ces travailleurs
devraient pouvoir s'assurer que les trains sont inspectés comme
il se doit, ils doivent avoir suffisamment de temps pour faire
l'inspection et s'il y a des défectuosités, ils devraient
pouvoir les faire réparer avant que le train ne se remette en
marche. Sur papier le SGS fonctionne très bien, mais en
réalité personne n'intervient.
Transports Canada agit tout simplement comme une
espèce de superviseur. Les compagnies de chemin de fer
s'occupent de leurs propres vérifications et font part des
résultats à l'agence publique. De temps à autre,
Transports Canada rapporte que les rapports de vérification sont
ok.
Nous devons aussi examiner la fabrication des wagons.
J'ai l'impression que les wagons qui sont utilisés ne sont pas
construits de la même façon que les wagons à
propane. Ces wagons qui se sont écrasés à
Lac-Mégantic pourraient servir à transporter de l'eau, de
l'huile de canola, c'est pour un usage général. Nous
devons revoir la construction des wagons depuis que le transport du
pétrole brut est à la hausse sur les chemins de fer. Le
pétrole brut devrait être transporté dans des
wagons à double parois, comme les navires en mer, pour qu'il n'y
ait pas de fuite s'il y a un accident, un déraillement.
LML : Que voudriez-vous
dire en conclusion ?
BS : Le régime de
réglementation que nous avons au Canada est solide mais il a
besoin de ressources et les compagnies de chemin de fer ne devraient
pas être exemptées de suivre les règles. Elles le
sont continuellement. Ne serait-ce que cette année, j'ai vu
8 ou 9 demandes d'exemption je crois et Transports Canada en
reçoit de plus en plus. Le régime de
réglementation est très bien mais les compagnies font
continuellement pression sur Transports Canada. Elles disent que tel ou
tel règlement ne doit pas être appliqué dans leur
cas parce qu'elles n'ont eu qu'un seul accident en 100 ans. Mais comme
vous le voyez à Lac-Mégantic, c'est peut-être
seulement un accident en 100 ans mais c'est toute une communauté
qui est ravagée. Les gens de Lac-Mégantic ne pourront
jamais oublier cette tragédie, même en cent ans.
Plus jamais Lac-Mégantic!
- Normand Chouinard -
C'est avec profonde tristesse que la classe
ouvrière du Québec a appris la terrible tragédie
de Lac-Mégantic, mais aussi avec une profonde colère au
coeur. Bien que l'ensemble des enquêtes menées par le
bureau du transport, les services de police, les services d'incendie et
autres services civils pour déterminer les causes de cette
tragédie ne font que débuter, la classe ouvrière
sait d'instinct quelles sont les véritables raisons de ce drame.
L'offensive antisociale concertée des plus grands monopoles, de
l'oligarchie financière et de leurs représentants
politiques imposée de force à la société ne
peut que mener à cet état permanent d'anarchie et de
crime. La classe ouvrière est tout à fait consciente que
l'industrie ferroviaire, tout comme l'ensemble des secteurs du
transport aérien, maritime et routier, sont depuis longtemps
victimes de cette offensive et de la logique de destruction des
monopoles qui la contrôlent. Les travailleurs du rail des deux
plus grands monopoles ferroviaires au Canada se sont battus pour
défendre leur droit, leur sécurité, celles des
populations et les normes les plus modernes dans cette industrie
dangereuse.
Le gouvernement Harper, soucieux de répondre aux
demandes de l'oligarchie financière, a imposé des
conditions de travail via des lois spéciales, bloquant ainsi les
travailleurs dans leur capacité à décider des
conditions de travail sécuritaires de leurs industries. Mais
ceci n'est qu'un aspect de la chose. La logique de destruction et de
désintégration va plus loin. L'offensive
néolibérale des monopoles a conduit à la
déréglementation tout azimut du secteur ferroviaire dans
le monde et Railway World en est sortie grande gagnante. Les
privatisations, l'apparition de compagnies ferroviaires
« low cost », la folie spéculative sur la
production pétrolière, le développement anarchique
de cette production, le manque de matériel et de wagons
adéquats, l'abaissement des normes de sécurité et
des procédures, le manque de formation du personnel, les
restructurations antiouvrières, l'élimination des mesures
opérationnelles obligatoires pour les compagnies de transport,
pour ne nommer que ceux-là, sont la marque de la totale
irresponsabilité des monopoles et de leur gouvernement.
La tragédie de Lac-Mégantic est la
conséquence directe de cette irresponsabilité et le
résultat de l'offensive antisociale contre la
société moderne. La classe ouvrière doit tracer sa
propre voie et ne pas accepter cet état d'anarchie. Elle doit
protéger la société contre les irresponsables qui
sont en position d'autorité aujourd'hui. La tragédie de
Lac-Mégantic fait maintenant partie de notre histoire et doit
nous rappeler sans cesse notre obligation d'assumer cette
responsabilité.
Plus
jamais
Lac-Mégantic !
De la boîte à courriel
Nos coeurs et nos pensées sont avec les gens de
Lac-Mégantic. Par pure solidarité, trois pompiers de
l'Outaouais sont allés prêter main-forte aux pompiers qui
combattent la conflagration qui sévit à
Lac-Mégantic. Bravo !
* * *
La protection de l'environnement,
c'est l'affaire de tous. Cet homme d'affaires de Lac-Mégantic
qui a perdu un de ses fils dans la catastrophe a pris le micro de
Radio-Canada pour dire qu'il n'était pas normal que des citernes
remplies de substances aussi dangereuses transigent dans un lieu
où il y tant d'activité humaine. Il en a appelé
à la compagnie et aux politiciens de rendre des comptes pour
cette tragédie.
Ça, je le trouve normal. Pourquoi ni la
première ministre du Québec ni le premier ministre du
Canada n'ont-ils pas soulevé la même chose ?
Voilà le problème. Les « affaires »
de la société doivent mettre les intérêts
des êtres humains en premier plutôt que de prétendre
que c'est impossible de régler les problèmes comme il
faut parce qu'il y a des « coûts ».
* * *
Le président de la compagnie qui est responsable
pour la création de la compagnie Montreal, Maine and Atlantic
(MMA), Ed Burkhart, brille par son absence depuis le début des
événements qui ont coûté la vie à un
nombre de personnes encore à déterminer et qui a
détruit une partie du centre-ville de Lac-Mégantic. La
compagnie Rail World a émis quelques communiqués
laconiques qui sont une insulte quand on considère l'ampleur de
la tragédie humaine qui se joue en ce moment à
Lac-Mégantic et dans tout le Québec. Lorsqu'un individu
quitte le lieu d'un accident, il est accusé de délit de
fuite. Cette compagnie doit être traitée comme un
élément criminel et doit être forcée de
rendre des comptes pour tous les dommages humains et physiques qu'elle
a infligés à la population du Lac-Mégantic, y
compris d'avoir quitté les lieux de l'incident, faisant preuve
de négligence criminelle pure et simple.
* * *
Les gens ont parfaitement raison de diriger leur
colère contre la dictature Harper. Ce gouvernement mène
une campagne systématique de liquidation des mécanismes
de surveillance des monopoles privés, que ce soit dans
l'industrie alimentaire, comme avec la crise du boeuf en Alberta, ou
dans le transport ferroviaire. Les plus de 45 personnes qui auront
perdu la vie à cause de cette affaire et la ruine de la
municipalité de Lac-Mégantic, tout cela peut être
directement attribué à cette destruction des
mécanismes de responsabilisation des monopoles privés.
C'est le fruit d'une irresponsabilité sociale colossale. Pour
ceux qui disent que c'est inapproprié de jeter le blâmer
tout de suite en parlant du gouvernement Harper, de la compagnie MMA et
des monopoles du rail, sachez que c'est ainsi qu'on dépolitise
les travailleurs. La classe ouvrière ne restera pas muette
devant l'offensive antisociale et l'abandon irresponsable des exigences
de sécurité pour la protection des équipages, des
communautés et de l'environnement.
* * *
C'était ahurissant d'entendre le ministre des
Transports Denis Lebel répéter son «
écoutez-moi, madame » à la journaliste de
Radio-Canada qui lui posait des questions sur la responsabilité
du gouvernement dans cette affaire. Comment se fait-il que son premier
réflexe est de défendre son gouvernement coûte que
coûte? La responsabilité immédiate du gouvernement
est d'aider à établir les faits, pas de se justifier!
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